Sous-sections

5.4 Perspectives

Pour conclure ce chapitre, et cette première partie, nous proposons un survol non exhaustif des travaux futurs et perspectives de recherche que peut selon nous engendrer notre approche. Dans un premier temps, nous évoquerons l'évaluation de notre système, étape qu'il sera indispensable de réaliser afin de vérifier nos hypothèses. Nous proposerons ensuite des pistes pour l'amélioration de SVALABARD (traitement de courbes, autres types de dessins architecturaux) mais aussi pour son ouverture et son adaptation à d'autres domaines ou modes de conception (informatique mobile, design, art, conception collaborative).

5.4.1 Évaluation

SVALABARD est actuellement un prototype issu de nos études et de nos choix de conception. Il est évident que des évaluations seront nécessaires pour valider et améliorer ces propositions. Bien que n'ayant pas encore mis en place ces tests, nous avons toutefois envisagé leur contenu et leur déroulement. L'évaluation de l'utilisabilité de SVALABARD sera essentiellement basée sur la perception que peuvent en avoir d'éventuels utilisateurs, ainsi que sur les performances du système (évaluation des techniques d'interaction et des «taux de réussite» des algorithmes).

Choix des sujets
Il nous semble important d'évaluer notre système sur un panel de professionnels, tout particulièrement des architectes exerçants ou ayant exercé dans la conception de projets. Nous sommes toutefois conscients que la mise en place d'une telle évaluation avec un groupe de professionnels risque de ne pas être aisée. C'est pourquoi nous nous tournerons probablement, comme dans notre étude sur le trait, vers des personnels et étudiants d'Écoles d'Architecture.

Tâche libre
La partie importante de cette évaluation sera la proposition d'une tâche libre, d'un but à atteindre en utilisant le système comme le sujet l'entend. La consigne pourra reprendre par exemple celle que nous avions proposée pour notre étude préliminaire (concevoir un bâtiment nouveau ou en reproduire un connu sans supports graphiques). Cette partie de l'évaluation permettra de vérifier en partie la démarche que permet le système dans un contexte créatif. En partie, car il est évident que le temps d'apprentissage réduit ne permettra pas une appropriation complète de l'outil. Cela mériterait une étude plus longue, avec diffusion du système, mais nécessitant alors beaucoup plus de travail et de moyens (système plus stable et robuste car pas d'assistance directe durant les manipulations, besoin des dispositifs d'entrée, etc.).

Plusieurs données pourront alors être considérées, dépendant des points à évaluer: une évaluation subjective du système par les sujets (questionnaire) et une analyse quantitative basée sur des mesures pendant les activités (choix de l'utilisateur et performances du système).

La mise en place d'un tel travail nécessite beaucoup de temps et de moyens pour être réalisée dans de bonnes conditions. C'est en partie pourquoi nous n'avons pas encore pu la mettre en place. De plus, l'évaluation que nous proposons ne prend en compte que la première approche du système, son utilisabilité et sa prise en main. Bien qu'étant indispensable pour une première validation ou invalidation de nos choix afin de les améliorer, il nous semble qu'il serait aussi important de mettre en place une évaluation de plus longue durée, concernant l'appropriation du système par les utilisateurs (pour vérifier en particulier la notion de liberté dans son utilisation et sa configuration).

5.4.2 Interpréteurs

5.4.2.1 Courbes

Comme nous l'avons précisé auparavant, nous avons essentiellement focalisé nos travaux sur les interactions et outils du système plutôt que sur les aspects techniques de l'interprétation des dessins et leur reconstruction en 3D. Il est évident que la transformation d'un croquis en données compréhensibles pour un système informatique a des impacts sur l'interaction, et c'est pourquoi nous avons tout de même émis des propositions à ce sujet (traitements bas niveau du dessin, propositions pour des traitements plus avancés et interactions associées). Nous n'avons toutefois pas encore évoqué un point de recherche intéressant: l'interprétation et la reconstruction en trois dimensions de courbes.

Il va de soi que la conception architecturale ne repose pas uniquement sur des enveloppes polyédriques comme le propose actuellement notre système. Il en est de même pour les autres domaines et pour la modélisation 3D en général. Dès lors, le système que nous proposons se doit de prendre en compte le dessin de courbes, afin de permettre leur reconstruction en 3D.

Du point de vue de l'interaction, l'interprétation de courbes en temps réel a déjà fait l'objet de recherches fructueuses comme par exemple [Sezgin et al.2001], dont nous avons déjà adapté les résultats pour la segmentation des traits. L'interprétation de trait courbes permet d'en obtenir une approximation par une courbe de Bézier. Pour ce qui est de leur modification, et donc des principes d'itération que nous avons mis en avant dans notre approche, la méthode proposée par Thomas BAUDEL dans [Baudel1994,Baudel1995] nous parait adaptée. Ces méthodes peuvent rapidement être implémentées et rajoutées dans notre cascade de traitements, grâce à son architecture modulaire.

Si nous évoquons ce point dans cette section sur les perspectives, c'est surtout parce que la reconstruction de courbes continues en 3D nécessite une recherche complète et une évolution majeure du noyau de reconstruction 3D que nous connectons à SVALABARD. En effet, les formalismes géométriques actuels du noyau ne permettent pas la représentation et la reconstruction de courbes continues5.2, bien qu'il soit tout de même possible d'en construire des approximations par des segments.

5.4.2.2 Dessin géométral et annotations

Une autre voie d'évolution intéressante consiste à étudier l'introduction de calques de dessin géométral sur la feuille augmentée. Ces calques permettraient la création de plans de construction dans le même environnement et avec les mêmes principes que pour le dessin en perspective. Le concepteur pourrait tirer partie de la projection en coupe plane du modèle 3D reconstruit, associée à des algorithmes d'interprétation de dessin 2D tels que ceux d'ESQUISE [Leclercq et Juchmes2002]. C'est une piste intéressante pour la réunion des deux approches dans le but de fournir un outil de conception architectural plus complet.

Toujours sur la question des interprétations, une codification et une reconnaissance des annotations tracées sur la feuille augmentée améliorerait les capacités descriptives du système, ainsi que ses possibilités en terme de simulations. En effet, l'utilisation de symboles et de mots usuels (cuisine salle de bain), toujours dans le même esprit que les interactions d'ESQUISE, est un bon moyen pour l'identification des espaces fonctionnels d'un éventuel calque de dessin plan. Mais aussi, dans le cas général, la reconnaissance d'écriture pour les annotations offrirait des possibilités d'indexation et d'archivage des croquis pour la gestion de projets architecturaux.

5.4.3 Conception «mobile»

Depuis quelques années et la démocratisation de l'informatique mobile (assistants personnels, mais surtout «TabletPC»), la notion de CAO mobile a émergé. La puissance croissante de ces plateformes informatiques a permis de prendre en compte un aspect important de la démarche du concepteur, en particulier en architecture ou en construction: la mobilité. Ainsi, des logiciels commerciaux proposent de la CAO sur ces plateformes; nous pouvons citer par exemple POCKETCAD PRO [Arc Second, Inc2004], POWERCAD PRO [GiveMePower Corporation2004] et FIELDPROFESSIONAL [fieldDesigner, Inc2004] (basés sur AUTOCAD) qui permettent d'emporter l'environnement de CAO directement sur le site de construction, les deux derniers offrant même des possibilités de capture des données de stations de base et de scanners laser. Toutefois, ces approches basées sur les paradigmes standards de CAO offrent à notre avis encore moins de capacités créatives que leurs versions de bureau (voir figure 5.1). En effet, mis à part l'aspect portable et mobile, rien n'a été mis en œuvre pour améliorer les aspect créatifs de la conception; au contraire, ce sont même des systèmes encore plus spécifiquement orientés construction que les systèmes de bureau.

Figure 5.1: Conception embarquée. Au delà du clin d'œil de la figure (a), nous avons voulu montrer l'inadaptation des environnements de CAO et de leurs interfaces actuelles à l'informatique mobile, et ce que nous appelons donc la conception mobile. (la figure (b) est tirée de [Masry et al.2004]).
\begin{figure}\setcounter{subfigure}{0}
\subfigure[Mobilité avec la CAO actuell...
...gestuelles.]{
\includegraphics[width=.336\textwidth]{tabletPC}}
\end{figure}

A contrario, une application telle que SKETCHBOOK PRO [Alias2005a] a été orientée vers la créativité, par une métaphore de carnet de dessins sur un TabletPC (mais sans interpréter ces dessins). De la même manière, le système de modélisation 3D proposé dans [Masry et al.2004] est présenté avec un TabletPC. Toutefois, il n'offre pas de réels avantages par rapport à l'utilisation d'une tablette écran, si ce n'est la mobilité. Le stylet est utilisé comme une souris et ses capacités étendues ne sont pas prises en compte (pression, inclinaison). Si l'on écarte des apports indéniables au niveau algorithmique, le système n'apporte pas de réelle évolution sur les aspects interaction par rapport à ses prédécesseurs tels que Digital Clay.

SVALABARD nous semble par contre très approprié pour une application à la conception créative mobile. Sa configurabilité permet son adaptation rapide et interactive aux entrées « simplifiées5.3» d'un TabletPC, tout en conservant ses principaux atouts tels que les feuilles d'interaction, les calques de dessin et les interactions associées (voir figure 5.2). D'une table à dessin virtuelle, SVALABARD peut alors rapidement devenir un carnet de croquis 3D. Mais cette configurabilité du système permettrait aussi de connecter des dispositifs tels qu'une webcam ou un micro pour capturer et insérer des sons et images du site. Dès lors, la combinaison avec un outil de reconstruction 3D à partir d'images et de documents (tel que celui que nous avons proposé dans [Huot2000,Hégron et al.2000]) offrirait des perspectives nouvelles pour les premières phases de la conception de nouveaux bâtiments directement dans l'environnement auquel ils sont destinés, à même le site.

Figure 5.2: SVALABARD sur TabletPC.
\begin{figure}\setcounter{subfigure}{0}
\subfigure[]{
\includegraphics[width=....
...figure[]{
\includegraphics[width=.48\textwidth]{SvaltabletPC2}}
\end{figure}

5.4.4 Conception augmentée et collaborative

D'autres perspectives de recherche intéressantes pouvant tirer partie de nos propositions portent sur la conception en réalité augmentée et la conception collaborative. Par réalité augmentée, nous entendons aussi bien des environnements que l'on pourrait qualifier de « naturels», tels qu'un bureau virtuel comme celui proposé dans [Safin et al.2005] (voir figure 5.3(a)) ou plus complexes, faisant intervenir des appareillages et des interactions plus avancées comme dans [Broll et al.2004] (voir figure 5.3(b)). Ces mêmes environnements et plateformes matérielles ou logicielles interviennent aussi dans le cadre des systèmes informatiques pour le travail collaboratif.

Figure 5.3: Conception augmentée et/ou collaborative. La figure (a) présente les derniers travaux menés par le LUCID group sur le bureau virtuel ESQUISE. La figure (b) est un système de conception en réalité augmentée conçu au FRAUNHOFER INSTITUTE.
\begin{figure}\setcounter{subfigure}{0}
\subfigure[\esquise Virtual Desk. (Phot...
...ofer FIT 2004)]{
\includegraphics[width=.47\textwidth]{arthur}}
\end{figure}

Dans une démarche de conception architecturale individuelle comme nous l'avons supposée jusqu'à maintenant, nous avons souligné l'importance que tenait l'environnement et la métaphore qui émerge du système informatique. Pour améliorer l'espace de travail, il serait intéressant d'étendre la métaphore de table à dessin virtuelle que nous avons proposée à un bureau virtuel comme celui proposé par le LUCID group avec ESQUISE. Les techniques de manipulation directe utilisées dans SVALABARD prendraient alors tout leur sens et pourraient être poussées encore plus loin dans la métaphore: feuilles multiples sur le bureau, pliage des calques et déplacements des feuilles directement avec la main, etc.

Mais un tel espace de travail est aussi un atout pour intégrer complètement l'outil informatique dans les étapes exploratoires de la démarche créative. Comme nous l'avons précisé dans le premier chapitre, la recherche et la manipulation de la connaissance sont des points importants de la créativité. Ce principe de bureau virtuel favoriserait, par l'espace disponible, la manipulation de documents hétérogènes pouvant être utilisés dans la démarche créative (plans, images, modèles 3D, sons, etc.) ainsi que la collaboration directe entre différents acteurs de la conception. SVALABARD pourrait alors devenir un composant d'un système de conception collaborative de plus grande envergure, inspiré par exemple des «Surfaces Augmentées» proposées par Jun REKIMOTO [Rekimoto et Saitoh1999]: utilisation de feuilles réelles et virtuelles, de documents tangibles ou numériques, d'objets physiques ou virtuels, etc., le tout dans un même environnement (voir figure 5.4).

Figure 5.4: Les Surfaces augmentées de Jun REKIMOTO créent un environnement de travail collaboratif mêlant documents virtuels et physiques (figure (b)), et favorisant l'échange (l'«Hyper Drag» de la figure (c), par exemple, permet d'échanger des objets entre les différents espaces physiques)
\begin{figure}\setcounter{subfigure}{0}
\subfigure[]{
\includegraphics[width=....
...subfigure[]{
\includegraphics[width=.313\textwidth]{rekimotoc}}
\end{figure}

Le portage logiciel de SVALABARD vers de telles plateformes matérielles serait facilité par les fonctionnalités avancées de la boîte à outils sur laquelle il repose (pointeurs multiples, interactions avancées, gestion de nombreux dispositifs, etc.). L'accent pourrait alors être mis sur l'adaptation des techniques d'interaction proposées, ainsi que le prototypage de nouvelles fonctionnalités dans le cadre d'une démarche plus globale de conception.

5.4.5 Application à d'autres domaines

Comme nous l'avons précisé au début de ce mémoire, nous nous sommes orientés vers l'étude et l'application de nos travaux à la conception architecturale. Il s'en est alors suivi une démarche basée sur une étude et des hypothèses de conception liées à ce domaine. Toutefois, les lignes directrices que nous avons proposées se veulent le plus générales possibles, dans le but d'améliorer la conception des outils de modélisation 3D par le croquis dans les premières phases de la conception.

Quelles sont alors les pistes pour une adaptation de nos travaux à d'autres domaines de conception créative, telles que le design ou même l'art ? Les paradigmes d'interaction et la métaphore de SVALABARD évoquent le point commun à ces différents domaines: le dessin à main levée dans une démarche la moins contrainte possible. Nous sommes d'avis que l'adaptation de notre système à d'autres domaines passe en premier lieu par la spécification de traitements du dessin particuliers et adaptés à ce domaine, comme nous l'avons fait dans le cadre de la conception architecturale; que ce soit à bas niveau (filtrage des traits, fusion des points et des segments) ou à plus haut niveau (pistes que nous avons proposées pour la détection des propriétés et leur propositions à l'utilisateur). Ainsi, une démarche identique à celle que nous avons menée, en se basant sur une étude de dessins spécifiques au domaine pourrait permettre le développement de nouveaux traitements du dessin et l'adaptation de SVALABARD. Sur ce point, la modularité et la flexibilité de notre approche de traitement du dessin est un atout majeur pour de telles évolutions, évitant une refonte globale du système. Et il en est de même pour l'utilisation d'éventuels périphériques d'entrées ou techniques d'interaction spécifiques à un domaine d'application.

stuf
2005-09-06