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Apprendre en construisant des hypertextes ? – Christian Euriat – Université Nancy 2 – 2002

5. Étude de terrain

5.2.  Au lycée Henri Poincaré

5.2.1. Contexte local

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Approché par le professeur et sollicité verbalement par moi-même lors d’une rencontre dans le cadre de nos activités professionnelles respectives, le proviseur du lycée Henri Poincaré, à Nancy, en Meurthe et Moselle, a accepté volontiers le principe de ma visite dans une classe de son établissement. Henri Poincaré est un lycée de centre ville, clairement connu comme l’un des établissements les plus prestigieux de la région. Si mes visites auront bien lieu, un projet d’entretiens individuels ultérieurs avec les élèves ne sera finalement pas retenu dans ce lycée en raison du calendrier. Ces entretiens auraient eu lieu très tard dans l’année scolaire, c’est-à-dire très peu de temps avant les épreuves de français du baccalauréat auxquelles sont soumis les élèves de première. Dans l’incapacité d’apprécier la réalité de la perturbation que pourrait apporter un entretien portant sur une activité en rupture avec les conventions rhétoriques de l’épreuve de l’examen, j’ai préféré m’abstenir de faire courir le moindre risque aux candidats. Un questionnaire écrit relevé par le professeur devrait toutefois me fournir certaines informations.

L’enseignante qui a bien voulu me recevoir est professeur de Sciences de la Vie et de la Terre (S.V.T.) et formatrice spécialisée dans les usages pédagogiques de l’informatique dans sa discipline. Elle a bénéficié d’une formation spécifique qui lui permet d’aborder sereinement les innovations pédagogiques qu’elle entreprend avec un grand recul critique, marque probable de sa formation scientifique, et dans le souci constant de l’intérêt réel des élèves.

La classe à laquelle nous nous intéresserons est une première littéraire d’un effectif de trente-quatre élèves, ce qui est banal pour une première. Pour une partie de l’enseignement des S.V.T., la classe est divisée en deux groupes de dix-huit et seize élèves, deux nombres pairs pour permettre les activités de laboratoire en binômes. Le nombre d’élèves présents effectivement dans un groupe varie légèrement d’un jour à l’autre, ce qui n’étonnera personne, mais peut perturber les conditions d’exécution d’un travail en imposant des recompositions de groupes ou de binômes ou des modifications de la répartition des matériels. J’ai été présenté à ces élèves par leur professeur comme un de ses collègues et amis. Je leur ai indiqué les raisons de ma venue et demandé si certains d’entre eux accepteraient des entretiens enregistrés au magnétophone, tout en formulant des réserves sur la possibilité de les programmer entre le moment où ils auraient complètement terminé leurs productions et leurs révisions pour l’épreuve de français du baccalauréat. Leur accueil a été très favorable pour mes visites mais une seule élève s’est déclarée volontaire pour un entretien.

Notons que les jeunes filles constituent une écrasante majorité de la population, comme on l’observe souvent dans les classes littéraires des lycées. Il n’est pas dans mes intentions de prendre en compte la variable du sexe dans mes observations. Toutefois, j’attirerai l’attention sur un point qui me donnera l’occasion d’une petite réflexion incidente.

La féminité du public, si l’on peut dire, a été déterminante dans le choix des thèmes retenus par le professeur pour ces séances de travail sur des ordinateurs et avec des hypertextes. Craignant une réaction de défiance des élèves vis-à-vis de cette nouveauté technologique, le professeur a souhaité compenser ce risque en proposant des thèmes qu’elle estimait plutôt plus motivants que le commun des contenus de programme de la discipline S.V.T. en première littéraire. C’est ainsi que son choix s’est porté sur la maîtrise de la reproduction, question supposée intéresser les jeunes filles de seize ans. On ne saurait passer sur cette attitude du professeur sans remarquer à quel point les propres représentations de celui-ci interviennent dans la détermination de ses choix pédagogiques. Il est fort vraisemblable que ces représentations soient fondées. Là n’est pas notre problème et je ne me permettrai pas, en en doutant, de faire injure au professeur et à sa triple expérience d’enseignante, de femme et de mère de famille.

Concernant le rapport des filles aux ordinateurs, on dispose de données. Par exemple, « Les jeunes et l’écran », une enquête nationale (en France) de Josiane Jouët et Dominique Pasquier réalisée en 1997 auprès des 6-17 ans montre un décalage en faveur des garçons dans l’importance quantitative de l’utilisation des ordinateurs, même dans le cas où l’on exclut les jeux vidéos de l’étude, et permet aux auteurs d’écrire que « les garçons utilisent davantage cet outil que les filles et de façon majoritaire plus longuement » [JOUËT 99, pp.48-49]. Ces mêmes auteurs citent une enquête INSEE de 1997 sur les Pratiques Culturelles des Français qui révèle que 64% des garçons ont un usage au moins hebdomadaire de l’ordinateur contre 45% des filles dans le groupe d’âge des 15-19 ans [Ibidem, p.49, note 23]. Que les filles utilisent moins les ordinateurs que ne le font les garçons n’implique pas qu’elles s’en désintéressent a priori davantage qu’eux et l’on sait que dans le cas où elles sont utilisatrices, elles se tournent alors de préférence plus que ceux-ci vers des usages réputés plus sérieux que les jeux vidéos comme l’écriture avec un traitement de texte ou la création de dessins [Ibidem, p.57]. Tout au plus peut-on penser qu’elles auront un peu moins de familiarité technique avec la machine que des garçons du même âge, de la même filière scolaire et du même milieu social, autres variables significatives en matière d’équipement et d’utilisation des outils informatiques que je ne prendrai pas en considération puisque tous les élèves concernés par cette partie de la recherche appartiennent à la même section littéraire et participent du même recrutement, celui d’un « grand » lycée d’une ville universitaire.

La salle de classe est une pièce presque carrée, très haute de plafond, encombrée d’un mobilier scolaire de fabrication récente. Les ordinateurs sont répartis sur les trois quarts du pourtour de la salle, sous les fenêtres pour la plupart d’entre eux, laissant libre un espace contigu pour le tableau, une estrade et la porte. Le milieu de la pièce est occupé par trois rangées de tables parallèles au mur du tableau qui servent aux moments d’enseignement où les ordinateurs ne sont pas utilisés. Ce mobilier très serré rend les déplacements difficiles d’un côté à l’autre de la salle et gêne le professeur pour répondre rapidement aux sollicitations des élèves. Les mêmes contraintes s’appliquent au chercheur qui devra choisir entre se tenir très près des élèves ou au contraire très loin près du bureau, une position intermédiaire n’étant pas strictement impossible à adopter mais obligeant à de longs détours ou à des exercices d’escalade certes encore à sa portée mais susceptibles de perturber les élèves dans leur travail.

Les ordinateurs qui équipent la salle de classe sont de type PC et sont au nombre de douze. Ce sont des modèles récents qui tournent sous le système d’exploitation Windows 3.11 qui est un standard tout à fait correct techniquement au moment où ont lieu les observations. Ces machines sont capables de supporter les logiciels indispensables à la production de documents hypertextuels contenant des images.

Je ne voudrais pas en terminer avec cette description succincte de l’environnement matériel sans évoquer une impression ressentie en entrant dans cette pièce, et somme toute, dans bien d’autres salles « informatiques » des divers établissements scolaires que j’ai été amené à visiter. C’est une étrange impression que je qualifierais comme le sentiment confus d’un anachronisme légitime. L’anachronisme, c’est bien banal, naît du contraste entre l’ancienneté des locaux et le modernisme des ordinateurs. Ce contraste est particulièrement vif pour un lycée comme Henri Poincaré dans les couloirs et les escaliers duquel rien n’indique que nous ne sommes plus au XIXème siècle. C’est anecdotique, mais, en face de la salle équipée d’ordinateurs dont je parle se trouve le laboratoire de S.V.T.. On y offre gentiment le café aux gens de passage et j’ai pu admirer cet endroit insolite pour le profane. Les aides de laboratoire y officient tantôt sur des instruments de mesure informatisés ultra-modernes, tantôt ils calent des fioles avec des pinces à linge dans le coin d’un évier tout écaillé sous le regard philosophique de quelques chouettes empaillées depuis des lustres dans leurs vitrines en bois. Mais curieusement, l’anachronisme ne choque pas. Il ne fait pas rire non plus. C’est là que la perception de l’anachronisme est recoupée par le sentiment de la légitimité de la présence des différents objets matériels qui peuplent l’environnement scolaire. Il y aurait sans doute une piste intéressante à suivre en étudiant la nature, les origines et les conséquences de ce sentiment de légitimité des anachronismes constatés dans l’école, ici en termes de matériels, mais ailleurs en termes de valeurs ou de finalités. On objectera avec raison qu’avant de travailler sur la nature, les origines et les conséquences d’un sentiment, la moindre des précautions serait de s’assurer de son existence en dehors d’une seule sensibilité personnelle. Bref, il y aurait de quoi construire une autre recherche. N’en parlons plus.

 

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Suite : Analyse a priori de la tâche prescrite

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