Sous-sections

1.2 La conception

D'après le dictionnaire de l'Académie française:
CONCEPTION N. F. XIIE SIÈCLE, AU SENS PHYSIOLOGIQUE. EMPRUNTÉ DU LATIN CONCEPTIO, «ACTION DE CONTENIR », PUIS «CONCEPTION », ET, EN LATIN CHRÉTIEN, «IDÉE, PENSÉE ».
I. Action de concevoir un être vivant(...)
II. FIG. Activité de l'esprit en vue de la compréhension ou de l'élaboration de quelque chose. 1. CLASS. Faculté de concevoir, de former des idées générales. Puissance, faiblesse de conception. Il manifeste une grande clarté de conception. Il a la conception facile, vive, lente. 2. Action de former le concept d'un objet et, par ext., d'appréhender un objet par la pensée; action de former dans son esprit, d'imaginer, d'inventer. Cette notion n'est pas susceptible d'une conception claire et distincte. (...) La conception d'un projet. Un projet au stade de la conception. Suivre un programme d'équipement de la conception à la réalisation. Les défauts de conception d'une machine. Un appareil de conception ancienne, récente. SPÉCIALT. Idée qui guide la création d'une œuvre et assure son unité. La conception et la facture d'un tableau. Une mise en scène, un décor de théâtre d'une conception originale. Un roman d'une conception audacieuse. 3. Ce que l'esprit crée, produit. Une des plus belles, des plus prodigieuses conceptions de l'esprit humain. SPÉCIALT. Doctrine, théorie. La conception platonicienne de l'État. (...) Des conceptions juridiques, architecturales. Les partisans, les tenants, les adversaires d'une conception. Par ext. Manière de considérer, d'envisager(...) 4. INFORM. Conception assistée par ordinateur ou C.A.O., ensemble des techniques informatiques qui permettent l'élaboration d'un produit nouveau. La conception assistée par ordinateur a de nombreuses applications dans l'industrie automobile et l'aéronautique.

Si nous en excluons le sens propre, cette définition du terme conception dénote des aspects imaginatifs et créatifs de l'acte de conception. Dans le cadre qui nous intéresse, la conception est l'«action de former le concept d'un objet (..) de former dans son esprit, d'imaginer, d'inventer». Cette vision globale de la conception s'applique à tous les domaines créatifs, qu'ils soient artistiques (arts plastiques, architecture, littérature, musique, cinéma, mode, ...), industriels (conception industrielle, ou design, architecture, ...) ou scientifiques (recherche, pédagogie, ...). D'ailleurs, en voulant recenser les domaines où intervient la notion de conception, on constate qu'il est difficile de «cataloguer» ces activités dans des domaines précis tant la notion de créativité est transversale. L'architecture, par exemple, est une discipline créative, science de la construction intégrant à la fois des connaissances scientifiques et techniques, mais aussi des notions esthétiques, artistiques et sociales.

Fort de cette définition et des aspects qu'elle soulève, nous proposons d'aller un peu plus avant dans l'étude du processus de conception: quels chemins et méthodes, d'un point de vue cognitif, vont être mis en œuvre pour concevoir et donc exprimer la créativité?

Le domaine de l'industrie et de l'étude des procédés industriels a fortement décomposé les phases nécessaires à l'aboutissement d'un produit (dans des domaines variés tels que la manufacture, l'architecture, la mécanique, etc.). Ainsi, d'une manière très simplifiée, le développement d'un produit se décompose en trois étapes: la conception dite industrielle, le développement et la fabrication. Dans cette organisation, la notion de créativité est «cloisonnée» à la première de ces étapes, elle est l'exclusivité du concepteur.

Pourtant, le domaine de la psychologie ergonomique a remis en question cette vision en étudiant et analysant les processus cognitifs mis en œuvre lors du déroulement d'un projet. Cette remise en question montre que la conception n'est pas une simple phase en amont d'un processus plus global de production, mais représente justement les activités tout au long de ce processus, «c'est désigner un ensemble de caractéristiques de certaines situations professionnelles, de la tâche dont on sait qu'elles vont engendrer certaines spécificités du raisonnement et donc de l'activité» [Béguin et Darses1998]. Ainsi, de tels travaux, confortés par des études de terrain, ont montré que les acteurs du processus de conception sont nombreux, impliqués en tous points du projet.

Il est alors une ambiguïté sur le terme de conception qui représente pour les ergonomes toute tâche créative lors des différentes étapes de production, et pour les procédés industriels seulement la première phase (le terme anglais «design» lève cette ambiguïté, ne désignant que cette première phase). Nous utiliserons le terme de conception (et donc de concepteur) dans le sens ou l'utilisent les ergonomes, c'est à dire comme représentant une activité créative intervenant à n'importe quelle étape. Dès lors, nous pouvons préciser que dans nos travaux, nous ne intéresserons qu'à la conception dans les premières phases d'un projet.

Nous préciserons dans cette section les aspects cognitifs majeurs du processus de conception dans un cadre individuel, en considérant principalement la notion de créativité.
Nous terminerons par un bilan sur ce que sont et ce que pourraient être les logiciels de support à cette créativité. En effet, le dernier point de la définition vue plus haut définit aussi la conception dans un contexte informatique: «Conception assistée par ordinateur ou C.A.O., ensemble des techniques informatiques qui permettent l'élaboration d'un produit nouveau. La conception assistée par ordinateur a de nombreuses applications dans l'industrie automobile et l'aéronautique». Cette définition est la seule qui ne cite pas d'aspects conceptuels et créatifs. C'est pourquoi nous irons au delà de cette vision des systèmes informatiques comme de simples calculateurs en dressant un bref état de l'art des travaux qui tendent à en faire de véritables supports à la créativité.

1.2.1 La conception créative

Depuis les années 80, le domaine de la psychologie ergonomique a produit beaucoup d'analyses sur l'impact qu'ont les caractéristiques externes des tâches de conception sur la construction des représentations mentales que forment les concepteurs dans leurs activités (design, mécanique, architecture, programmation informatique, etc.). L'objectif en est essentiellement, par la compréhension de ces mécanismes, de produire des outils d'aide aux concepteurs. C'est pourquoi de nombreux travaux se sont d'abord axés sur la question de savoir «Comment les concepteurs réalisent leurs activités ?».

D'un point de vue global, les problèmes de conception sont par essence «mal définis»: la solution est un système qui doit satisfaire un ensemble de contraintes très peu définies au départ et spécifiées tout au long du processus. Les études et analyses de Vinod GOËL [Goël et Pirolli1989] ont permis de caractériser les démarches invariantes mises en jeux par des concepteurs lors de la résolution de ces problèmes larges et complexes:

  1. Ils montrent une activité intense de structuration et de restructuration du problème.
  2. Ils développent plusieurs modèles du système (traduit par des diagrammes, prototypes).
  3. Les problèmes peuvent être résolus par un ensemble de solutions plus ou moins acceptables que le concepteur doit alors évaluer. Cela implique la mise en œuvre de fonctions d'évaluation.
  4. Cette évaluation est cyclique et s'effectue par approximations successives.
  5. Les concepteurs ont tendance à préciser progressivement les contours du système, laissant ainsi la place à des alternatives.
  6. Ils décomposent le problème en modules perméables ayant des intersections et des liens plus ou moins forts.
  7. Leur démarche évolue de buts abstraits aux spécifications concrètes en passant par des abstractions de plus en plus spécifiques.
  8. Ils utilisent des systèmes symboliques ou graphiques pour décrire les résultats intermédiaires.

Cette analyse du processus de résolution de problèmes montre bien que la démarche du concepteur consiste à conserver une vision globale, tout en proposant plusieurs solutions possibles au problème afin de le cerner (il est clair que la séparation entre l'analyse du problème et sa solution reste floue: un problème totalement défini est résolu). D'autres études sur des concepteurs et ingénieurs de domaines et savoirs différents [Maccoby1991] ont conforté cette vision par le constat que l'approche la plus fréquemment employée est de rechercher une vision globale et détachée avant d'avancer vers des détails plus précis.

Dès lors, la proposition de solutions et leur évaluation, associées à un certain recul par rapport au problème, permettent aux concepteurs d'introduire de nouvelles contraintes. Ces contraintes réduisent l'espace des solutions possibles et permettent l'introduction de nouveaux concepts, changent les buts et induisent encore de nouvelles contraintes. Un tel constat ne confère toutefois pas à ce processus un chemin de résolution prédéterminé, mais souligne surtout son aspect incrémental et itératif. Les méthodologies, expériences et l'existant vont appuyer la démarche, mais il est nécessaire de recombiner et réinventer à chaque fois: «Le rôle du concepteur est de produire l'inattendu» [Grange1983].

Un point intéressant et prévalent dans ces études est qu'elles font émerger un aspect fondamental de la conception: la créativité. En effet, cette génération de solutions, que l'on peut en partie associer à l'introduction de nouvelles contraintes au problème, dénote de l'aspect créatif de la conception. Khaldoun ZREIK identifie d'ailleurs la conception créative comme un acte de conception sans contraintes à priori [Zreik1990]. Selon [De Paoli2004], c'est la spécification des contraintes qui n'existaient pas au début du processus qui confère alors un haut niveau de créativité.

Toutefois, on ne peut pas se limiter à une vision trop réductrice de la créativité dans la conception. Il est en effet évident que la frontière est floue entre la résolution de problèmes peu ou mal définis et la conception créative telle qu'elle a été définie précédemment (aucune contraintes de départ). Cette résolution ne se limite pas à la simple maîtrise d'une connaissance et de techniques, mais puise dans l'exploration, l'assemblage d'idées et l'utilisation de connaissances alternatives (extérieures au domaine du problème). Ce sont ces activités créatives qui, selon [Candy et Edmonds1999], font appel à une combinaison de rationalité, d'intuition et de créativité. D'une manière plus générale, la notion de conception créative relève donc de la capacité à proposer des solutions novatrices à des problèmes mal ou peu définis (en opposition à la résolution de problèmes analytiques précis). Et, plus que la qualification du problème et du nombre de ses contraintes de départ ou de leur nature, les concepteurs eux-mêmes soulignent la part importante de l'intuition. Ainsi, Jack Howe cité dans [Cross2002], «(je) crois à l'intuition. À mon avis, il s'agit là de la différence entre le concepteur et le simple ingénieur... (Je) fais une distinction entre les ingénieurs et les concepteurs de produits mécaniques... Un concepteur de produits mécaniques est aussi créatif que tout autre concepteur».

1.2.2 La créativité dans la conception

Les nombreuses études sur le processus créatif ont toutes caractérisé trois activités primordiales: l'exploration, la génération des solutions et l'évaluation.

1.2.2.1 Les activités de la créativité

Ces activités, qui synthétisent aussi les points vus précédemment, sont essentiellement basées sur la connaissance. Connaissance que beaucoup s'accordent à qualifier de prépondérante dans le processus créatif, tant au sens du savoir et des acquis du concepteur que des données qu'il va devoir extraire de l'analyse du problème ou d'autres sources.

L'exploration
L'exploration est l'activité que l'on peut qualifier de recherche. Elle met en jeu les savoirs et l'expérience, mais aussi toutes les données externes que le concepteur va pouvoir récolter et assimiler autour de lui. Ainsi, elle permet de cerner le problème, de le situer afin de pouvoir constituer un espace des solutions possibles, de délimiter le problème par des contraintes.

Ernest EDMONDS et Linda CANDY synthétisent de leurs travaux que la connaissance est un élément clef dans l'exploration des idées, du savoir et des alternatives [Edmonds et Candy2002]. Les designers, par exemple, vont se servir des usages et de retours d'expériences pour concevoir ou améliorer un objet. Dès lors, l'exploration ne peut qu'être favorisée par un accès à des sources de données, contenant différents types de connaissances qui sont examinées, évaluées et interprétées dans le sens des buts du créateur (savoirs et acquis, travaux connexes, désirs du client, spécifications du problème, dossiers de conception, ...).

Il est évident que l'exploration est un processus ouvert, qui ne peut pas être formellement modélisé. Elle doit évidemment se situer dans le domaine particulier lié au problème, se focaliser sur un ensemble complet et accessible de connaissances: savoir où regarder et comment choisir la connaissance en sont les éléments prépondérants. Mais il est toutefois indispensable de ne pas négliger les transversalités.
[Edmonds et Candy2002] souligne ainsi des aspects importants de l'exploration:

La génération des solutions
Le processus créatif se fonde aussi sur l'expérimentation et l'exploration de solutions multiples. Il s'inscrit dans une démarche itérative pour développer un résultat original et nouveau [Csikszentmihalyi1999,Schön1983]. La génération des solutions possibles implique alors l'aspect critique de la formation du problème (se poser les bonnes questions, comme pour l'exploration).

Cette démarche est à la fois un processus de synthèse des connaissances, mais aussi de proposition et d'essai à partir de l'espace initialement délimité par l'exploration et la formulation du problème (d'où son importance). Ces solutions font largement appel à des ensembles de cas analogues, pouvant même surgir de domaines totalement différents à celui dans lequel s'inscrivent les préoccupations: il faut une certaine habilité à créer des associations1.1.

Dès lors, un point important de la démarche créative est la génération de beaucoup de solutions potentielles. La focalisation sur une seule solution, et donc un chemin unique de résolution qui est souvent le plus évident dans ce cas, offre de fait moins de possibilités pour atteindre l'une des meilleures solutions. Cette habilité à considérer des chemins parallèles dans la conception est un élément important de la génération de solutions, qualifié de pensée latérale [de Bono1973].

L'évaluation
Ces solutions potentielles doivent alors être évaluées par rapport à l'ensemble de contraintes qui ont été posées au départ, ou introduites a posteriori: il s'agit alors de modifier, reformuler ou écarter des solutions. Mais l'application de ces contraintes n'est pas une fin en soi, une validation finale du processus. Elle doit être considérée comme favorisant l'émergence de nouvelles solutions créatives et de fait, l'évaluation est un point primordial [Boden1997]. Elle est souvent constante, depuis la phase d'exploration. Ainsi, le processus est itératif, l'évaluation permanente modifiant l'espace des solutions (réduction ou plus rarement extension) afin de relancer de nouvelles explorations et solutions.

1.2.2.2 Les limites du modèle

Figure 1.1: Le concepteur irrationnel (figure a) caractérise la boîte noire, la partie cachée de la conception. Le concepteur rationnel (figure b) caractérise la boîte de verre. Ces images sont tirées d'illustrations de John Christopher JONES.
\begin{figure}\setcounter{subfigure}{0}
\subfigure[\small Le concepteur \og mag...
...humain\fg.]{
\includegraphics[width=.5\textwidth]{jcjcomputer}}
\end{figure}

Il est toutefois important de tempérer ce discours en ne l'enfermant pas dans une vision ou un modèle systématique de la démarche de conception. À la fin des années soixante, John Christopher JONES a d'ailleurs remis en question la formalisation de plus en plus profonde de ces processus. Par deux illustrations, associées au concepts de «boîte noire» et «boîte de verre», il a soulevé la part d'inconnu que recèlent les mécanismes créatifs. La figure 1.1(a) illustre le principe de la boîte noire, le concepteur humain qui va produire un résultat satisfaisant sans pour autant comprendre pourquoi. La figure 1.1(b) illustre le principe de la boîte de verre, le concepteur rationnel qui à partir d'entrées va produire la meilleure sortie possible.

Ces illustrations eurent un impact certain dans le domaine1.2: considérer le principe de la boîte noire revenait à abandonner toutes recherches sur le sujet alors que celui de la boîte de verre tendait à simplifier dramatiquement les processus de conception. Cela permis une certaine modération, « gardant la possibilité de qualifier d'artistique ce qui ne pouvait pas encore être qualifié de scientifique» [Chupin2002].

Pour l'heure actuelle, ce processus itératif d'exploration, de génération de solutions et surtout d'évaluation constante est admis, même si tous les mécanismes cognitifs qui le régissent et le mettent en œuvre restent non formalisables ou difficilement identifiables (est-ce que l'intuition, dont nous parlions précédemment, est une qualité qui ne s'exprime qu'à un moment précis ?). Par contre, une fois admis, ce processus soulève le problème des capacités cognitives humaines, d'autant plus que toutes ces activités sont entremêlées. Nombre d'études et de travaux dans les sciences cognitives ont montré nos limites sur ce point, que ce soit au niveau de la mémoire ou des capacités de calcul, Donald A. NORMAN affirmant même que les capacités cognitives humaines sont largement surestimées [Norman1993]. Il est alors indispensable pour un concepteur d'utiliser des supports externes, une extension cognitive tout au long des activités qui sollicitent lourdement ses capacités. Ces représentations externes des images mentales vont solliciter le système visuel pour soulager la charge cognitive, et c'est là le grand intérêt de l'écriture mais surtout du dessin. Quelle place lui est alors donnée dans le processus créatif ?


1.2.2.3 Le dessin/croquis dans la conception

Le dessin, et plus précisément le croquis, est considéré comme partie intégrante des activités de conception créative. Il est défini comme l'outil prépondérant de la pensée, «the most important Thinking tool» [Seitamaa-Hakkarainen et Hakkarainen2000,Goël et Pirolli1989,Goël1995]. Il est d'ailleurs d'usage que, dans leur formation, les concepteurs apprennent à maîtriser les techniques de dessin à main levée afin de pouvoir esquisser le plus rapidement et instinctivement possible. Cet apprentissage, et la maîtrise qui en découle, n'est pas dénué de sens. Le dessin est en effet vu par les spécialistes de la psychologie cognitive comme une représentation de l'activité mentale, fixant les idées dans les premières phases de la conception: la concrétisation de concepts. Mais plus que cela, ces représentations visuelles dessinées, qui prennent plusieurs formes suivant les phases de la conception, sont recombinées, modifiées et adaptées.

Eugene FERGUSON propose trois catégories de dessins réalisés par un concepteur [Ferguson1992]:

  1. le dessin/croquis de la pensée («thinking sketch») qui supporte l'activité mentale du concepteur.
  2. le dessin parlant («talking sketch») qui est un vecteur de communication et de discussion pour les acteurs du processus de conception.
  3. le dessin prescriptif («prescriptive sketch») qui spécifie l'objet conçu pour les observateurs extérieurs au processus de conception.
C'est au premier, le dessin de la pensée, que nous allons essentiellement nous intéresser.

Dans la figure 1.2, un croquis de conception de l'architecte Harry SEIDLER reflète l'aspect esquissé, et donc imprécis, du dessin de conception, ainsi que la palette des représentations visuelles utilisées. Il n'y a ni format, ni restriction: celui-ci est complètement libre, le concepteur n'est pas tenu de respecter des conventions, des règles géométriques. Tout est bon pour supporter l'activité créative, et une même feuille peut alors contenir des dessins, notes écrites, symboles, calculs, etc...

Figure 1.2: Un croquis de conception de l'architecte Harry SEIDLER pour «The Riverside Center», Brisbane, Australie, 1985 (tiré de [LacyNew York]).
\includegraphics[width=\textwidth]{seidler}

Mais dans quel sens un tel dessin sert alors le processus de conception ?
Le concepteur ne se contente pas de dessiner, il observe aussi son dessin. Cette visualisation instantanée de sa pensée contient un grand nombre d'informations volontairement ou involontairement décrites. C'est justement de l'observation du dessin et de la découverte de ces idées et informations sous-jacentes que va apparaître une réaction, entraînant la naissance de nouvelles idées [Goldsmith2002,Suwa et al.1999]. On rejoint ce que nous avions précédemment exposé sur les liens et itérations entre exploration-évaluation-révision. Le dessin va être la trace de ces opérations, le support listant les contraintes du projet, la mémoire des idées instantanées, même si celles-ci semblent n'avoir aucun rapport avec le problème (exploration et génération de solutions).

Dans ce sens, il s'établit une «conversation visuelle» entre le concepteur et ses croquis, permettant l'évaluation et l'exploration de nouvelles idées [Schön1983,Goël1995]. La réflexion se fonde sur la relation établie entre la pensée et sa représentation sous forme de croquis. Nigel CROSS qualifie alors la conception de réflexive: «le concepteur doit maîtriser un genre de médium - le croquis - permettant aux idées partiellement formées d'être exprimées et réfléchies: d'être prises en considération, développées, rejetées, et reconsidérées.» [Cross2002]. Dès lors, le dessin ne peut que favoriser les décisions importantes lors des phases préliminaires de conception.

Le dessin va aussi être le support physique de révisions, raffinements et modifications. Dans le dessin de la figure 1.2, des éléments ont étés repassés et redessinés plusieurs fois (parties plus foncées, constituées de traits superposés). Cela reflète les révisions, retouches, affinages et combinaisons des idées et solutions tout au long de la création.
Une technique souvent utilisée par les concepteurs, et spécialement les architectes, est d'améliorer l'efficacité de ce principe de retouches en utilisant des calques. Cela facilite la création de séries de dessins. Mais ce ne sont pas seulement des versions ou évolutions différentes, des branches. Leur combinaison va aussi produire des solutions encore plus raffinées [Goldsmith2002].

Finalement, plus qu'un support, le dessin devient un instrument de création, par son aspect « flou». Le concepteur trace des traits qui ne sont pas forcément des descriptions précises de ses idées. Il peut alors les interpréter de différentes manières, mais ils restent ses traits et dans ce sens ils sont liés à ses idées, abstraites ou concrètes. Le concepteur expérimenté utilise le dessin pour générer des configurations qui peuvent alors «réveiller» des concepts ou objets qu'il n'avait pas encore portés au premier plan de sa pensée et qui peuvent être des solutions au problème posé. Gabriela GOLDSMITH en déduit d'ailleurs que ces «idées cachées» (« not-initially-accessible ideas») sont la clef de la compréhension du rôle du dessin dans la production de solutions: il faut chercher, car les idées, mêmes connues, n'émergent pas spontanément lorsque le processus créatif commence.

Les traits, le dessin et le dialogue critique du concepteur avec son dessin vont lui permettre de découvrir des conséquences inattendues. Tout type de visualisation peut aider à l'émergence de ces concepts, mais le dessin l'emporte de par ses avantages d'économie cognitive. Il est rapide et facile à produire, dynamique, flexible et il n'engage que peu d'efforts (nous reconnaissons et interprétons aisément nos propres dessins). Enfin, il focalise l'attention sur le problème, évitant de se disperser dans des recherches inappropriées.

1.2.3 Systèmes informatiques de support à la créativité

La créativité est une notion en partie inexpliquée et sa formalisation est impossible, bien que simulable sur certains points (nous en revenons aux illustrations de John Christopher JONES, figure 1.1). L'icône de l'ordinateur auquel est posé un problème mal défini et qui en tire une solution novatrice est définitivement laissée à la créativité des auteurs de science-fiction et d'anticipation. Nous pensons d'ailleurs que cette vision est l'une des causes principale du refus, voire du dénigrement de l'informatique par beaucoup d'esprits créatifs; d'abord par la frustration, ou même la peur: «la machine ne remplacera jamais l'esprit humain»; ensuite par l'impression d'inutilité ou d'inadéquation de l'outil: «pourquoi passer du temps à maîtriser et utiliser un ordinateur alors qu'un simple papier et un crayon suffisent».

Certains exemples prouvent pourtant que les outils informatiques peuvent supporter la créativité, voire même faire apparaître de nouvelles formes d'art (voir par exemple le festival SCOPITONE à NANTES: http://www.scopitone.org). Seulement, on constate souvent que ces artistes numériques ont du s'approprier et même souvent détourner des techniques. Un tel travail nécessite beaucoup d'efforts et de... créativité.

La question qui se pose, dès lors que le domaine de la psychologie cognitive a réussi à lever quelques zones d'ombres du processus créatif, est quels outils informatiques peuvent permettre de fournir un support à la créativité? Mais avant cela, que peut apporter un outil informatique dans un processus créatif? Pour répondre à ces questions, nous nous plaçons dans deux contextes différents: les outils détournés et les outils intégrés.

1.2.3.1 Les outils détournés

Nous avons déjà rapidement évoqué le fait que l'aspect nouvelle technique de l'informatique a introduit de nouvelles formes de création. Il est évident, et l'histoire de l'art le montre, que certains créateurs-artistes ont toujours été à l'affût et à la pointe des nouvelles techniques pour exercer leur créativité (souvent au grand dam de leurs contemporains y voyant un manque évident de sens artistique et de bon goût). Nous ne nous poserons pas la question de savoir si c'est cette créativité qui a engendré une rupture avec les techniques standards ou si c'est justement ses techniques qui ne stimulaient pas convenablement la créativité. Nous constaterons seulement que la fin du vingtième siècle a vu apparaître de nouvelles formes de création, directement liées à l'emploi d'outils numériques et informatiques (musiques électroniques, peinture numérique et modélisation 3D, mondes virtuels, etc.). Cet aspect des outils informatiques pour la création n'est pas le propos de notre travail, mais permet toutefois un constat intéressant: beaucoup d'outils informatiques initialement conçus pour s'intégrer dans des processus créatifs dits «traditionnels» ont initié de nouvelles formes de création, sans pour autant remplir toutes les tâches auxquelles ils étaient destinés.
Il reste alors à savoir où réside l'apport créatif à ce niveau: avoir eu l'inspiration d'utiliser ces outils pour ouvrir de nouveaux «buts» (en l'occurrence, de nouvelles formes d'art), ou bien continuer à les utiliser pour atteindre ces buts.

1.2.3.2 Les outils intégrés

Plus proche des méthodes traditionnelles, et dans l'optique de nos travaux, il est une tendance visant à promouvoir les systèmes informatiques au rang de compagnon privilégié du processus créatif, au même titre que le dessin. Mais plus qu'un simple support, la large palette des techniques informatiques existantes peut apporter des valeurs ajoutées indéniables. Il est toutefois indispensable de considérer leur intégration aux étapes du processus créatif, dans le but de le favoriser (et non de s'y substituer):
  1. Lors de l'exploration. Il est évident que les systèmes d'information sont devenus des media prépondérants dans l'accès à la connaissance sous toutes ses formes et son partage, offrant des méthodes en constante évolution pour son étude, son analyse, sa fusion (bibliothèques numériques, banques de sons, images et vidéos, bases de connaissances, extraction de données, etc...). L'association de ses techniques peut sans aucun doute favoriser l'analyse de problèmes.
  2. Pour la génération de solutions. Il n'est pas impensable d'utiliser un ordinateur comme «bloc-notes» lors de l'apparition ou de la proposition d'idées. Associé aux méthodes d'interprétation (dessin, texte, parole), aux capacités d'archivage et aux systèmes récents de manipulation de la connaissance, il est probable que ce serait un support à l'émergence de nouvelles possibilités pour la découverte d'analogies (et la génération automatique de solutions, dans une moindre mesure).
  3. Pour l'évaluation. Au niveau des évaluations numériques, les capacités des ordinateurs nous dépassent largement. Pour des cas précis, l'utilisation de modèles et de simulations sont des atouts indéniables. Mais aussi, les techniques de visualisation d'une manière générale peuvent donner une autre vision de ses idées au concepteur, lui permettant alors de les évaluer autrement.
Cette liste d'apports possibles ne se veut évidement pas exhaustive. Il est toutefois un point commun que partagent toutes ses valeurs ajoutées: la nécessité de les intégrer au processus de conception. Et cette intégration passe évidemment par les méthodes d'interaction et de visualisation que va proposer le système, afin d'établir un dialogue similaire à celui que crée le concepteur avec ses dessins, par exemple.

Une approche système
C'est pourtant de tout autres chemins qui ont été historiquement suivis en informatique. La première préoccupation a été de fournir les méthodes de calculs, les modèles analytiques permettant de résoudre des problèmes bien définis. Dès lors, apparaissent des noyaux fonctionnels ultra-performants, dans des domaines variés tels que le traitement de texte et la PAO (publication assistée par ordinateur), la CAO et modélisation 3D, la MAO (musique assistée par ordinateur) et tous les X-AO que nous connaissons.
Mais, bien que les fonctionnalités et les possibilités de ces logiciels soient très étendues, les interactions et l'approche de construction qu'ils proposent ne prennent pas en compte les aspects du processus créatif que nous avons évoqués. Leurs démarches sont intimement liées aux techniques analytiques de leurs noyaux fonctionnels, nécessitant un maximum de données et de contraintes pour produire un résultat, écartant ainsi beaucoup des aspects incrémentaux et itératifs de la conception. De fait, les interfaces et les interactions se résument à des points d'accès aux fonctions du logiciel, ne laissant que peu de place à la retouche, la comparaison, le façonnage d'un concept.

Plusieurs études viennent appuyer ce discours. L'une d'elles porte sur les processus cognitifs mis en jeux lors de la création de graphismes avec un logiciel de PAO (Adobe Illustrator, en l'occurrence) par des professionnels habitués à cet outil [Bonnardel et Piolat2003].
Les auteurs constatent que l'utilisation de ce système, basé sur les mêmes paradigmes d'interaction que ses concurrents, pousse les concepteurs à prendre au plus vite des décisions majeures à propos de caractéristiques locales de l'objet à concevoir, et ce dans le but d'en obtenir au plus vite une représentation graphique (comme lorsqu'ils dessinent). Nous en revenons donc à notre propos précédent, ces outils nécessitent des données précises sur l'objet créé, qui ne sont pas forcément encore définies dans les premières étapes de conception. Mais il est évident que faire de tels choix dans les phases préliminaires réduit ipso facto l'espace des solutions possibles au problème. Dès lors, la créativité en est forcément limitée: moins d'ouverture à d'autres solutions, modifications ultérieures difficiles ou impossibles, peu de possibilités de transversalité. Cela implique un changement complet de démarche pour l'utilisateur.
Mais cette même étude soulève aussi le problème de l'effort cognitif important que génère le traitement de ces mêmes caractéristiques locales. Les auteurs supposent sur ce point que de telles préoccupations dans les toutes premières phases de la conception induisent des choix conflictuels nécessitant alors l'utilisation de fonctionnalités avancées du logiciel. Seulement, accéder à ces fonctions avancées n'est pas trivial et occupe des «ressources» cognitives qui ne sont alors plus disponibles pour l'activité créative.
Il est dommage que cette étude n'ait pas effectué une comparaison de la même tâche sans l'outil informatique afin de conforter réellement ses résultats (comme dans [Whitefield1986] où une telle comparaison a permis d'identifier des différences dans la tâche, sans toutefois se focaliser sur les aspects cognitifs engagés). Comment doivent alors êtres conçus les outils informatiques de support à la création?

Une approche utilisateur
Il est très peu envisageable de remettre en question la structure interne des logiciels pour «modéliser» les processus humains. Comme nous l'avons déjà souligné, il reste une part d'inconnu dans les aspects cognitifs que nous n'éclaircirons probablement pas. Comment alors les modéliser, ou au mieux les simuler. Nous pensons que la remise en question ne doit pas se poser à ce niveau et qu'il est nécessaire de conserver le fonctionnement analytique des logiciels: laissons l'ordinateur faire ce qu'il peut faire et bien, à savoir résoudre des problèmes analytiques qu'un concepteur ne peut résoudre simplement. Toutefois, ces fonctionnalités doivent évoluer pour s'inscrire dans des démarches moins strictes, plus adaptées à la conception (ainsi, pourquoi le noyau d'un modeleur 3D n'intégrerait pas aussi des outils de recherche d'analogies, ou de suggestions sur des objets incomplets).

Mais nous pensons surtout qu'une meilleure intégration du logiciel passe avant tout par une adaptation de ses interactions à l'utilisateur, une intégration basée sur la tâche à réaliser et sur la méthode (consciente ou non) qu'emploie l'utilisateur: une conception centrée utilisateur [Norman et Draper1986,Norman1998,Mackay et al.1998] plutôt que système. Là encore, il ne s'agit pas de produire un reflet du processus cognitif qu'engage l'utilisateur dans la tâche de conception [Flach et Bennett1996]. Nous retomberions dans les travers qui imposent une seule vision, une seule méthode et un seul chemin possible à l'utilisateur. Il s'agit de s'inscrire dans un principe d'interface écologique, ou chaque action réalisable et chaque but possible sont clairement accessibles et lisibles, sans pour autant être imposés. Le libre arbitre est laissé au concepteur, qui conserve la maîtrise de la méthode, des intentions et des décisions en s'appuyant sur des outils visibles et adaptés.

Considérons alors le dessin dans la conception créative. Son utilisation est simple, intuitive et naturelle. Aucun système de CAO actuel ne peut rivaliser en terme d'adéquation à la tâche et d'aisance d'utilisation. Ils ne permettent ni de reproduire, ni d'utiliser une technique aussi limpide que le dessin à main levé, essentiellement à cause de leur approche système, centrée autour des fonctionnalités de l'outil plutôt que son utilisation dans un contexte créatif [Eisentraut et Günther1997,Suwa et Tversky1997]. Dans ce sens, nous apprécions la qualification de Jean-Pierre CHUPIN qui considère que «la plupart des logiciels de CAO se comportent encore comme des assistants de dessin suréquipés» [Chupin2002]. Car, contrairement au dessin qui laisse libre champ au concepteur, l'utilisation de ces outils présuppose de la maturité du projet, ne supportant donc pas la conception créative. Il est alors nécessaire d'adapter aussi la structure même de ces logiciels afin qu'ils s'inscrivent dans un processus flou, moins descriptif et plus conceptuel.

Nous pouvons donc synthétiser ces remarques par le fait que les outils informatiques peuvent supporter la créativité à au moins deux niveaux distincts:

  1. en aidant à collecter le savoir et la connaissance, à les partager, les intégrer et voire même à générer les idées: intégration des savoirs et des savoirs-faire.
  2. en permettant la création d'artefacts créatifs dans un domaine particulier en fournissant les fonctionnalités critiques de manière claire, directe et utile: une interface écologique, avec des paradigmes d'interaction et des métaphores adaptés.

Des exemples significatifs
Des travaux comme ceux de Sharon GREENE, [Greene2002], ou Michael TERRY, [Terry et Mynatt2002], incluent déjà des notions d'exploration indispensables à la créativité. Ces outils ont été conçus pour faciliter l'exploration et l'expérimentation en permettant à l'utilisateur de ne pas faire de choix définitifs (retour arrière, itérations), mais aussi d'avoir des vues des différents choix possibles.

Le principe des Side-Views [Terry et Mynatt2002,Terry et al.2004], par exemple, est une technique très adaptée à l'exploration de solutions. Les Side-Views sont des vues instantanées de l'application partielle d'une commande à l'objet d'intérêt. Ces vues peuvent être rendues persistantes si l'utilisateur le souhaite. Ainsi, de par leur aspect dynamique, elles peuvent être appliquées, ou même chaînées et composées entre elles. La figure 1.3 montre l'application simple de ce principe à un outil d'édition d'images.
D'une part, ces vues rendent plus explicites les possibilités et fonctionnalités de l'outil. Mais elles sont surtout une trace de la construction de chemins alternatifs dans l'exploration de solutions.

Figure 1.3: Le principe des Side-Views, [Terry et Mynatt2002,Terry et al.2004], appliqué à un éditeur d'images. Ces vues fournissent au concepteur les résultats potentiels de l'application d'une commande.
\includegraphics[width=\textwidth]{sideviews}

Cette prévisualisation et manipulation des solutions possibles est une réalisation des «What-if tools», principe plus général proposé par Ben SHNEIDERMAN [Shneiderman2000]. Il souligne en effet l'aspect fondamental de pouvoir, dans un processus créatif, essayer, expérimenter et retracer la démarche sans pour autant la figer. Mais plus que cela, il propose aussi un cadre complet pour l'intégration des outils informatiques dans la démarche de conception créative [Shneiderman2000,Shneiderman2002]. Cette proposition met en relation les quatre activités principales du processus créatif, «Collect - Relate - Create - Donate», avec huit tâches pouvant supporter la créativité, voire l'améliorer. La figure 1.4 représente ces associations.
Il est intéressant de constater que beaucoup d'outils informatiques existent déjà pour accomplir beaucoup de ces tâches (recherche d'informations, visualisation, collaboration, simulations, etc.). L'enjeu majeur est alors leur combinaison et leur intégration homogène et transparente dans un même environnement, un contexte créatif.

Figure 1.4: Un cadre créatif pour les outils informatiques. Proposé par Ben SHNEIDERMAN [Shneiderman2002], ce framework créatif met en relation les quatre activités principales du processus créatif avec huit tâches pouvant supporter la créativité, voire l'améliorer.
\includegraphics[width=\textwidth]{creativeframework}

Toutefois, bien que les activités d'exploration, collaboration et dissémination (collect, relate et donate) soient couvertes par beaucoup d'outils informatiques, il reste à notre avis un long chemin à parcourir pour atteindre un support efficace de l'activité de création (create). Nous en revenons donc toujours au problème de la démarche inadaptée qu'imposent les outils actuels, car par trop axée sur une conception orientée système, ne supportant pas ou très peu les aspects flous de la démarche créative (ce que Ben SHNEIDERMAN appelle en particulier «Thinking by free associations, Exploring solutions, etc.»).

Cadre de nos travaux
C'est sur cet aspect précis de la conception créative que nous positionnons nos travaux: comment concevoir un outil informatique de support, et même d'amélioration, de la créativité dans les premières phases de la conception ? Nous nous restreindrons pour cela à un domaine précis, celui de la conception architecturale que nous décrivons dans la section suivante. Ensuite, nous montrerons dans le chapitre 3 les conditions que doit remplir un tel système, à partir des travaux que nous avons exposés dans ce chapitre et de nos propres études. Dans le chapitre 4, nous proposerons une première réalisation d'un tel outil: SVALABARD.

Mais plus loin que cela, nous constaterons l'inadéquation même des outils informatiques de conception d'Interaction Homme-Machine qui limitent à notre avis le développement des systèmes interactifs: souvent conçus pour un unique paradigme d'interaction et particulièrement figés, ils conduisent au développement d'interfaces stéréotypées, inadaptées à la réalisation de tâches avancées. L'utilisation de tels environnements pour le prototypage, la conception et la combinaison d'interactions avancées nécessite toujours de lourds efforts de programmation.
De plus, et bien qu'ils ne leur facilitent pas forcément la tâche dans le contexte des interfaces non-standard, ils s'adressent principalement à des utilisateurs programmeurs. Pourtant, il est maintenant acquis par la communauté que les informaticiens ne détiennent que rarement tous les savoirs et les connaissances pour proposer des outils comme ceux que nous avons évoqués précédemment [Chatty et al.2004]. Le travail conjoint d'ergonomes, graphistes et développeurs est devenu un élément clef de la conception des IHM.
Mais les outils dont ils disposent sont-ils adaptés? Comment, dès lors, proposer des outils créatifs si la créativité des concepteurs de ces outils est elle-même limitée par ceux qu'ils utilisent ou qu'ils détournent? Nous aborderons ces problèmes dans la seconde partie de ce mémoire et nous proposerons alors une solution basée sur un nouveau modèle d'architecture logicielle (chapitre 7) réalisé dans une boîte à outils prototype: MAGGLITE.

Mais pour lors, revenons à nos préoccupations sur l'étude des processus de conception créative, et tout spécialement dans le cadre de l'architecture. Dans la section suivante, nous cernerons les particularités du processus de conception architecturale, cadre particulier des notions que nous venons d'aborder. Nous verrons la place qu'y tient le dessin et l'apport que pourraient fournir des outils informatiques, spécialement la modélisation 3D, dans ses premières phases. Associée au chapitre suivant sur les outils actuel de modélisation 3D (outils commerciaux ou expérimentaux), cette section sera, plus qu'un état de l'art, la base des savoirs ayant inspirés nos travaux.

stuf
2005-09-06