Sous-sections

5.2 Finalisation du système

Nos travaux apportent des solutions interactives pour l'analyse du dessin. Ils peuvent être complétés sur la détection (et l'aide à la saisie) des propriétés du dessin nécessaires pour sa reconstruction 3D et la connexion au noyau mathématique de GINA. Nous avons commencé à explorer les problèmes que soulèvent encore ces derniers éléments.

5.2.1 Détection des propriétés du dessin

Afin de concrétiser complètement notre approche de dessin libre pour la modélisation 3D, il est important d'introduire des modules de détection automatique des propriétés géométriques du dessin afin d'en obtenir le plus d'informations possibles pour le noyau de reconstruction.
Car, même si nous avons proposé des interactions permettant de la soulager, la saisie de ces contraintes géométriques reste un facteur limitant la créativité. Outre la quantité non négligeable d'informations à saisir, cette démarche impose une spécification précise du modèle, ce qui s'avère être contraire à la démarche floue et progressive des premières étapes de la conception. De plus, il s'agit d'une spécification basée sur un langage géométrique, et non architectural (dans notre domaine d'étude) ou du domaine du concepteur (design, ingénierie). Il nous semble alors primordial que le système prenne en charge le plus possible cette tâche, tout en proposant d'éventuels retours à l'utilisateur dans un langage ou un formalisme qui lui soit adapté.

Nos premiers traitements sur le dessin à main levée permettent d'en obtenir une représentation structurée. Dans la continuité de ces traitements, le système doit prendre en charge, du moins en partie, la construction d'une représentation de plus haut niveau, une interprétation sémantique. Une telle analyse s'apparente au domaine de la reconnaissance de formes, sur lequel nous ne nous attarderons pas plus ici. Nous citerons les travaux récents de Peter A. C. VARLEY sur l'interprétation de dessins d'objets polyédriques [Varley2003,Varley et al.2004]. Les méthodes employées et les résultats obtenus par les différents modules qu'il propose nous semblent adaptables à:

  1. notre problématique, car permettant la détection des propriétés et des parties cachées du dessin pour le noyau de reconstruction;
  2. notre domaine d'application, car bien que réalisées pour l'ingénierie, ces propositions nous paraissent adaptables à l'architecture par la définition de nouvelles heuristiques;
  3. notre architecture logicielle, car suffisamment modulaires pour permettre leur insertion dans notre cascade de traitements.

Mais il s'avère que le problème majeur de cette détection des propriétés est son insertion dans une démarche itérative, où les données ne sont connues qu'au fur et à mesure de la construction et peuvent de plus être révisées à tout moment. C'est pourquoi il sera aussi important d'envisager l'utilisation de techniques compatibles avec une telle démarche. Nous pensons notamment aux travaux récents sur les ontologies et leur utilisation dans les bases de connaissances [Fürst2004]. Cette approche permet une représentation de haut niveau des données, offrant aussi des techniques de raisonnement adaptées à la démarche itérative. L'enjeu est alors de déterminer précisément le domaine des connaissances manipulées: si les connaissances du domaine de la géométrie projective sont évidemment celles qui se prêtent le mieux au raisonnement pour l'interprétation de haut niveau du dessin [Fürst et al.2003], elles ne nous semblent pas adaptées au langage de l'architecte (ou du designer) pour ce qui est d'éventuels retours à l'utilisateur.

Car quoi qu'il en soit de la fiabilité de ces méthodes, il nous semble mal indiqué de vouloir penser «tout automatique» dans un système dédié à la conception, ne serait-ce que par l'ambiguïté ou la multiplicité des interprétations possibles. Ainsi, nous pensons que ces techniques devront être insérées dans le but de soulager l'activité inévitable de précision du modèle qu'induit l'outil informatique (activité qui n'existe pas dans le processus habituel de conception). Ainsi, les interactions que nous avons proposées pour la saisie des contraintes pourront être une première piste pour guider le système ou corriger d'éventuelles interprétations erronées.

Il convient alors de se poser la question de savoir si une telle démarche ne contredit pas nos principes de ne pas imposer un chemin défini d'avance au concepteur en lui demandant d'expliciter trop tôt ses choix. Nous aborderons ce sujet du dialogue à établir entre l'utilisateur et le système dans la section 5.3.2, où nous discuterons une solution possible.

5.2.2 Connexion au noyau de reconstruction

Nous n'avons pas réalisé le dernier module de notre chaîne de traitement du dessin: la connexion au noyau de reconstruction 3D, ayant jugé comme prioritaire la spécification et la conception des interactions. En effet, les problèmes soulevés par la connexion au noyau s'avèrent être surtout d'ordre technique. Il est par contre évident que cette dernière étape est indispensable pour tester et évaluer le système.

Le noyau proposé par Alex SOSNOV [Sosnov2003] est un solveur de contraintes géométriques incrémental. Il permet, à partir des caractéristiques 2D d'un dessin (points, segments et plans) et de leurs propriétés géométriques (incidences, parallélismes et orthogonalités) de reconstruire le modèle 3D polyédrique correspondant. Outre ses atouts liés à la performance et l'efficacité, cette approche permet une reconstruction incrémentale, tout a fait adaptée à notre application pour deux raisons:

  1. Cette notion de reconstruction incrémentale permet une saisie et une gestion de données incomplètes, même si celles-ci n'aboutissent pas à la reconstruction d'un modèle. Le noyau va alors maintenir la cohérence des données déjà reçues, et effectuer des propagations permettant d'inférer de nouvelles contraintes.
  2. Cette même notion permet en outre l'ajout de propriétés et le raffinement du modèle.
Cette démarche s'inscrit donc bien dans les premières phases de conception où sont manipulées et raffinées des données incomplètes.

La connexion entre notre système d'interprétation des dessins et le noyau va devoir établir un dialogue entre les deux entités. Le système d'interprétation devra envoyer les données recueillies au fur et à mesure au noyau, celui-ci envoyant en retour son état, ainsi que les propriétés qu'il aura pu inférer (modèle reconstruit, propriétés géométriques déduites, erreurs ou propriétés manquantes). Se pose alors le même problème que précédemment à propos de la présentation de ces retours à l'utilisateur; en terme de quantité, tout d'abord (doit-il tout voir et tout savoir ?), de sémantique (contraintes, géométrie, ou éléments du domaine ?) et de mode de représentation. Nous avons déjà abordé la représentation des propriétés géométriques sur la feuille augmentée dans le chapitre précédent. Nous reviendrons sur la représentation d'éventuels problèmes de reconstruction dans la section 5.3.2 de ce chapitre.

5.2.2.1 Amélioration du rendu 3D

Nous souhaitons aussi apporter des améliorations au rendu du modèle 3D que nous avons proposé. Dans [Schumann et al.1996], les auteurs montrent par une étude comparative que les architectes perçoivent différemment un modèle 3D rendu de manière «standard» et non photo réaliste. Ils constatent qu'un tel mode de visualisation rend plus ouverte la discussion et la spéculation sur le modèle, offrant plus de liberté en cours de conception. Bien que notre rendu actuel évoque déjà une certaine «imprécision» de par son aspect non-photoréaliste, nous pensons qu'un rendu des lignes de type crayonné serait encore plus efficace pour conforter l'utilisateur dans sa démarche créative. Le logiciel SKETCHUP que nous avons déjà présenté permet d'ailleurs une représentation de type croquis, basée sur une jointure imprécise des lignes, ainsi que leur prolongement. Nous pensons utiliser une méthode similaire, inspirée de [McGuire et Hughes2004] et [Nienhaus et Döllner2004].

5.2.2.2 Croquis en 3D

Enfin, nous devons aussi réaliser notre proposition de projection du modèle 3D dans la feuille de dessin après manipulation par l'utilisateur. Ainsi, il aura la possibilité de continuer son dessin dans un autre point de vue afin de le compléter, de l'affiner.

Bien que proche du concept proposé par Takeo IGARASHI dans TEDDY [Igarashi et al.1999], où il est possible de changer de point de vue pour modifier la forme en construction avec des gestes, une telle technique de croquis de conception en trois dimensions n'a à notre connaissance pas encore été proposée. Dès lors, plus que l'intérêt de son implémentation, il sera à notre avis important d'évaluer l'impact, positif ou négatif, de cette technique sur l'utilisateur et sa démarche. Nous pensons particulièrement à une perte des informations de conception existantes dans le dessin original. Comme nous l'avons vu dans le chapitre 1, le dessin n'est pas qu'une simple «image» de la pensée du concepteur. Il est aussi l'historique et le support des révisions au cours de la conception. Peut-on, mais aussi doit-on, reproduire ces notions lors de la reprojection du modèle 3D dans un nouveau point de vue sur la feuille de dessin?

stuf
2005-09-06