Préambule

La télédétection par satellite est aujourd’hui une composante à part entière de l’océanographie. Elle permet d’effectuer des mesures de vents, de température de surface (SST pour Sea Surface Temperature), de couleur de l’eau (pour la mesure de la chlorophylle), de topographie, ... avec des couvertures spatiales et temporelles bien supérieures à celles obtenues par des méthodes in situ.

Il n’existe pas à l’heure actuelle de mesure satellitale de salinité de surface des océans (SSS pour Sea Surface Salinity). Celle-ci est exclusivement mesurée in situ, à partir de navires marchands et parfois de bateaux océanographiques, lors de campagnes de mesures en mer ou plus rarement sur des bouées de surface. C’est pour cela que les mesures ne couvrent ni toutes les régions, ni toutes les périodes de l’année ; elles sont échantillonnées principalement le long des voies maritimes commerciales. En conséquence, l’analyse des variations saisonnières et interannuelles s’avère être très difficile.

La salinité de surface est un des paramètres qui gouvernent la circulation océanique globale, qui est une composante importante du système climatique de la planète. Elle est à la fois actrice de la physique de l’océan, en influant sur la formation et sur la circulation des masses d’eau, et traceur, en permettant l’identification des différentes masses d’eau. L’assimilation de champ globaux et réguliers de SSS par les modèles numériques de circulation océanique constituerait un apport considérable à la compréhension de l’océan et des phénomènes climatiques en dépendant. En outre, des champs de SSS permettant le suivi temporel et spatial des fronts océaniques pourraient servir à suivre l’évolution des différentes masses d’eau. C’est pourquoi de nombreuses équipes scientifiques à travers le monde relèvent actuellement le défi technologique de la télédétection de la SSS par satellite, et particulièrement en Europe avec la mission de l’Agence Spatiale Européenne (ESA, pour European Space Agency) Soil Moisture and Ocean Salinity (SMOS).

Le regain d’interêt pour la mesure satellitale de la SSS est récent, dû essentiellement à l’apparition des radiomètres à synthèse d’ouverture qui permettent d’accéder à une résolution spatiale raisonnable pour une structure d’antenne de taille embarquable sur un satellite. Les prémices de la recherche sur la dépendance en salinité du signal électromagnétique (EM) sont apparues dans les années 50, avec les premières mesures de la constante diélectrique de solutions salines. En 1970 eut lieu la première démonstration de mesure de SSS par un radiomètre aéroporté en bande L [26], suivie en 1977 par la première et unique tentative de mesure par satellite avec Skylab. Malgré la mauvaise connaissance (par rapport à aujourd’hui) des corrections à apporter aux données, on put observer une corrélation entre le signal et la SSS. Malgré ces débuts prometteurs, le projet fut délaissé jusque dans les années 90. En effet, pour être exploitables scientifiquement, les mesures de SSS doivent avoir une résolution spatiale de l’ordre de la centaine de kilomètres. Un satellite permettant une telle résolution nécessiterait un radiomètre avec une antenne réelle de taille difficilement deployable dans l’espace. Pour résoudre ce problème, SMOS va employer, pour la première fois dans l’espace, la technique de synthèse d’ouverture à deux dimensions (i.e. antenne synthétique). Le traitement du signal d’un tel instrument (i.e. la reconstruction d’image) est un vrai défi technologique, mais se pose aussi le problème de l’interprétation géophysique du signal, et notamment de la restitution de la SSS.

C’est dans ce contexte que je suis arrivé au Laboratoire d’Océanographie DYnamique et de Climatologie (LODYC) en 1999 pour effectuer mon stage de DEA tout d’abord, puis ma thèse sous la direction de Jacqueline Etcheto et de Gérard Caudal (Centre d’étude des Environnements Terrestres et Planétaires, CETP). L’équipe spatiale du LODYC étudie depuis 10 ans les échanges air-mer du CO2 en s’appuyant notamment sur les mesures satellitales de vent, de SST et de couleur de l’océan. J’y ai travaillé pendant plus de trois ans en étroite collaboration avec Jacqueline Boutin sur l’étude et la mise au point d’un modèle d’émissivité de l’océan entre autres. Les travaux que j’ai effectués et les résultats que j’ai obtenus sont exposés dans les pages qui suivent ...

Dans le chapitre 1, j’exposerai pourquoi la salinité est un paramètre important dans la physique de l’océan. Dans le chapitre 2, je décrirai qualitativement les processus physiques qui permettent la mesure de la salinité par radiométrie hyperfréquence ainsi que les processus qui rendent difficile cette mesure. Dans le chapitre 3, je présenterai des caractéristiques de la configuration de l’instrument SMOS ainsi que la stratégie de mesure qui découle de cette configuration. J’introduirai la mission NASA, complémentaire à SMOS pour la mesure de la salinité des océans, qu’est Aquarius. Dans le chapitre 4, je décrirai les modèles que j’ai employés pour simuler numériquement la température de brillance de l’océan et j’exposerai les résultats obtenus. Dans le chapitre 5, j’analyserai l’influence des différentes sources d’erreur (incertitude sur les modèles, incertitude sur les paramètres ancillaires, erreur de mesures de la température de brillance) sur la précision de la salinité restitué. Dans le chapitre 6, je décrirai comment des sources de rayonnement autre que l’océan peuvent perturber la mesure de la salinité. Dans le chapitre 7, je montrerai les mesures de campagnes récentes de préparation à SMOS et exposerai les travaux de validation des modèles que j’ai effectués à partir de ces mesures. Enfin, dans la partie 7.3.4, je résumerai les résultats obtenus durant cette thèse et j’exposerai l’orientation de mes recherches futures.