1.2 La mesure de la salinité aujourd’hui et l’apport de SMOS pour demain

La salinité absolue est la masse de sel par unité de masse d’eau de mer. Sa mesure nécessite la mise en place de méthodes chimiques complexes et très coûteuses en temps, un simple chauffage conduisant à la perte de composés volatiles. En 1902, Forch et al. ([33]) ont proposé une méthode chimique de mesure de la salinité et la définition suivante:

”La salinité est le poids en grammes de résidu solide contenu dans un kilogramme d’eau de mer quand tous les carbonates ont été transformés en oxydes, le brome et l’iode remplacés par une quantité équivalente de chlorures, et que toute la matière organique a été complètement oxydée.”

Leur méthode chimique étant techniquement difficile à mettre en œuvre, surtout à bord d’un bateau, ils proposèrent une loi reliant la salinité à la chlorinité, cette dernière étant relativement facile à mesurer par titrage. En effet, en se basant sur la ”loi de Dittmar”([22]) selon laquelle la proportion des différents ions dans l’eau de mer est constante (voir section 1), on peut déduire la quantité de tous les sels à partir de la mesure d’un seul d’entre eux. À partir de mesures de chlorinité (Cl) et de salinité (S) sur des échantillons d’eau de mer provenant des mers Baltique, Méditerrannée, Rouge et de l’océan Atlantique Nord, la loi suivante a été proposée pour la mesure de la salinité

S(0/00) = 0.030+ 1.8050 Cl(0/00).                       (1.1)

Bien que (1.1) ai servi aux océanographes jusque dans les années 1950 pour la mesure de la salinité, plusieurs problème se sont posés. La proportion des différents ions dans l’eau de mer n’est pas absolument constante, elle peut varier en profondeur ([15]) ou près des décharges de fleuves. On constate que (1.1) n’est pas conservative à la fois pour S et Cl, et que pour une chlorinité de 0 0 /00, la salinité déterminée à partir de (1.1) n’est pas nulle. Ce problème pour les faibles salinités est dû au fait que les échantillons d’eau de mer faiblement salés utilisés pour déterminer (1.1) n’avaient pas la même composition ionique que celle de la majorité des océans. Ces échantillons provenaient de la mer Baltique qui subit de fortes décharges de fleuves susceptibles de modifier la composition ionique de l’eau de mer.

De nos jours, la détermination de la salinité par titrage de la chlorinité est abandonnée au profit d’une mesure de conductivité de l’eau de mer, plus facile à mettre en œuvre qu’une méthode chimique. On déduit de cette conductivité une salinité ”pratique”. De plus, la conductivité de l’eau de mer est plus proche de sa densité (qui est ce qui intéresse principalement l’océanographie physique) que ne l’est la chlorinité ([53 ]). La mesure de la salinité pratique se fait à l’aide de thermo-salinomètres (voir section 7.1.2.3) qui mesurent le rapport entre la conductivité de l’échantillon et celle d’une eau de référence dont on connaît la salinité (l’eau normale). La Practical Salinity Scale de 1978 (PSS, [53]) permet de relier directement la salinité à la conductivité quelque soit la composition ionique. Lewis a proposé la définition suivante: ”La salinité pratique est définie par le rapport (K15) entre la conductivité d’un échantillon d’eau de mer à la pression atmosphérique standard et à la température de 15oC et celle d’une solution de KCl contenant 32.4356 g de KCl par kilogramme de solution aux mêmes pression et température.” Bien que rigoureusement cette échelle n’ai pas d’unité, on peut trouver dans la littérature les unités de mesures suivante pour la salinité pratique: le pss (practical salinity scale), le psu (practical salinity unit), ou la partie par millier ( 0 /00). J’adopterai dans cette thèse le psu comme unité de mesure. La loi pour passer du rapport de conductivité à la salinité pratique est donnée dans la section 7.1.2.3. La précision sur la salinité atteinte par une méthode de mesure de conductivité est de l’ordre 0.001 psu.

Il n’existe pas encore de mesure par satellite de la salinité à cause des contraintes techniques insolubles jusqu’à récemment (voir le chapitre 3). La mesure de la salinité se fait donc uniquement in situ: des échantillons d’eau de mer sont prélevés en surface ou en profondeur lors de campagnes en mer à bord de navires marchands ou océanographiques. Les échantillons sont ensuite analysés à bord ou en laboratoire, comme je l’ai fait lors de la campagne EuroSTARRS (voir la section 7.1.2.3). Une mesure en continu à bord du navire est aussi possible grâce à la facilité de mise en oeuvre de la mesure par conductivité. Des profils verticaux de salinité peuvent aussi être obtenus à partir de sondes.


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FIG. 1.11: Échantillonnage in-situ de la salinité dans l’océan Pacifique tropical par l’IRD entre 1969 et 1988 (d’après Delcroix et Hénin, [21])



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FIG. 1.12: Nombre de mesures in-situ historiques de la salinité de surface, par degré carré sur le globe, durant le mois de juillet (d’après [7]). Une grande partie de la surface océanique n’a jamais été échantillonnée ; SMOS fournira par conséquent les premières mesures historiques de SSS dans ces régions. De plus, la majorité des océans est très rarement échantillonée, avec à peine une dizaine de mesures au cours des dernières décénies.


La figure 1.11 illustre un exemple de l’échantillonnage des mesures in situ de salinité de surface dont on dispose pour étudier les phénomènes climatiques du pacifique équatorial. Y sont représentées les localisations des mesures effectuées entre 1969 et 1988 par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Les données sont principalement collectées le long de quatre voies maritimes commerciales, et parfois lors de campagnes océanographiques ponctuelles. De même, à l’échelle globale, de grandes étendues de surface océanique ne sont pas ou très peu échantillonnées en salinité par les mesures in situ (voir la figure 1.12). La télédétection par satellite offrira des mesures de SSS régulières et couvrant toutes les régions du globe.

Le groupe Global Ocean Data Assimilation Experiment (GODAE, http://www.bom.gov.au/bmrc/ocean/GODAE/) a fourni les spécifications requises pour une mesure de salinité utilisable pour les études océaniques: la précision optimum sur une salinité moyennée sur 200x200 km2 et sur 10 jours est de 0.1 psu et le seuil en précision au delà duquel la mesure serait sans intérêt est de 1 psu.

La mesure satellitale aura une précision en SSS qui ne sera en rien comparable aux mesures in situ (pour les mesures in situ, la précision est de l’ordre de 0.001 psu), mais sa très bonne couverture spatio-temporelle ouvre la voie à l’étude de phénomènes à grande échelle et à leur suivi temporel jusqu’à plusieurs années (voir section 1.1). La résolution spatiale des mesures SMOS sera de 30 km à 50 km suivant la position du pixel dans le champ de vue du radiomètre (voir figure 3.4), et le temps de revisite sera d’au plus trois jours sur la majeur partie du globe (voir le chapitre 3). Avec de telles caractéristiques, et la précision radiométrique donnée dans la section 3 (de l’ordre de quelques degrés Kelvin), la précision visée sur la SSS moyennée sur des pavés de 200x200 km2 et sur une période de 10 jours est de l’ordre de 0.1 psu (voir chapitre 5), ce qui satisferait les critères GODAE.