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Apprendre en construisant des hypertextes ? – Christian Euriat – Université Nancy 2 - 2002

5. Étude de terrain

 

5.1. Collège Alfred Mézières

5.1.3. Analyse des travaux des élèves

Thomas

(trois observations, le stalinisme, l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie, trois productions et un entretien)

 

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Observation de Thomas lors de la séance sur le stalinisme.

Examen de la production de Thomas sur le stalinisme.

Observation de Thomas lors des séances sur l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie.

Examen des productions de Thomas sur l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie 

 

Observation de Thomas lors de la séance sur le stalinisme

Thomas travaille sur la deuxième série de diapositives. Respectant la consigne et les conseils du professeur, il commence par le traitement des définitions, tâche dont il s’acquitte en moins d’un quart d’heure. Il éprouve pourtant certaines difficultés. Il peine à lire les textes des résumés à l’écran et les agrandit pour y parvenir plus facilement. Il ne semble pas qu’il soit embarrassé par la manipulation du logiciel en tant que telle, encore que l’on puisse soupçonner un certain décalage entre la réalité de son aisance et la conscience optimiste qu’il affiche lors de l’entretien :

[…] techniquement, pour ce qui est de la manipulation du logiciel… ?

Oui, oh oui, c’était très bien.

[…]

Donc, ça va, moi j’ai bien aimé, mais je ne sais pas, il y en a peut-être... enfin, moi, j’ai trouvé ça simple.

[…]

Ah non, c’est beaucoup plus simple, c’est beaucoup plus... enfin moi, je préfère largement l’informatique par rapport au manuel, c’est beaucoup plus... beaucoup plus rapide, beaucoup plus précis.

[…]

Moi, l’informatique, je suis un fana d’informatique.

 

Assez tardivement, Thomas profitera de ce que le professeur répond à des questions de son voisin à propos des consignes pour les écouter attentivement. Il se plaindra d’ailleurs à la fin de ne pas avoir eu assez de temps, faute d’avoir bien compris dès le début ce qu’il fallait faire. La version imprimée du résumé semble plutôt l’embarrasser que lui rendre service. Après plusieurs hésitations, il la met définitivement de côté en déclarant que « de toutes façons, c’est dans l’ordinateur ». Il procède pas à pas, diapositive après diapositive, en prenant soin de modifier les flèches et de mettre les expressions choisies en gras.

Pour les documents, après en avoir constitué une liste, il avance aussi de diapositive en diapositive. A chacune d’entre elles, il va regarder les images sans les parcourir systématiquement, mais plutôt intuitivement, semble-t-il, en fonction des souvenirs qu’il en a et qui paraissent en général assez exacts à l’observateur. Il remplit les cadres de légende sans se référer à la liste. Il donne l’impression de se servir intuitivement de sa mémoire des images. Il ouvre en effet souvent le manuel pour y retrouver des documents qu’il se souvient manifestement d’avoir vus, ou qu’il croit parfois avoir vus alors qu’il les confond avec d’autres plus ou moins ressemblants. Quant au document 11, l’intrus qui montre un défilé militaire dans les années 1980, il y voit « le quatorze juillet », avant de se reprendre immédiatement par un « mais non ! C’est chez les russes. ».

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Examen de la production de Thomas sur le stalinisme

Dès la première diapositive et jusqu’à la fin, Thomas a augmenté la taille de la police des caractères dans les cadres de résumé et dans une partie des autres cadres, comme l’avait fait déjà Loïc, mais un peu plus loin dans l’exercice. Les conséquences à en tirer sont les mêmes.

 

Diapositive 9

Figure 88

Les deux définitions sont traitées. La définition « plusieurs partis, élections libres » pointe sur le mot « multipartisme » qui est mis en gras, alors qu’elle devrait viser « démocratie à l’occidentale ». Nous avons rencontré la même erreur dans le travail de Jean-Pierre. Je ne reproduirai pas ici le commentaire que j’en ai déjà fait. Il est frappant que les deux élèves aient agi de la même façon. Il faudra s’interroger sur les effets de cette économie cognitive qui peut fausser le jugement de l’élève en l’orientant vers une solution évidente et facile à ses yeux, mais malheureusement fausse ou très inexacte.

La deuxième définition n’est pas non plus celle qui était attendue. Il fallait associer « parti unique qui exerce tous les pouvoirs » à « PC, le guide du pays ». Thomas fait pointer la flèche sur le mot « totalitarisme » qu’il met en gras. L’erreur ressemble à la précédente. J’emploierais volontiers à leur sujet l’expression de « métonymie abusive », une partie d’un tout est confondue avec le tout, et, à rebours, le tout est réduit à l’une de ses parties. Malgré la ressemblance des résultats, les causes de cette erreur ne sont peut-être pas tout à fait les mêmes que celles de la précédente. Il n’y a pas, entre « totalitarisme » et « parti unique », la même parenté lexicale aveuglante qu’entre « plusieurs partis » et « multipartisme ». Mais dans les deux cas, on note une confusion entre un concept et un de ses attributs et on soupçonne fortement l’absence d’une opération de classification de niveau fin concret qui aurait permis d’apporter les distinctions nécessaires. Il n’est pas sans intérêt non plus de noter que l’élève a éprouvé le besoin de définir « PC » en créant un nouveau cadre définition portant l’indication « Pati (sic) communiste ».

Cette diapositive contient un cadre de légende. Le document attendu était le numéro 15, Staline fleuri par des enfants, qu’il fallait associer au mot « culte » selon le corrigé strict, ou à l’expression complète « objet d’un véritable culte » selon une lecture plus extensive. Or Thomas place ici la photographie du premier mai sur la Place rouge, document 9, sans même faire pointer la flèche sur une expression du résumé. En fait, il déplace le cadre et retourne la flèche vers l’image elle-même, ce qui est conforme aux usages en matière de légende, mais pas à la consigne de l’exercice. En allant voir derrière l’image, on trouve un tout petit rectangle qui ne semble pas vide. En le sélectionnant, puis en l’agrandissant, on découvre qu’il s’agit du document 12 sur les revenus et les prix. L’élève l’aura placé là dans un premier temps. Il se sera ravisé et n’aura pas trouvé d’autre moyen de s’en débarrasser que de le rendre tout petit pour ensuite le cacher derrière une nouvelle image. Il n’est pas question de l’armée dans le résumé de cette diapositive, et pourtant Thomas renseigne le cadre qui pointe sur l’image avec la légende « Effectifs de l’armée », ce qui semble vouloir dire que d’une part, il surdétermine la présence des militaires sur le document (métonymie abusive ?), et que d’autre part, il associe spontanément l’idée de la force militaire à celle du contrôle étatique ou de la dictature évoqués dans ce résumé, n’ayant pas aperçu la pertinence du rapport entre cette diapositive et le document 15, qu’il ne placera d’ailleurs nulle part.

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Diapositive 10

Figure 89

Deux des cadres de définition pointent exactement comme c’est attendu sur les termes du résumé, celui qui contient « police politique » sur « NKVD », mis en gras, et « camp d’internement […] » sur « camps du Goulag », le mot « Goulag » étant en gras. Le troisième souffre d’une petite approximation qui rappelle un phénomène que nous avons déjà rencontré. La définition « aveu extorqué sous la torture, pas d’avocat, peine décidée d’avance » est associée à « Grandes purges de Moscou », mis en gras, au lieu de l’être à « procès truqués ». Certes, les Grandes purges de Moscou sont bien typiquement des procès truqués, comme le moineau est typiquement un oiseau, pour reprendre l’exemple utilisé dans le chapitre sur les concepts, et ce que l’on peut dire de ceux-ci peut l’être aussi de celles-là. Néanmoins, c’est bien le concept de « procès truqué » qui est à construire par l’association des attributs contenus dans le cadre de définition, ce qui requiert un travail de niveau cognitif plus élevé. Peut-il l’être également par un effet de typicalité à partir de l’exemple typique des « Grandes purges de Moscou » sans faire courir le risque à l’élève d’en venir à croire que les aveux extorqués, l’absence d’avocat et les peines décidées d’avance sont une exclusivité du stalinisme ?

Le document souhaité était le numéro 8, le tableau sur les purges. Thomas choisit le document 11, le défilé militaire dans les années 1980, qui est l’intrus comme nous le savons bien maintenant. Comme dans la diapositive précédente, il retourne la flèche du cadre de légende vers l’image. Est-il impressionné encore une fois par la chose militaire ? Le choix de cette photographie est assez difficilement explicable, la référence à des chefs militaires dans le résumé n’entrant guère en résonance avec une exhibition de matériel. La légende proposée par Thomas est en elle-même surprenante. Non seulement il manque complètement les indices donnés par la nature des matériels militaires, mais il situe le document à la prise du pouvoir par Lénine, ce qui le place avant la période étudiée. S’agit-il d’une simple confusion au moment de la frappe du nom ? Confond-il les deux personnages ? Mais il est vrai que l’idée d’une « prise du pouvoir » a quelque chose à voir avec l’usage de la force, éventuellement militaire.

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Diapositive 11

Figure 90

Cette diapositive comporte deux cadres de légende pour lesquels on attend la photographie de la Place rouge un premier mai et la statue de l’ouvrier et de la kolkhozienne. La statue, document 14, est bien présente. Fidèle à sa manière, Thomas a retourné la flèche vers l’image, ce qui ne l’a pas empêché de mettre en gras les mots « la sculpture, la littérature, les artistes ». Comme présumé dans l’analyse a priori, comme chez Jean-Pierre, l’association avec « réalisme socialiste » souhaitée par le professeur n’a pas été faite. Cette association relève d’une manipulation de catégories très abstraites de l’histoire de l’art ou d’une sensibilité artistique dont rien ne nous autorise à penser que l’élève en soit incapable ou dépourvu, mais dont on comprend très bien que, même s’il en dispose, il ne les mobilise pas ici, alors qu’une solution plus simple et plus économique se présente à lui. Quant à la légende placée là par Thomas, « la reprise de la production », elle traduit sans doute ce qu’évoque pour lui la statue, et qui ne manque pas d’une certaine légitimité, il faut le reconnaître, à moins de vouloir nier que le réalisme socialiste ne se soit souvent mis au service des orientations productivistes de l’économie soviétique de l’époque.

L’autre cadre de légende, celui de gauche, a fait l’objet d’une tentative de traitement. La flèche a été retournée vers le bas. Comme on ne peut guère avancer raisonnablement l’hypothèse que les mots mis en gras, « sculpture, [etc.] » le sont à la fois pour les deux documents, on doit constater l’absence de mise en gras pour ce cadre de gauche. Le contenu du cadre, « Tableau de la scolarité », est tout simplement aberrant ici, alors qu’il convient tout à fait au même endroit sur la diapositive suivante. Il faudrait, semble-t-il, en conclure à une erreur de manipulation du logiciel. Mais en fin de compte, il n’y a pas de document sous le cadre de légende.

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Diapositive 12

Figure 91

Cette diapositive est entièrement traitée, à la manière de Thomas, si je puis dire, puisque les flèches des cadres de légende ont été encore cette fois retournées vers les images elles-mêmes. Dans le résumé, les expressions « l’analphabétisme » et « pénurie de logement » ont été mises en gras, ce qui répond à l’attente du professeur et ne comporte pas d’ambiguïté dans le rapport aux documents choisis. Ces derniers, les numéros 13 et 10, sont placés ici judicieusement. La légende de celui de gauche « Tableau de la scolarité » est certes un peu maladroite mais désigne son objet d’une façon acceptable. Une remarque doit être faite à propos de celui de droite, « Reclation (sic) pour obtenir un logement ». On remarque que, comme on l’a déjà constaté chez Jean-Pierre au même endroit, il y a de la part de l’élève une erreur sur la nature du document.

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Diapositive 13

Figure 92

Cette dernière diapositive nous offre une surprise. On se souvient que Thomas s’était intéressé tardivement aux consignes en venant écouter ce que le professeur répondait à son voisin à leur propos. Je n’ai pas noté sur le moment à quelle diapositive précise il en était dans son travail. Mais il se trouve que la flèche du cadre de légende de cette dernière diapositive pointe vers le résumé conformément aux consignes. Les deux définitions sont traitées. La première associe comme attendu « théorie énoncée par K. Marx » à « marxisme », mis en gras dans le résumé. La seconde, « logement […] » vise « Nomenklatura » alors que c’est « privilèges » qu’il aurait fallu choisir. Jean-Pierre avait fait la même erreur.

Le document choisi est le numéro 12, celui qui convient. Il est associé à l’expression mise en gras « des contrastes existent pourtant entre les paysans ». Or cette expression n’est que le début d’une phrase qui signale les contrastes entre les paysans et la Nomenklatura. L’enrichissement typographique effectué ici par l’élève tend à faire penser que les contrastes sont situés à l’intérieur de la catégorie sociale des paysans, alors qu’elle est homogène et que le document veut montrer son handicap par rapport à d’autres catégories. Bien sûr, il aurait pu étendre sa sélection jusque « Nomenklatura », mais dans ce cas, il n’aurait pas pu signaler ce mot en tant que tel pour l’associer à la définition correspondante. C’est une contrainte de l’exercice qui lui interdit cette solution et lui demande au contraire de réduire la sélection mise en gras au minimum, c’est-à-dire au seul mot « contrastes ». Ce qu’il ne fait pas. On peut alors penser que, soit il a fonctionné par classification à un niveau cognitif relativement élevé, fin concret puisqu’il lui faut croiser les critères du tableau avec la notion de contraste, et il s’est arrêté sur la difficulté technique relevée ci-dessus, soit, ce qui paraît plus vraisemblable, il a été économe et il a seulement effectué une correspondance terme à terme de niveau pré-opératoire entre les occurrences du mot « paysans », comme nous l’avions envisagé dans l’analyse a priori.

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Observation de Thomas lors des séances sur l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie

Sur l’Italie fasciste, Thomas choisit la deuxième diapositive, concernant les réalisations économiques (deuxième partie). Je n’observe pas d’incident dans l’utilisation du logiciel. Sa stratégie part des images et il garde près de lui le texte du résumé écrit sur papier.

Il se dit tout de suite frappé par la ressemblance entre le mot « autarcie » en français dans le résumé et « AVTARCHIA » sur le document Doc 5 et il se propose de les associer. En même temps, il manifeste un peu d’embarras parce qu’il ne sait pas au juste ce que ces mots veulent dire. Au même moment, il se trouve que l’un de ses voisins demande des éclaircissements au professeur à ce sujet. Thomas profite de l’aubaine pour confirmer son intuition. Pour les deux autres documents, il hésite assez longtemps. Il a du mal à lire les mots écrits dans ces documents qui sont, rappelons-le, une carte et un schéma. Il agrandit les images. Il fait plusieurs navettes entre elles et le résumé. Il fouille dans son livre.

Il finit par se décider à associer le document où il peut lire le mot « corporations » (Doc 6), au mot « corporatisme » dans le résumé, sans grande conviction et manifestant son embarras de prendre une décision sans avoir bien compris le sens des termes et des images en question. Il met les expressions choisies en gras. Il remplit les cadres avec des légendes et place les flèches en les dirigeant vers les images et non pas vers les mots en gras.

Sur l’Allemagne nazie, Thomas choisit la deuxième diapositive, qui parle de la politique raciale du régime. Il est toujours très à l’aise avec le logiciel, comme lors de ses précédentes prestations. En revanche, et là aussi comme lors des séances précédentes, il éprouve des difficultés visuelles à déchiffrer les documents, ce qui le conduira à des manœuvres au-delà de ses compétences et à de sérieux ennuis techniques lors de la séance sur l’Allemagne nazie. Cependant, et il faut probablement y voir un signe de son aisance envers l’outil, il saura reprendre son travail sans désemparer :

J’me souviens que j’avais pas eu assez de temps, enfin du moins, j’avais pas eu assez de temps, j’l’ai fait assez vite parce que j’avais eu deux problèmes en agrandissement, justement… j’me souviens avoir fait ça, j’me souviens avoir agrandi ce texte là et j’arrivais plus à le rapetisser dans les [ ?]… j’ai dû tout éteindre, refermer le logiciel et le reprendre et toutes les données étaient effacées.

T’as perdu du temps ?

A mon avis j’ai…

Alors y’a fallu que tu recommences ton boulot…

J’ai tout, tout recommencé.

 

Il ne change pas non plus de stratégie par rapport à celle qu’il avait adoptée pour l’exercice sur l’Italie fasciste. Toujours calme et méthodique, il part de l’observation des documents iconographiques. Mais il modifie légèrement sa tactique en notant les références (c’est-à-dire Doc 5, 6 et 7) des images sur une feuille et en leur attribuant ce que je serais tenté d’appeler des légendes provisoires : pour Doc 5, il note « photo représentant un homme sur des milliers de corps humains » ; pour Doc 6, « magasins juifs boycottés », en justifiant cela à haute voix par un « j’ai déjà vu cette photo » ; et pour Doc 7 « Texte des lois de Nuremberg », justifié par « c’est un  texte », « on peut lire « paragraphe 1, paragraphe 2 », donc c’est un texte de loi », et « on peut lire que ça parle de l’interdiction des mariages pour les juifs ».

Il élimine Doc 6, les magasins boycottés. Il associe Doc 7 à « lois de Nuremberg » et Doc 5 à « nuit de cristal » en justifiant ce dernier choix par le souvenir d’un ordre qu’aurait donné Hitler de « tuer environ 3000 personnes à cette occasion ». Il met les expressions choisies en gras. Il écrit des légendes dans les cadres et il place les flèches, cette fois dans le bon sens, c’est-à-dire vers les expressions en gras dans le texte. L’exercice complet lui aura pris un petit quart d’heure.

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Examen des productions de Thomas sur l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie

La production de Thomas sur l’Italie fasciste répond aux attentes du professeur. Les mots « corporatisme » et « autarcie » sont en gras dans le résumé et ce sont bien les deux documents Doc 5 (l’affiche de propagande pour l’autarcie) et Doc 6 (le schéma comparatif entre deux conceptions des rapports sociaux) qui sont placés dans la diapositive.

Figure 93

Certes, comme je l’ai remarqué en l’observant pendant son travail, Thomas n’a pas dirigé les flèches partant des cadres de légende vers le texte mais vers les documents. La conséquence en est que les liens ne sont pas formellement créés entre ces documents et les mots en gras. Mais ici, la correspondance est tellement limpide qu’il serait tout à fait abusif de ne pas faire l’hypothèse que les liens existaient bien dans l’esprit de l’élève. Le contenu des cadres de légende confirme bien que nous avons affaire à une simple correspondance terme à terme. Il y reprend en effet les mots « autarcie » et « corporatisme », tels quels, en les enrobant chacun dans une formule un peu maladroite : « Photo de la pratique de l’AUTARCIE » et « Tableau introduisant le CORPORATISME ». En rapprochant ce constat des observations sur place, on est en droit de douter de la bonne compréhension par l’élève des termes qu’il manipule. Les opérations intellectuelles restent, certes, d’un niveau cognitif pré-opératoire très accessible en tant que telles et l’exercice scolaire est « réussi ». Mais l’élève a-t-il appris quelque chose de plus sur le corporatisme et l’autarcie dans l’Italie fasciste ? On peut douter que le travail de conceptualisation attendu puisse se satisfaire d’un fonctionnement au stade pré-opératoire.

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Dans le cas de la séance sur l’Allemagne nazie, l’exercice scolaire n’est que partiellement conforme à ce qui est attendu. Si Thomas relie bien comme il faut le fac-similé d’un extrait des lois de Nuremberg (document Doc 7) à l’expression correspondante dans le résumé, en revanche, il ne fait pas le bon choix pour l’autre document.

 

Figure 94

Les mots « Les lois de Nuremberg (1935) » sont mis en gras et la flèche pointe bien sur eux, à partir du cadre de légende où l’on peut lire : « Extrait des Lois de Nuremberg ». C’est une correspondance terme à terme dont on sait qu’elle fonctionne à deux niveaux successifs. La production confirme ce que nous avions observé. Thomas associe d’abord l’apparence formelle du document à l’expression « lois de Nuremberg ». Puis il s’intéresse au sens et retrouve les termes « mariages » et « juifs » à la fois dans le résumé et dans le document, ce qui lui permet d’opérer une deuxième correspondance terme à terme probablement plus pertinente que la première en termes d’apprentissage, encore que toujours assez superficielle.

L’entretien nous apprend qu’il peut prendre soin d’examiner assez attentivement les différents indices et qu’il a cherché à en estimer la pertinence par rapport aux choix qu’il avait à faire. Il n’est pas très commode de suivre ses déclarations, qui sont plutôt embrouillées au début, mais on y perçoit bien son souci de justifier ses options au nom de ce qu’il appelle lui-même la « logique ».

Oui, parce que… toi, qu’est-ce que tu te souviens d’avoir fait comme travail ?

Je me souviens avoir importé la photo, celle-ci.

Celle-ci, c’est la 6.

Donc oui, donc c’est le document 6, donc par rapport au texte « la politique raciale », par rapport au petit 1, c’est les lois de Nuremberg. […] Mais je crois que j’ai importé le document 7 par rapport au deuxième, parce qu’il est marqué « la décision… » […]. Non, non, attendez, j’me trompe ; non, ça le document 6, je l’avais importé pour les lois de Nuremberg parce qu’ils disent, euh… qu’il y a les mariages, qu’il y a surtout le port de l’étoile de David, là on la voit très bien et à mon avis j’ai importé celle-ci pour la… la… Nuit de cristal. Le document 5, à mon avis, je l’ai importé pour le deuxième [inaudible][…].

Tu penses avoir importé ces deux là ? […] En fait, c’est pas ça que tu as fait,[…]. Tu as importé le doc 7 et…

…Le doc 5.

Le doc 5. Alors est-ce que maintenant…

Ah ouais, mais c’est plus logique, hein, c’est logique, hein, parce que…[…] Eh ben oui, enfin là, j’me comprends, même tout de suite, j’me suis dit, ça va pas, non ça, ça aurait été… ça c’est plus important.

Ça, c’est le 7.

Le document 7 est plus important que le document 6 pour parler des lois de Nuremberg parce qu’en fait là c’est vraiment le... le p’tit texte, en fait c’est, euh, en fait c’est la conclusion, euh, de ce paragraphe, le document 7 et, euh, tout à l’heure j’me suis dit non ça va pas, mais, euh, par contre ça, c’est... à mon avis non, là y’a pas de doute…

Y’a pas de doute sur l’autre ?

Je pense pas, parce que, bon, la Nuit de cristal c’est là où y a eu des milliers et des milliers de morts. Hein, je pense que ça doit être ça. Mais euh... ça c’est plus imp... pour les lois de Nuremberg le document 7 est plus important que le document 6. Ça, en fait, ça reviendrait… en fait, ça, on devrait mettre… le document 6, on devrait mettre un peu plus bas, en médaillon comme ça pour, euh…

 

L’imbrication de fait entre les différents niveaux de lecture et d’interprétation des documents possibles, celui de la volonté politique nazie, celui des textes législatifs, celui des événements, peut donner une légitimité à plusieurs associations qui ne sont pas celle attendue formellement par le professeur, étant bien entendu que ce dernier a toujours accepté l’idée que l’élève puisse proposer d’autres solutions que les siennes, sous réserve qu’elles soient argumentées.

Le deuxième document choisi devrait être Doc 6, la photographie des magasins juifs boycottés, associé à l’expression « Après les boycotts de 1933 », au début du premier paragraphe du résumé. Mais c’est celle du charnier de Bergen-Belsen (Doc 5) qui est placée sur la diapositive. Thomas écrit « Une fosse  commune après un carnage » dans le cadre de légende et fait pointer la flèche sur « nuit de cristal » qu’il a mis en gras ainsi que « les premières grandes persécutions ». Il est manifestement très impressionné par l’expression « Nuit de cristal » :

Oui, en fait, c’était les lois de Nuremberg, en fait les plus importantes. Mais je me souviens, qu’il y avait le boycott… ah oui, la Nuit de cristal. Ah oui, ben, c’est pour ça qu’il y avait la fosse commune… ah oui, ça y est, ça me revient.

Plus loin :

Oui. Est-ce que tu te souviens d’avoir prêté attention à la fin de… du deuxième paragraphe, ici, c’est-à-dire ce… entre parenthèses « la décision d’exterminer systématiquement les juifs ne sera prise qu’en 1942 » ?

… J’en ai… oui, j’ai pas vraiment prêté… comment… mon attention, enfin mon but... j’ai pas vraiment... ça m’a pas vraiment fait tilt quoi… C’est plutôt la Nuit de cristal qui m’a vraiment… tout de suite… parce que, bon, on connaissait.

[…]

Les premières grandes [ ?]

Les premières grandes [ ?] débutent en 1938, bla bla bla bla, ah, la Nuit de cristal et puis ça a continué. Et j’me souviens avoir mis la Nuit de cristal entre guillemets et après j’ai marqué « carnage ».

D’accord.

Alors en fait, quand j’ai vu Nuit de cristal et que j’ai vu ça, ben, pour moi j’avais demandé vraiment pour vérifier mais j’pensais que c’était ça…

 

Comme dans le travail de Loïc, les raisons de l’erreur dans le choix de la diapositive semblent assez complexes. Il apparaît ici aussi que ce n’est pas le raisonnement prévu par le professeur qui a prévalu et l’on serait tenté de croire qu’un processus plus simple d’association par correspondance entre des indices à forte valeur imaginaire ou symbolique s’y est substitué. Mais le témoignage de Thomas nous pousse au contraire vers l’hypothèse d’un travail de sa part à la fois complexe et méticuleux, et donc très différent de la démarche expéditive de son camarade Loïc. Il sera certainement plus difficile de retenir ici le simple mobile économique.

 

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Suite : Remarques

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