2.3. Spécifications manuelles.

Spécifier une posture manuelle consiste à définir, outre la configuration manuelle, à quel endroit de l’espace du signeur se trouve la main et comment elle est orientée. Voyons comment ces informations peuvent être encodées.

2.3.1. Localisation.

2.3.1.1. Contraintes liées à l’utilisation de l’espace en langue des signes.

Du point de vue linguistique, seules sont pertinentes un nombre restreint de localisations dans l’espace ou sur le corps du signeur. Rappelons que Stokoe n’en retient que 12 (présentées en annexe 1.2) – auxquelles il convient d’ajouter la main de base – et le DILS [CEP 98] une vingtaine pour la LSF. Liddell et Johnson [LID 89] aboutissent au même total de base (12 sur le visage, 6 sur le torse et 2 sur le bras), alors que Moody [MOO 83] distingue une quinzaine d’endroits sur le corps.

 

Mais lorsqu’il s’agit de décrire un mouvement pour le synthétiser, ces quelques points ne se révèlent pas suffisamment précis et ne peuvent donc être utilisés tels quels. Par exemple, le gestème de localisation en avant du torse (l’ " espace neutre " de Stokoe) est bien trop étendu pour savoir d’où part la main et où elle aboutit. Des renseignements supplémentaires de distance au buste ou de hauteur par rapport à la taille sont notamment requis. Le système de spécification de Liddell et Johnson est ainsi affiné à un point tel qu’au moins 80 points corporels peuvent être différenciés (en modifiant les positions de base par de légers décalages dans diverses directions – cf. annexe 1.3).

De fait, au niveau lexical, un système de synthèse performant ne saurait s’affranchir de pouvoir calculer pour le bras une position quelconque de l’espace atteignable. Car quand bien même les postures extrêmes du mouvement seraient limitées à un ensemble de valeurs prédéfinies, les positions intermédiaires devraient malgré tout être calculées. En effet, une simple interpolation entre configurations initiale et finale du bras n’est par exemple pas possible dans les cas où la trajectoire est courbe (arc ou cercle).

Au niveau grammatical en revanche, les processus mis en jeu font intervenir des localisations discrètes. Ainsi, les pronoms personnels sont constitués de références indexées bien définies par rapport à la ligne signeur-interlocuteur. Le même système déictique est utilisé pour désigner un objet réel ou virtuel sur la scène, ou pour établir une localisation par indexation. Il est également possible d’assigner un positionnement par translation de l’ensemble du signe vers la droite ou la gauche ; l’expression du temps du discours use d’un procédé analogue de décalage spatial, mais en avant/arrière cette fois. L’utilisation de localisations symboliques est par conséquent envisageable à ce niveau en tant que particularisations des précédentes.

 

2.3.1.2. Spécifier une localisation.

Les mouvements des signes étant produits avec les seuls bras, l’espace de travail correspond à celui atteignable par ces articulateurs (étudié avec précision dans [LEN 94]) : il se situe en avant du plan frontal et majoritairement au-dessus de la taille, même si quelques rares signes (tels short, caleçon ou jambe) atteignent la partie supérieure de la jambe.

Afin de spécifier une position de cet espace, un repère cartésien global est attaché au buste du signeur virtuel, centré au niveau de la ceinture à l'intersection des plans sagittal (XY) et frontal (XZ) (voir figure 2.12)

 

Figure 2.12 : Axes et positions de l’espace du signeur.

 

Un ensemble de positions symboliques est ensuite choisi le long des trois axes ainsi définis, constituant un maillage de l’espace dont les points sont repérés par l’intersection de trois plans (horizontal, frontal et sagittal[11]). Ces différents points ont été établis en s’inspirant de ceux retenus par Liddell et Johnson [LID 89] ; en particulier, les finesses des treillis sont comparables. Leurs valeurs sont exprimées en fonction des mensurations du signeur de façon à pouvoir modifier la taille de ce dernier sans conséquence sur les signes décrits à l’aide de ce système. Ces positions se sont révélées suffisamment nombreuses pour servir de spécification dans la majorité des signes. Il reste possible néanmoins de donner un point sous forme de ses coordonnées spatiales, bien que cette solution soit moins lisible et que l’on perde alors l’avantage des valeurs paramétrées.

Cette notation permet d’indiquer aisément une position dans l’espace ou sur le buste. En revanche, elle n’est pas adaptée pour spécifier des points sur l’autre bras ou le visage, qui dépendent eux de la configuration corporelle à l’instant considéré. C’est pourquoi nous avons fourni le moyen, dans une spécification de localisation, d’utiliser plutôt un point du corps. Celui-ci se présente sous forme d’un symbole qui n’est évalué à l’exécution qu’après avoir correctement positionné les articulateurs impliqués. Ainsi, si ce point corporel appartient à la main de base (comme dans bouteille, figure 2.13), le bras non-dominant doit être configuré avant de pouvoir calculer le point de contact (en l’occurence dans notre exemple, le milieu de l’annulaire).

Les points de contact considérés se situent:

Des études linguistiques plus poussées devraient permettre de déterminer s’il faut prendre en compte davantage de points sur le visage. Il se peut en effet que ceux retenus ne soient pas suffisants : étant donné que la face est l’endroit où se focalise le regard de l’observateur, ses éléments sont perçus avec plus de précision que ceux du torse – appartenant, eux, au champ de vision périphérique.

 

2.3.2. Points manuels et orientation.

2.3.2.1. Points manuels.

Dans les situations où il y a contact entre la main dominante et un point corporel, il est plus pertinent et plus facile de spécifier la partie de la main concernée plutôt que la position du poignet, qui n’est pas connue avec précision. Lors de l’évaluation de la spécification manuelle, c’est ce point de contact qui occupe la localisation au lieu du poignet.

La figure 2.13 illustre les points manuels considérés, avec un exemple d’utilisation pour chacun. Ainsi, dans le signe collier, c’est l’extrémité de l’index (#ExtrémitéIndex) qui est initialement positionnée à la localisation #(X=Epaule, Y=Contact, Z=CôtéContralatéral). Pour encoder crayon, la position est cette fois le point corporel #EspaceIndex-Majeur, et celle-ci est occupée par le point #MilieuIndex de la main dominante.

 

Figure 2.13 : Points de contact manuels.

 

2.3.2.2. Orientation.

Pour les linguistes, l'orientation de la main est avant tout celle de la paume. Il semble en effet que ce critère suffise pour identifier un signe sans ambiguïté, étant donné le faible nombre de paires minimales différenciées par la commutation phonologique. La description la plus communément adoptée est ainsi la possibilité, pour l'intérieur de la paume, de s'orienter selon l'une des six directions principales de l'espace : vers l'avant ou l'arrière, le côté gauche ou le droit, face au sol ou au ciel.

 

Figure 2.14 : Orientation absolue
(une boîte, une caisse)
 

 Néanmoins, l'orientation n'est pas toujours facile à spécifier avec un système aussi simple et de nombreux cas limites apparaissent délicats à catégoriser. C'est pourquoi certains auteurs, notamment l'équipe néerlandaise du projet SignPhon [CRA 96], proposent d'autres possibilités dans leur codage phonologique des signes, telles que des combinaisons des directions citées ci-dessus.

Dans l'optique de synthèse qui est la nôtre, nous ne pouvons éviter de spécifier complètement l'orientation de la main, sous peine d'obtenir une représentation bien trop grossière – voire " robotisée " – du signe. En d'autres termes, il nous faudra décrire non seulement la direction de la paume, mais encore celle de l'index dans le plan de cette dernière, c'est-à-dire le couple (cf. figure ci-contre) :

{ vecteur normal à la paume et dirigé vers l'intérieur ,

vecteur directeur de l'index tendu }

Noter que la direction de prise en considération ici est toujours celle de l'index (virtuellement) tendu, telle que dans la configuration " Main plate " – comme dans la figure 2.14. Autrement dit, est orienté selon l'axe du troisième métacarpien, de CMC3 vers MCP3, quelle que soit la configuration manuelle réelle du signe.

Comment dès lors définir ces vecteurs, et surtout, quel niveau de détail adopter dans les différentes directions ? En première approche, une seule subdivision entre les points cardinaux est suffisante. Ceci nous fournit, pour chacune des 8 directions dans le plan horizontal, autant de possibilités dans le plan radial ainsi défini. Soit au total un choix de 26 directions spatiales pour la paume et 8 pour l'index , une fois fixé.

Aux six directions principales de l'espace ont été affectés les symboles suivants, sachant que l'axe X du torse est confondu avec la colonne vertébrale et que Y est orienté vers l'avant du signeur (droitier ici) :

Avant [Front] +Y   Ipsi [Ipsi] -Z   Haut [Up] +X
Arrière [Back] -Y Contra [Contra] +Z Bas [Down] -X

 

La figure 2.15 illustre un exemple de choix d'orientation : dans le plan horizontal, la direction radiale choisie est #( Avant Contra), étant finalement défini par la combinaison de cette direction avec #Haut. Le vecteur est ensuite choisi dans le plan dont est la normale.

Figure 2.15 : Directions possibles pour l'orientation absolue (exemple : crédit).

Si cet ensemble d'orientations absolues semble effectivement constituer les traits pertinents en la matière, il est des cas où spécifier une orientation relative se révèle bien plus aisé. Il s'agit de donner explicitement les angles – éventuellement sous forme de valeurs discrètes prédéfinies – qui, une fois les angles du bras fixés, déterminent l'orientation de la main. Ce sont les 3 rotations successives (voir figure 2.16) :

  • rotation axiale de l'avant-bras, appliquée au niveau du coude (pronation / supination d'angle yc);
  • 2 rotations au niveau du poignet : abduction / adduction d'angle qp et flexion / extension jp.

 

Dans bien des situations, il n’est d’ailleurs nécessaire de fournir qu'un seul de ces angles (le plus souvent, la rotation radio-ulnaire de l’avant-bras).

 

 

Figure 2.16 : Orientation relative et définition des angles du poignet.