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Apprendre en construisant des hypertextes ? – Christian Euriat – Université Nancy 2 – 2002

5. Étude de terrain

5.1. Au collège Alfred Mézières

5.1.1. Contexte local

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Pressenti verbalement par le professeur et sollicité ensuite par un courrier de ma main, le principal du collège Alfred Mézières à Jarny, en Meurthe et Moselle, a retenu sans difficultés le principe de ma visite dans la classe et celui d’entretiens individuels ultérieurs avec les élèves dans l’enceinte du collège. Que les entretiens se déroulent dans le collège n’apporte pas seulement de la commodité matérielle pour leur organisation mais rend également inutiles les demandes d’autorisation aux parents d’élèves mineurs. Ces entretiens ont été considérés comme partie intégrante des activités scolaires de la classe, ce que mon statut de professeur de l’enseignement secondaire public ne pouvait que faciliter [1]. L’établissement, de taille moyenne, ne se trouve pas dans une zone réputée spécialement « sensible », selon la terminologie de convenance au moment où je m’y suis intéressé.

L’enseignant qui a accepté de me recevoir est professeur d’Histoire-Géographie et formateur spécialisé dans les usages pédagogiques de l’informatique dans sa discipline. Très impliqué dans les initiatives de terrain et soucieux de mener une réflexion critique sur ses propres pratiques avant de les faire connaître, il a pris lui-même du recul par rapport à son travail en rédigeant un rapport à destination de la Mission pour l’Innovation et la Valorisation des Réussites [2], un document très intéressant auquel j’aurai l’occasion de faire référence.

La classe concernée par notre recherche est la troisième « Diderot » du collège. Son effectif atteint vingt-trois élèves qui ne constituent pas ce qu’il est convenu d’appeler un public difficile. Selon leur professeur comme selon le principal de l’établissement avec lequel j’ai eu bref entretien, ils ont une habitude certaine des outils informatiques. Et il est vrai que lors de mes visites sur place dans une salle équipée d’ordinateurs, j’ai pu constater l’aisance et la familiarité avec laquelle ils s’installaient devant les machines. Cette familiarité aura été renforcée par un travail de découverte préalable du logiciel d’hypertexte qui servira en Histoire-Géographie. J’ai été présenté à ces élèves par leur professeur comme un de ses collègues et ami. Je leur ai expliqué les raisons de mes visites et demandé si certains d’entre eux accepteraient des entretiens enregistrés au magnétophone. Leur accueil a été des plus favorables et des relations simples et directes se sont établies très vite entre eux et moi.

L’équipement de la salle comprend une douzaine d’ordinateurs d’un modèle assez ancien incapables de supporter les logiciels pour les activités que le professeur veut mettre en place [3]. On trouve d’autre part quatre ordinateurs de type PC qui tournent sous le système d’exploitation Windows 3.11 qui est un standard tout à fait correct techniquement au moment où ont lieu les observations. Ils ne sont pas reliés en réseau mais suffisamment puissants pour qu’un logiciel adéquat y soit installé. Le professeur tire parti de cette contrainte technique en différenciant les activités des élèves. Pendant que la plupart d’entre eux travaillent à certaines tâches en binôme sur les petites machines, quatre d’entre eux sont invités à se servir des PC. Un élève ne reste pas forcément toute l’heure de cours devant un PC, il cède sa place à un autre quand il a terminé la tâche qui lui a été prescrite par le professeur et se consacre à une autre activité. C’est du moins l’organisation que je constaterai lors des trois visites que j’effectuerai dans cette classe.

Ajoutons que la salle est installée sur le modèle de la classe traditionnelle. Les petits ordinateurs sont posés sur des tables alignées parallèlement au fond de la pièce. Un cheminement permet au professeur de s’avancer et de voir les écrans des machines des élèves, alors qu’il ne les voit pas s’il reste devant eux. Il y a un tableau au mur au-dessus d’une table qui fait office de bureau pour le professeur et les fenêtres sont à la gauche des élèves, conformément aux spécifications de l’architecture scolaire fondées sur la norme selon laquelle les élèves écrivent de la main droite sur un support qui doit être éclairé au mieux par la lumière du jour. Les quatre ordinateurs PC ont été posés sur quatre petites tables contre le mur avant de la pièce et dans un retour côté fenêtres. Ils constituent une petite unité d’activité localisée relativement isolée dans la mesure où l’on y tourne le dos aux autres personnes présentes. L’angle de vue vers le tableau n’est absolument pas favorable, soit que l’on en soit trop près, soit que l’on soit tourné à angle droit par rapport à lui. La communication entre les élèves sur ces postes est très facile, quelques dizaines de centimètres seulement séparent les tables entre elles. Le professeur n’est jamais bien loin et peut répondre aux sollicitations des uns et des autres sans avoir à se déplacer beaucoup.

Cet agencement a aussi des conséquences pour les choix méthodologiques pratiques de notre recherche. Il n’est en effet pas possible à un observateur de se poster en retrait pour observer ce qui se fait sur les PC. Il ne peut que se placer parmi les élèves, tout près d’eux, sur une chaise légèrement en retrait, voire même, pour le cas d’une des machines, appuyé sur un radiateur brûlant et le dos contre une fenêtre glaciale.

L’intention pédagogique du professeur est « de faire produire et argumenter par l’élève un document d’histoire » [COLOTTE 98]. Il s’agit de « mettre l’élève en situation de mieux assimiler des notions d’histoire par une lecture critique d’images et par une reconstruction de sa trace écrite du cours ». La « pertinence des liens » placés par les élèves entre les images et le texte revêt la plus grande importance. Et c’est bien à ce titre que ce travail est intéressant pour une étude de l’apprentissage par la construction d’hypertextes. Le support de cours est la notion de totalitarisme telle qu’on l’aborde dans les programmes d’Histoire de la classe de troisième, à travers les thèmes de « Staline et le socialisme soviétique (1928-1941) », « Mussolini et l’Italie fasciste (1922-1939) » et « Hitler et le nazisme (1933-1939) ». L’approche de la notion est plutôt phénoménologique [4] et vise à provoquer sa construction par les élèves au moyen d’exemples significatifs et d’oppositions avec les caractéristiques de régimes réputés démocratiques comme ceux des Etats-Unis ou de la France à la même époque. La notion est définie par un certain nombre de propositions attributives portant sur les sous-notions suivantes : la nation, les institutions, l’économie, l’idéologie, la culture, la société, l’éducation, les symboles, les textes fondamentaux et la politique extérieure. Sans s’en réclamer et sans en suivre les prescriptions techniques, la démarche rappelle fortement celle de Britt Mari Barth à laquelle je me suis explicitement référé dans un précédent chapitre.

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Suite : Analyse a priori des tâches prescrites, analyse cognitive de la manipulation du logiciel

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[1] Il est à noter que je disposais d’une autorisation rectorale de pénétrer dans les établissements scolaires dans le cadre de mes missions académiques. Il va de soi que je n’en ai pas excipé ici et que c’est à titre personnel que j’ai sollicité les autorisations d’entrer auprès des chefs d’établissements.

[2] Les Missions pour l’Innovation et la Valorisation des Réussites (M.I.V.R., ou familièrement « Innovalo ») ont été mises en place dans les académies par le ministère Bayrou. Elles recensent les innovations réputées intéressantes et les « réussites » dans le but de les faire connaître du plus grand nombre possible d’enseignants.

[3] Il s’agit d’un « nano réseau », ensemble interconnecté de petits ordinateurs Thompson et d’un PC installé dans l’établissement en 1986 lors du plan Informatique Pour Tous (I.P.T.) et rendant toujours service dix ans plus tard.

[4] Elle semble se rapprocher de celle de Carl J. Friedrich (Totalitarianism in Perspective  - 1969), ou, pour évoquer un auteur français, de Raymond Aron. On sait que cette notion de totalitarisme a fait l’objet de discussions et que son bien fondé même a été contesté. Ni le professeur, ni les manuels qu’il m’a  montrés et que les élèves utilisent, ne fournissent leurs références théoriques. Ce n’est pas en usage dans l’enseignement au collège.