Sous-sections


2.3 Faciliter la création de modèles numériques

Les solutions que propose la recherche pour l'amélioration des techniques de modélisation, 3D en particulier, sont nombreuses. Selon notre problématique, nous avons choisi de les regrouper en trois grandes catégories:
  1. les approches contraintes et connaissances, qui regroupent les techniques de modélisation par contraintes, déclarative, à base de connaissances, mais aussi les techniques interactives de reconstruction 3D à partir d'images. Ces techniques s'inscrivent le plus souvent dans un paradigme d'interaction standard (WIMP), mais s'orientent par contre vers une démarche plus proche des processus de conception.
  2. les approches interaction-expérimentales, qui utilisent des paradigmes d'interaction nouveaux et originaux pour établir un dialogue plus adapté entre le concepteur et le système, sans pour autant remettre vraiment en question la démarche constructive.
  3. les approches interaction-scientifiques, qui proposent une démarche de modélisation ainsi que des interactions fondées sur des observations et études de la conception créative.

2.3.1 Approches contraintes et connaissances

Nous ne rentrerons pas dans les détails de tous les systèmes proposés dans les domaines de la modélisation 3D par contraintes, déclarative ou à base de connaissances. Nous évoquerons tout de même certaines de ces méthodes pour l'aspect innovant de leur démarche de construction de scènes 3D, plus proche de la démarche imprécise et itérative des concepteurs. Elles entrouvrent aussi la possibilité de les combiner entre elles pour améliorer encore leur efficacité, mais aussi de les associer par exemple à des système de reconstruction à partir d'images. Ce sont aussi des voies intéressantes pour une éventuelle association avec des approches mettant plus l'emphase sur l'interaction comme celles que nous présenterons dans la section suivante.

2.3.1.1 Modélisation déclarative et/ou à base de connaissances

Modélisation déclarative
La technique de modélisation déclarative est basée sur le principe de la construction itérative d'une scène 3D à partir de sa description par l'utilisateur. Ainsi, celui-ci décrit la scène, dans un formalisme plus ou moins naturel (du langage de script au langage naturel) et dans des termes plus ou moins précis (très grand cube, plus ou moins prés de). Le système construit alors des propositions de scènes 3D couvrant l'espace des solutions possibles à la description. L'utilisateur peut alors, à partir de ces propositions, raffiner sa description pour diriger le système vers la création de solutions plus précises. Cette technique est aussi qualifiée de modélisation par contraintes, reposant d'un point de vue système sur des techniques de résolution de contraintes (les déclarations de l'utilisateur). Nous pouvons citer comme travaux dans ce domaine ceux de Stéphane DONIKIAN [Donikian et Hégron1993] et aussi le projet MULTIFORMES [Ruchaud et Plemenos2002], encore en cours d'amélioration actuellement. Ce système à même été utilisé comme base d'un modeleur déclaratif à base de connaissance, spécialement dans le domaine de l'architecture [Ravani et al.2003].

Cette méthode propose une démarche itérative et imprécise mieux adaptée aux processus de conception que les démarches classiques de construction géométrique. Des contraintes de départ servent à l'élaboration d'un espace de solutions, solutions auxquelles seront appliquées de nouvelles contraintes permettant de raffiner le champ des possibles jusqu'à une solution « acceptable». Il est d'ailleurs intéressant de noter que les auteurs des travaux que nous avons cités dans le paragraphe précédant emploient l'expression croquis de scènes 3D («3D scenes sketch modeling») pour qualifier cette démarche, de par l'évolution en parallèle des propositions du système et de l'image mentale du concepteur. Mais cette analogie avec le croquis est ambiguë et inexacte, voire même erronée. En effet, nous avons constaté dans le premier chapitre l'importance du croquis dans un cadre figuratif et spéculatif. Surtout, nous avons vu que le dialogue établit entre le concepteur et ses techniques figuratives lui permettait d'élaborer des solutions. Or, dans cette démarche déclarative, c'est au système informatique qu'est déléguée la construction de solutions. Mise à part les problèmes techniques dus à la «compréhension»  et à la résolution de contraintes imprécises par le système, cette délégation a d'autant plus d'impact sur la démarche créative que le système doit nécessairement faire un choix entre un grand nombre de solutions possibles, soulevant alors dans un même temps le problème de leur présentation à l'utilisateur. Au contraire, le croquis n'impose rien et n'opère pas à un premier tri des solutions, il figure et suggère un espace de solutions, leur génération et leur évaluation étant du domaine du concepteur.

Bases de connaissances
Les approches de modélisation basées sur la connaissance visent à fournir des outils informatiques de représentation des connaissances d'un domaine, mais aussi de raisonnement sur ces connaissances, afin d'appuyer le concepteur dans sa démarche. Ces travaux présentent un intérêt certain dans l'insertion des outils de modélisation dans les premières phases de la conception, notamment pour l'interprétation et la manipulation par le système des données imprécises qui en résulte.

Les travaux de François GUÉNA, par exemple, s'appuient sur le raisonnement par classification pour classifier et identifier un objet par rapport à ceux déjà présents dans la base de connaissances [Guena1997]. Cette approche permet essentiellement de compléter la description d'un objet par les propriétés de la classe à laquelle il a été rattaché. Bien que ce formalisme n'ait pas été exploitée plus profondément dans un système de conception architecturale2.2, elle laisse entrevoir des possibilités intéressantes pour l'interprétation des données imprécises que représente le dessin dans les premières phases de la conception architecturale. Cela soulève toutefois divers problèmes, tels que la construction de classes d'objets adaptées au raisonnement de l'architecte ou le mode de dialogue entre le système et son utilisateur (suggestions et propositions). Ce type de raisonnement a d'ailleurs été proposé dans le système GIDeS [Fonseca et al.2004], associé à une interface de saisie de dessins.

Dans le même esprit, le principe de modélisation 3D associant résolution de contraintes et bases de connaissances proposé par Didier BOUCARD dans sa thèse de doctorat [Boucard2004] rend possible la reconstruction de scènes 3D à partir de données imprécises ou incomplètes. Il utilise pour cela un corpus d'objets et de règles issus des critères de l'architecture classique, qui associé à un solveur de contraintes va permettre de construire et placer les objets architecturaux que l'utilisateur a spécifié. Il est alors possible de manipuler des entités de plus ou moins haut niveau, le système complétant les données manquantes et assurant le respect des règles du domaine. Bien que spécifique à la reconstruction de scènes architecturales classiques (à partir de documents tels que des plans ou des récits historiques), cette démarche ouvre des pistes vers un modeleur 3D spécialisé à l'architecture [Boucard et Colin2002]. Il nous parait envisageable qu'une telle méthode puisse assister la conception architecturale, notamment par ses capacités à compléter l'information manquante dans la description de la scène.

Dans un cas général, les approches de modélisation basées sur des contraintes ou des connaissances ne nous paraissent pas comme étant une solution à part entière pour l'intégration de l'outil informatique dans les premières phases de la conception architecturale. Malgré leur démarche itérative, utilisant des données imprécises caractéristiques des premières étapes de la conception, le principal problème est qu'elles ne fournissent pas à notre avis le support figuratif nécessaire au concepteur (comme le fait le dessin). De plus, ces systèmes visent souvent à la production d'un ou plusieurs résultats «coûte que coûte», pouvant conduire à une limitation du champ des possibles dans un cadre créatif.
Toutefois, nous pensons que cette capacité à la manipulation de données imprécises peut se révéler un atout majeur pour un système de CAO «créatif», notamment pour l'interprétation et la saisie de dessins. Il serait alors primordial de définir précisemment les connaissances du domaine pour que celles-ci ne deviennent pas une limitation, mais aussi de trouver l'accord juste pour que le système propose à l'utilisateur, mais jamais n'impose.

2.3.1.2 Reconstruction à partir d'images

Il nous parait important d'évoquer le domaine de la reconstruction 3D à partir d'images dans cette section sur l'amélioration des techniques de modélisation 3D. Si l'on écarte les méthodes « automatiques» issues de la photogrammétrie, les approches interactives proposées dans ce domaine sont une piste intéressante pour rendre la modélisation 3D plus abordable dans les premières phases de la conception.

Nous ne voulons pas ici établir un état de l'art de ces méthodes, le lecteur peut pour cela se référer à nos travaux antérieurs [Huot2000,Huot et Colin2001]. Il est toutefois important de souligner que des méthodes interactives, comme celle introduite par Paul DEBEVEC dans [Debevec et al.1996] et reprise dans le logiciel CANOMA [Adobe, Inc2004], se basent sur la connaissance de l'utilisateur et la description graphique qu'il fait d'une photographie pour en reconstruire une scène 3D. Ainsi, il suffit de préciser les contours et la nature des objets significatifs présents dans une image pour que le système en déduise la scène 3D. Dès lors, une telle approche peut aussi être utilisée afin d'obtenir rapidement une reconstruction à partir d'un croquis de conception réalisé sur papier, comme nous l'avions proposé dans [Huot2000] (voir figure 2.5). [Boucard et al.2002] et [Hégron et al.2000] proposent de plus l'utilisation conjointe de la reconstruction interactive à partir d'images et des bases de connaissances pour améliorer les techniques de reconstruction 3D.

Figure 2.5: MArINa. Le système que nous avons proposé dans [Huot2000] permet de reconstruire rapidement une scène 3D à partir d'une image, mais aussi d'un dessin.
\includegraphics[width=\textwidth]{marina}

Ces méthodes ne constituent pas un apport direct pour la modélisation 3D dans les premières phases de la conception et ne peuvent être utilisées comme telles. Toutefois, les techniques mathématiques sous-jacentes qu'elles ont introduites pour résoudre le problème de la reconstruction en trois dimensions d'une image en deux dimensions répondent à des préoccupations proches de celles de l'obtention d'un modèle 3D à partir d'un dessin. Il reste tout de même à prendre en compte le problème de l'interprétation en temps réel d'un dessin à main levée et des modes d'interaction avec l'utilisateur. C'est pourquoi nous allons nous intéresser plus précisément à des propositions visant à rapprocher, d'un point de vue interaction, la saisie de modèles numériques (principalement en 3D) de l'activité de dessin.

2.3.2 Approches par l'interaction

De par leur conception même, les interfaces post-WIMP2.3 [van Dam1997] sont conçues pour être adaptées aux applications et outils spécifiques à un domaine ou à une tâche. Ainsi, plutôt que de viser une standardisation des méthodes d'interaction, leurs concepteurs tentent de répondre au plus juste à un besoin précis, dans un cadre donné. Les interfaces de modélisation 3D novatrices que nous allons présenter ici sont toutes post-WIMP. Elles poursuivent en général deux buts: rendre la modélisation 3D plus abordable aux débutants et tirer parti des systèmes informatiques dans les processus créatifs (pour les experts). Nous distinguons deux orientations dans ces recherches. Une approche expérimentale, visant à introduire des paradigmes nouveaux et inhabituels. Une approche que nous qualifions de scientifique, proposant des systèmes basés sur des études d'utilisateurs et de leurs méthodes de travail.

2.3.2.1 Approches expérimentales

Nous présentons dans cette section des travaux en rupture avec les techniques de modélisation « classiques». Ces méthodes reposent sur des paradigmes d'interaction ou des dispositifs d'entrée inhabituels par rapport aux standards WIMP, mais aussi par rapport aux techniques des concepteurs. Elles s'avèrent toutefois plus proches de ces dernières et facilitent la construction de modèles 3D dans des domaines précis. Ne pourraient-elles pas, dès lors, être un substitut au dessin comme technique figurative dans les phases créatives de la conception.

Périphériques d'entrée avancés
Une première approche novatrice pour l'amélioration des interactions dans le cadre de la construction de modèles 3D consiste à développer des dispositifs spécifiques. Ce problème de la correspondance entre les degrés de liberté des dispositifs standards et des besoins pour la modélisation 3D a donné naissance à des dispositifs plus évolués et adaptés comme par exemple le Phantom (voir figure 2.6(a)). Longtemps resté un outil de laboratoire, ce périphérique à six degrés de liberté et à retour d'effort est de plus en plus associé à des systèmes de modélisation 3D commerciaux traditionnels, mais aussi à des logiciels dédiés comme FreeForm [Sensable Technologies Inc2005] afin de mieux tirer parti de ses capacités.

Figure 2.6: Périphériques d'entrée avancés. Le Phantom s'intègre à des applications commerciales de CAO alors que la recherche propose encore de nouvelles alternatives avec par exemple iSphere.
\begin{figure}\setcounter{subfigure}{0}
\subfigure[\small Phantom.]{
\includeg...
...mall iSphere.]{
\includegraphics[width=.75\textwidth]{isphere}}
\end{figure}

Le monde de la recherche est aussi productif dans la conception de nouveaux dispositifs d'entrée et récemment, par exemple, iSphere a été présenté comme un nouvel outil spécifique à la modélisation 3D [Lee et al.2005]. Ce dodécaèdre recouvert de senseurs est dédié à la création de modèles 3D par déformation de surfaces paramétriques en les poussant, les tirant et les tordant directement avec le dispositif (voir figure 2.6(b)).

Reconnaissance de gestes: SKETCH
En 1996, Robert ZELEZNIK introduisit SKETCH [Zeleznik et al.1996], le premier outil de modélisation 3D utilisant la reconnaissance de gestes. Ce système permet de construire des volumes polyédriques, de les éditer et de les manipuler, uniquement par interprétation de gestes tracés directement sur l'espace de travail. C'est une avancée majeure permettant de rendre la modélisation 3D plus intuitive, un premier pont entre le dessin à main levée et la CAO. La figure 2.7 représente une partie de l'ensemble des gestes de SKETCH, ainsi qu'une scène 3D exemple.

Figure 2.7: SKETCH. Ce système permet la création d'objets 3D (en haut à gauche), mais aussi leur placement (en haut à droite) et leur édition (en bas à gauche) par reconnaissance de gestes. Ces images ne présentent qu'une partie des possibilités (notamment au niveau des objets disponibles). En bas à droite, le résultat de la création d'une scène.
\includegraphics[width=1.2\textwidth]{sketch}

Les gestes correspondant à la création des objets ont été choisis pour leur relative ressemblance avec la primitive 3D qu'ils permettent de créer. Cela implique une mémorisation plus rapide, basée sur l'analogie, et favorise donc l'apprentissage des fonctionnalités du système. De plus, la position du geste tracé détermine aussi la position de la primitive crée, position qui peut même être relative à un objet existant (voir l'encadré en haut à droite de la figure 2.7).

Les objets peuvent aussi, par la même technique de reconnaissance de gestes, être manipulés (translations, rotations), modifiés (étirements selon les axes, sections, extrusions, opérations booléennes), groupés, copiés et collés. Ces opérations de modification semblent toutefois plus difficiles à appréhender pour l'utilisateur que les opérations de création. Une dernière opération de manipulation intéressante est le repositionnement d'un objet par le dessin et la manipulation de son ombre. Il est possible de dessiner l'ombre d'un objet; la manipulation interactive de celle-ci permet alors de déplacer l'objet.

Enfin, le rendu de la scène 3D en cours de création est volontairement non photo-réaliste, de type crayonné, en accord avec la relative imprécision des primitives créées. En effet, étant basée sur des gestes, la création des primitives n'engendre pas de valeurs précises (taille et position). Le rendu crayonné permet à la fois de signifier cette relative imprécision, mais aussi de laisser une certaine liberté d'interprétation à l'utilisateur.

Une approche similaire a été proposée dans [Pereira et al.2004], se focalisant plus sur les aspects techniques de la reconnaissance de gestes proches de dessins pour effectuer des commandes, créer des objets 3D ou leur appliquer des opérations, afin de proposer une interaction cohérente pour toutes les opérations possibles.

Dessin, gestes et suggestions: TEDDY, Chameleon et Château
Takeo IGARASHI a produit plusieurs systèmes intéressants dans le domaine des interactions pour la modélisation 3D.

Tout d'abord, avec TEDDY [Igarashi et al.1999], il a réalisé un mélange efficace entre le dessin et la modélisation 3D, dans un contexte bien particulier (dessin d'enfant). C'est un outil de modélisation regroupant deux modes d'interaction : dessin de formes et reconnaissance de gestes. Le principe de TEDDY est simple: il suffit de tracer le contour d'un volume pour que celui-ci soit interactivement déduit par le système, selon un principe d'expansion de ce contour selon les axes. Il est alors possible de «creuser», couper ou déformer ce volume, ainsi que de lui ajouter des extrusions par des gestes et des tracés simples (voir la figure 2.8).

Figure 2.8: TEDDY. Essentiellement destiné à la construction de modèles 3D par des enfants, TEDDY permet de construire des formes 3D en dessinant leur contour (en haut à gauche), des extrusions (en bas à gauche) et des transformations (en haut à droite).
\includegraphics[width=1.3\textwidth]{teddy}

Dans la continuité de TEDDY, le même auteur a proposé Chameleon, un système interactif pour peindre directement sur des modèles 3D [Igarashi et Cosgrove2001]. Il a ensuite unifié ces deux approches dans un seul système, SmoothTeddy, améliorant par la même occasion la qualité des formes 3D construites par le dessin de leur contour [Igarashi2003].

Toutefois, même si ils permettent de produire intuitivement des modèles simples, ces travaux sont toujours limités car produisant des modèles particuliers (patatoïdes) et/ou imprécis. La reconnaissance de gestes, lorsqu'elle est utilisée comme seul paradigme d'interaction comme dans SKETCH, pose aussi le problème d'un ensemble limité de gestes (donc de commandes et d'objets) et la relative difficulté que peut éprouver un nouvel utilisateur pour les assimiler et donc s'approprier le système.

Takeo IGARASHI a proposé un autre type d'interface, tout aussi intuitif bien que plus « guidé»: une interface suggestive pour la modélisation 3D. Le système, nommé Château [Igarashi et Hughes2001], est basé sur un paradigme de dessin vectoriel en trois dimensions. L'utilisateur, par simple technique de cliquer-déplacer trace des segments de droites qu'il peut orienter comme il le souhaite dans l'espace de travail. Afin de faciliter la création de ces segments, l'interface propose des techniques classiques de magnétisme et de calage sur une surface. Mais là où ce système innove, c'est par sa capacité à formuler des suggestions à l'utilisateur. Des agents de suggestion analysent les segments tracés et le segment en cours de tracé pour proposer automatiquement la structure qu'ils sont «entraînés» à reconnaître. Ces propositions apparaissent sous forme de vues miniatures que l'utilisateur peut valider ou ignorer afin de continuer à dessiner librement. Ainsi, comme le montre la partie gauche de la figure 2.9, il suffit de tracer deux traits pour que le système propose différentes possibilités de complétion (un plan, un triangle ou un carré).

Figure 2.9: Château. Selon un paradigme de dessin vectoriel 3D, Château fournit une architecture d'agents qui suggèrent de manière non intrusive des possibilités de complétion du dessin.
\includegraphics[width=1.3\textwidth]{chateau}

L'intérêt est que, tout en facilitant le dessin en complétant automatiquement des formes simples et habituelles, le système ne prend pas le pas sur l'utilisateur et se contente de suggérer des possibilités. C'est une approche bien adaptée à la modélisation 3D dans un contexte créatif, permettant de réduire les tâches fastidieuses et répétitives, tout en laissant l'utilisateur mener le dessin (il peut très bien construire un modèle complet en ignorant systématiquement les propositions du système, celle-ci ne gênant en rien la progression). Château n'est toutefois pas un système complet de modélisation 3D, et le paradigme de dessin à base de segment limite grandement le type de modèles que l'on peut créer (voir figure 2.9). Toutefois, l'architecture modulaire des agents de suggestion, permettant d'en ajouter simplement et surtout la technique non-intrusive employée pour proposer ces suggestions, sont des pistes intéressantes pour l'assistance dans les systèmes plus complets de CAO.

Bilan sur ces approches
Les dispositifs d'entrée avancés, tout d'abord, facilitent certainement la manipulation et la saisie de données dans le cadre de la modélisation 3D. Ils permettent une vraie manipulation directe des objets d'intérêt qui fait souvent défaut avec des dispositifs standards. Cela facilite la prise en main et libère alors l'utilisateur de certaines contraintes. Ils restent toutefois peu répandus de par leur coût ou leur état de prototype. Mais de plus, dans une démarche créative, leur apport n'est pas si évident car les logiciels qu'ils contrôlent proposent toujours la même démarche constructive, le même paradigme d'interaction global et la même représentation figurative que les systèmes de CAO standards.

Les autres outils présentés sont d'un apport indéniable en facilité d'accès de par leur analogie avec le dessin. Toutefois, ils en sont relativement éloignés, notamment si l'on se place dans un contexte de conception créative. SKETCH ne permet que l'utilisation d'un ensemble de primitives prédéfinies et ne supporte que peux la modification et l'itération sur les modèles. TEDDY offre des outils plus adaptés à des formes libres et à la modification mais dans un contexte bien défini («patatoïdes» pour les dessins d'enfants). Enfin, Château est contraint par un paradigme de dessin vectoriel, plus proche du dessin technique que du dessin spéculatif. Ces démarches sont toutefois une ouverture de la modélisation 3D vers l'intuitivité et la facilité d'utilisation, permettant d'avoir une idée moins précise de ce que l'on veut modéliser.

2.3.2.2 Approches scientifiques

Les systèmes que nous présentons maintenant, et que nous qualifions d'approches « scientifiques», sont plus proches des méthodes traditionnelles «sur papier». Issus d'observations de tâches ou d'études utilisateurs, ils ont permis d'introduire de véritables interfaces de dessin pour la création de maquettes numériques (2D ou 3D).

Une approche «design»: Digital Tape Drawing
Bien que n'entrant pas dans le cadre des interfaces de dessin pour la modélisation 3D, nous avons jugé opportun de présenter ici une technique proposée dans [Balakrishnan et al.1999] pour sa qualité de transfert d'expertise.

Figure 2.10: À gauche, un concepteur utilise la méthode de Tape Drawing. À droite sa réalisation électronique, le Digital Tape Drawing.
\includegraphics[width=\textwidth]{tapedrawing}

Une méthode utilisée dans la conception automobile consiste à dessiner à grande échelle les contours de l'automobile avec du ruban adhésif sur une surface verticale (c'est le Tape Drawing, voir figure 2.10). Par l'étude de ces usages, Ravin BALAKRISHNAN a proposé une méthode électronique, le Digital Tape Drawing, reproduisant en grande partie les techniques qu'utilisent ces concepteurs avec des capteurs positionnels 3D (voir figure 2.10). Ces travaux sont un exemple d'adaptation des systèmes informatiques aux capacités et à l'expertise des utilisateurs créatifs.

Une approche «architecte»: ESQUISE
Le logiciel ESQUISE, développé par le LUCID Group de l'université de Liège, est un prototype d'outil informatique pour l'architecte basé sur l'interprétation du dessin dans les premières phases de conception. L'idée directrice de ces travaux est d'insérer de manière transparente l'outil informatique dans la conception, par le concept que Pierre LECLERCQ nomme l'interface absente [Leclercq2004]. Ainsi, l'interface est une zone de dessin, sur laquelle l'architecte dessine à main levée le plan de son bâtiment avec une tablette graphique. Ces traits sont alors interprétés sur la base des concepts de frontières, d'espaces fonctionnels et sémantique. Le système en déduit les relations entre ces espaces pour construire un premier modèle topologique. L'ajout de légendes aux espaces fonctionnels par reconnaissance de caractères permet alors la construction d'un modèle sémantique, le système intégrant des informations standard sur les espaces fonctionnels traditionnels (cuisine, salle de bain, chambre, etc.). Juste en dessinant, et en écrivant, l'architecte a «sans le savoir» construit une représentation logique et sémantique du bâtiment qu'il réalise. Comme le montre la figure 2.11, cette représentation va être utilisée pour produire un modèle géométrique, une extrusion 3D, ou des évaluations (le prototype n'intègre pour le moment que le calcul de consommation annuelle d'énergie).

Figure 2.11: L'interface de dessin et les différente vue de ESQUISE. Le dessin tracé librement (en haut à gauche) est interprété afin d'obtenir un modèle sémantique de la construction, utilisé alors pour différentes évaluation (géométrie, topologie, extrusion 3D, consommation d'énergie).
\includegraphics[width=1.3\textwidth]{esquise}

ESQUISE promet une bonne intégration dans les premières phases de la conception architecturale: il est basé sur un paradigme habituel au concepteur (dessin plan), agit de manière transparente et sans être intrusif dans l'activité de l'utilisateur. Un autre atout est la flexibilité de son architecture d'implémentation basée sur une architecture multi-agents facilitant son évolution (évolution d'ailleurs en cours de réalisation afin d'y introduire de nouveaux paradigmes d'interaction multimodale et d'orienter le système vers un bureau virtuel pour la conception collaborative [Leclercq et al.2004]).

Ces travaux sont proches de ceux de Ellen Yi-Luen DO et Mark D. GROSS qui ont proposé une plateforme et différentes applications informatiques pour supporter la conception. Ils ont notamment étudié l'importance des diagrammes et de leurs relations dans les premières phases de la conception afin de développer un outil facilitant leur gestion et leur interprétation [Gross et Do1996]. Plusieurs applications en sont issues, notamment celles proposées dans [Do1998] et [Do2000] très proches d'ESQUISE dans leurs modes d'interaction.

Le dessin pour la modélisation 3D
Construire des modèles en trois dimensions à partir de dessins a d'abord soulevé le problème de l'interprétation du dessin et de sa transformation en un modèle 3D. Ainsi, les premières solutions ont été de contraindre certains aspects du dessin (vue, révisions) afin de rendre possible son interprétation.

Del LAMB, dans [Lamb et Bandopadhay1990], a proposé une des premières approches efficaces de dessin 2D pour créer des modèles 3D. Le principe est d'interpréter automatiquement des dessins à main levée en vue axonométrique. Même si l'on trouve des limites évidentes à cause de la vue 2D imposée et d'une interaction limitée, ces travaux marquent les premiers résultats significatifs dans ce domaine.

Le système Viking [Pugh1992] va plus loin en interprétant un dessin à base de lignes associé à des contraintes descriptives ou structurelles spécifiées par l'utilisateur. David PUGH qualifie alors son système de «What you draw is what you get user-interface ». Lynn EGGLI propose dans [Eggli et al.1997] une méthode très proche de Viking. L'évolution majeure est le passage du dessin vectoriel au dessin à main levée. Ces deux systèmes extraient les propriétés structurelles des objets pour construire des modèles 3D. Afin de contourner les ambiguïtés dans la détection de propriétés et les problèmes de projection, la vue de l'objet dessiné doit être une axonométrie ou une coupe plane. Dans le même ordre d'idées, nous pouvons aussi citer Digital Clay [Schweikardt et Gross2000] ou les travaux menés au Cornell Computational Synthesis Lab [Masry et al.2004] qui, avec des algorithmes différents, présentent un fonctionnement similaire: dessiner à main levée les lignes continues du modèle à reconstruire en vue axonométrique (voir figure 2.12).

Figure 2.12: Digital Clay permet de dessiner les lignes continues qui seront reconstruites en 3D.
\includegraphics[width=1\textwidth]{dclay}

Un système de dessin à main levée en perspective (et pas uniquement en projection axonométrique) a été proposé dans [Tolba et al.2001]. Conçu pour être utilisé dans les premières phases de la conception, cet outil de dessin projectif fournit des aides et des guides au créateur, proposant de dessiner selon des lignes de projection. Ce système parait simple à utiliser et efficace pour manipuler des vues en perspective des scènes dessinées. Il est toutefois basé sur une projection du dessin, par un principe sous-jacent de points projectifs, qui ne permet ni d'obtenir un modèle 3D, ni la structure spatiale des scènes et objets dessinés. Cela en fait donc plus un système de description et de communication que de conception.

Nous avons, dans cette section, tenté de proposer une vue d'ensemble des travaux les plus significatifs dans le domaine des interfaces de dessin, en particulier pour la modélisation 3D. Ce tour d'horizon non exhaustif évoque les différentes approches que l'on retrouve dans beaucoup d'autres travaux similaires (outre les conférences du domaine telles que SIGGRAPH, EUROGRAPHICS, CHI, UIST, etc., nous invitons le lecteur à consulter les actes du groupe de travail annuel « Eurographics Workshop on Sketch-Based Interfaces and Modeling », tenu pendant la conférence EUROGRAPHICS [sbm]).

stuf
2005-09-06