Chapitre 1
Pourquoi mesurer la salinité de surface des océans ?

Environ 96,5 % de la mer est constituée d’eau: les 3,5 % restant sont constitués de matière dissoute, essentiellement sous forme d’ions ([65 ]). En effet, la constante diélectrique élevée de l’eau (81 fois celle du vide) rend facile la formation des ions et difficile la recombinaison de ces derniers en molécules. C’est cette matière dissoute qui constitue le sel. La salinité est définie comme le rapport entre la masse de sel et la masse d’eau de mer, en gramme de sel par kilogramme d’eau de mer (partie par millier, ou practical salinity unit (psu) qui équivaut à la partie par millier, voir section 1.2). Parmi les ions contenus dans l’eau de mer, ceux issus de la molécule NaCl sont de loin les plus nombreux en constituant les trois quarts de la masse totale de sel (voir table 1.1). La répartition relative entre les différents sels est sensiblement constante dans la majeure partie des océans ([22]) ; on peut donc déterminer la concentration de tous les constituants (et donc la salinité) à partir de la mesure d’un seul constituant. Ainsi, on a déterminé pendant longtemps la salinité à partir de la seule mesure de chlorinité.


sel masse (% masse totale de sel)


NaCl 77.9
MgCl2 10.6
MgSO4 4.9
CaSO4 3.6
K2SO4 2.3
CaCO3 < 1
KBr < 1
SrSO4 < 1
H2 BO3 < 1


TAB. 1.1: Représentation relative des différents sels dans l’eau de mer

La salinité détermine, avec la température, la densité des masses d’eau qui est un paramètre clé de la circulation océanique ([70]). L’importance de la salinité pour l’océanographie physique, ainsi que son application à l’identification des fronts entre différentes masses d’eau, seront détaillées dans la section 1.1 .


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salinité (psu)
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salinité (psu)
FIG. 1.1: Salinité climatologique à la surface des océans pour le mois de Janvier ([7])



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FIG. 1.2: Répartition des différentes valeurs de salinité à la surface de l’océan mondial (d’après la climatologie Levitus, [7])



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FIG. 1.3: Salinité de surface des océans en fonction de la température de surface au mois de Janvier pour tout le globe où un point représente 1ox1o (d’après la climatologie Levitus, [7]).



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FIG. 1.4: Salinité de surface (moyennée sur tous les océans) et bilan hydrologique (évaporation - précipitations) en fonction de la latitude (d’après [70]).


Au large, la salinité de surface des océans (SSS pour Sea Surface Salinity) est comprise entre 30 et 40 psu (voir la figure 1.1, bas). Près des côtes ou dans certaines mers fermées à forte décharge de fleuves (en Mer Noire par exemple), elle peut être beaucoup plus basse (voir figure 1.1, haut). Elle est en moyenne de 34.7 psu et environ 75% de la surface océanique mondiale a une salinité comprise entre 34 et 36 psu (voir la figure 1.2 obtenue à partir de la climatologie Levitus, [7]). La figure 1.3 illustre les valeurs de la température de surface (SST pour Sea Surface Temperature) et SSS pour chaque 1o carré de la surface océanique mondiale: on note que les eaux très froides, qui sont situées dans les zones arctiques et antarctiques, ont des SSS toujours inférieurs à 35 psu et que les très fortes salinités (où la SSS est supérieures à 37 psu) sont situées principalement dans les mers chaudes (où la SST est supérieure à 20o C).


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FIG. 1.5: Trajet du bateau l’Astrolabe dans l’océan Pacifique Sud (au sud de l’Australie) entre Hobart (Tasmanie) et Dumont d’Urville (Terre Adélie) (campagne SURVeillance de l’océan auSTRAL, SURVOSTRAL). Au cours de cette campagne (de 1993 à 1999), les SST et SSS ont été mesurées à travers le courant circumpolaire plusieurs fois durant le printemps et l’été Austral (d’Octobre à Mars).



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FIG. 1.6: Front de salinité entre Hobart et Dumont d’Urville (voir figure 1.5) dans l’océan Pacifique Sud (d’après R. Morrow et A. Chaigneau, communication privée, voir aussi [10]), les 12 janvier 1995 (trait plein), 10 décembre 1995 (tirets) et 14 janvier 1996 (points-tirets). La position du front se déplace de 2o en latitude entre les mois de décembre 1995 et janvier 1996. Ce déplacement n’est pas régulier d’une année sur l’autre (variation inter-annuelle).


La SSS varie moins rapidement que la SST, car elle est moins sensible aux conditions météorologiques. Les variations de SSS d’une masse d’eau sont principalement gouvernées par les processus d’évaporation - précipitations (voir la figure 1.4), sauf près des côtes ou dans les mers fermées où la décharge en eau douce des fleuves est très importante. Au large, une variation de 1 psu est exceptionnelle car elle nécessite des précipitations violentes qui sont peu courantes. La SSS est donc un bon traceur des différentes masses d’eau océaniques (voir section 1.1). En revanche, à la frontière entre deux masses d’eau, on peut observer des différences atteignant 1 psu (voir la figure 1.6). À moyenne et basse latitude, l’évaporation dans les régions chaudes, en l’absence de pluie, crée un maximum de salinité en surface (cf. mer méditerranée, mer rouge qui constituent des bassins d’évaporation). En cas de précipitations violentes, comme cela arrive par exemple dans les tropiques (dans la zone de convergence inter-tropicale), la salinité de surface diminue. La figure 1.4 illustre la bonne corrélation entre la salinité et les flux d’évaporation - précipitations en fonction de la latitude, sauf aux hautes latitudes nord. Dans le bassin arctique en effet, la SSS est modifiée par la fonte des glaces et par une forte décharge de fleuves qui apportent de l’eau douce. Ainsi, plus on va vers le nord, plus la salinité est basse, bien que le bilan hydrologique (évaporation-précipitations) soit à peu près constant. Le bassin arctique constitue ainsi un bassin de dilution. Au contraire, l’océan antarctique ne subit pas de décharge de fleuves et est beaucoup plus grand et ouvert: on n’observe donc pas la même diminution de SSS qu’en arctique.


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FIG. 1.7: (Gauche) Profil vertical de la salinité dans l’océan Atlantique aux hautes et basses latitudes.(Centre) Profil vertical de la salinité dans l’océan Pacifique aux hautes et basses latitudes. (Droite) Profils verticaux de la salinité et de la température aux latitudes tropicales (d’après [70])



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FIG. 1.8: Profils de salinité en océan Pacifique Équatorial Ouest (région de la warm pool) obtenus pendant l’expérience TOGA COARE (d’après [81]).


Le but de la mission SMOS est de mesurer la salinité de surface des océans et l’humidité des sols sur les terres émergées, ce dernier objectif n’étant pas traité dans cette thèse. En réalité, l’instrument mesure les caractéristiques de l’eau de mer intégrées sur une profondeur, l’épaisseur de peau, qui est de l’ordre du centimètre (voir l’annexe E) à la fréquence de SMOS (i.e. 1.4 GHz, voir section 2.2). Il convient donc d’examiner la variation de la salinité avec la profondeur pour savoir de quelle couche superficielle de l’océan la mesure sera caractéristique. Le profil vertical de la salinité dans l’océan est variable selon les régions (voir fig. 1.7) à cause des conditions physiques très différentes qui règnent aux diverses latitudes. Schématiquement, la salinité est homogène dans une couche de surface en dessous de laquelle elle subit un gradient (dans la couche appelée la halocline). L’épaisseur de la couche de surface homogène en densité, appelée la couche de mélange, dépend du mélange vertical entre les eaux de surface et les eaux plus profondes: ce mélange est contrôlé par la turbulence induite par le vent de surface, et par le rapport entre la densité de l’eau de surface et la densité de l’eau sous-jacente. Aux moyennes latitudes, l’épaisseur de la couche de mélange varie de 50 à 200 mètres. La variation de la salinité dans les premiers mètres est toujours extrêmement faible (inférieure à 0.1 psu) (voir figure 1.8) sauf en cas de fortes précipitations par vents très faibles où une pellicule d’eau douce peut se former à la surface, et dans les panaches des grands fleuves. Une forte évaporation, par vent très faible, peut entraîner une augmentation sensible de la salinité près de la surface, comme on peut le voir sur la figure 1.8 en milieu de journée (profils entre 11h et 15h). Cependant, à l’heure locale de passage de SMOS pour l’orbite du soir (i.e. 18h), l’effet de l’évaporation sur le profil de salinité a disparu. Il faut aussi noter que ces profils ont été mesurés dans une zone dans laquelle les vents sont généralement faibles, ce qui limite le mélange des eaux de surface et qui favorise la formation de gradient vericaux de SSS et SST.


 1.1 Le rôle de la salinité
 1.2 La mesure de la salinité