1.  

2.  

3.  

4.  

Apprendre en construisant des hypertextes ? – Christian Euriat – Université Nancy 2 - 2002

5. Étude de terrain

5.1. Au collège Alfred Mézières

5.1.2. Analyse a priori des tâches prescrites

Manipulation du logiciel 135

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Analyse cognitive a priori de la manipulation du logiciel

Le logiciel utilisé.

Le rapport homme-machine.

Examen détaillé des manipulations prescrites.

 

 

Analyse cognitive a priori de la manipulation du logiciel

Rappelons qu’il n’est pas dans mon intention de procéder à une analyse technique, ni même à une analyse cognitive de ce logiciel pour lui-même et dans son ensemble. Ce n’est pas l’objet de la recherche et d’autres outils logiciels permettent aujourd’hui de réaliser les mêmes productions par des procédés partiellement renouvelés, certes, mais fondamentalement identiques dans leur conception de l’interface entre l’homme et la machine à celle du logiciel utilisé ici. Il s’agit seulement d’analyser a priori la tâche de l’élève en tant qu’utilisateur du logiciel dans le cadre de l’exercice demandé et des consignes afférentes.

 

Le logiciel utilisé

Le logiciel utilisé, « Présentation Ô» de l’éditeur « Asymétrix », est un produit destiné à la réalisation de présentations publiques d’exposés illustrés, en principe destinés à être projetés sur un écran mural, mais pouvant sans dommage être regardés sur le moniteur d’un ordinateur. Il permet d’une part la composition de « diapositives » contenant du texte et des images, et d’autre part la construction d’ensembles hypertextuels à partir d’un certain nombre de ces diapositives. Au collège Alfred Mézières de Jarny, seule la première de ces deux fonctionnalités sera exploitée, les élèves devant seulement établir des liens entre des images et des textes à l’intérieur d’une même diapositive, ou de plusieurs, mais sans avoir à les relier entre elles. Notons qu’au lycée Poincaré à Nancy, nous pourrons observer l’utilisation de la deuxième fonctionnalité par les élèves.

Le logiciel fonctionne sur un ordinateur de type PCÔ sous le système d’exploitation WindowsÔ. Cela implique qu’il se présente à son utilisateur au travers d’une interface graphique, c’est-à-dire un environnement comportant un ensemble d’icônes, de fenêtres multiples et de menus déroulants sur lesquels on intervient principalement par pointage au moyen de la souris, mais également par la saisie de texte au clavier en cas de besoin. Nous sommes bien dans les conditions techniques effectives de la construction d’hypertextes, telles que nous les avons abordées plus haut. Presque quarante ans après les initiatives de Ted Nelson et les innovations techniques de Douglas Engelbart, les outils sont enfin réellement disponibles pour les élèves d’un collège banal.

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Le rapport homme-machine

Faut-il comprendre le fonctionnement d’une machine pour s’en servir efficacement ? La question est ancienne et je n’aurai bien sûr pas l’inconséquence de la vouloir renouveler ici. Simondon distingue « deux modes fondamentaux de relation de l’homme au donné technique […] le statut de minorité […et…] le statut de majorité ».

« Le statut de minorité est celui selon lequel l’objet technique est avant tout objet d’usage, nécessaire à la vie quotidienne, faisant partie de l’entourage au milieu duquel l’individu humain grandit et se forme. La rencontre entre l’objet technique et l’homme s’effectue dans ce cas essentiellement pendant l’enfance. Le savoir technique est implicite, non réfléchi, coutumier. Le statut de majorité correspond au contraire à une prise de conscience et à une opération réfléchie de l’adulte libre, qui a à sa disposition les moyens de la connaissance rationnelle élaborée par les sciences : la connaissance de l’apprenti s’oppose ainsi à celle de l’ingénieur. » [SIMONDON 58, p.85]

Il faut d’abord remarquer que Simondon associe clairement le statut de minorité sociale de la relation de l’homme à l’objet technique à l’enfance et celui de majorité à l’adulte libre et disposant de la connaissance rationnelle élaborée par les sciences. En ce qui concerne le rapport entre les élèves et les ordinateurs, il est relativement difficile de maintenir cette association. L’irruption massive de ces machines dans l’environnement technique quotidien est encore un peu trop récente pour que l’on puisse affirmer qu’elles ont fait partie de l’entourage au milieu duquel ont grandi les élèves fréquentant une classe de troisième en 1997.

Je me permettrai la liberté de reprendre chez Simondon les deux concepts de minorité et de majorité en les dégageant largement de leur relation avec les temps de la vie pour exploiter plutôt la distinction de nature entre les deux approches, l’une intuitive et implicite, l’autre explicite et rationnelle. C’est une sorte d’idée reçue que les interfaces graphiques de type Windows dispenseraient l’utilisateur de connaissances techniques sur le fonctionnement de la machine, considérée ici comme un ensemble indissocié de matériel et de logiciel. Certes, il serait déraisonnable et peut-être même au fond un peu prétentieux de nier l’avancée en termes de confort d’utilisation qu’ont apportée les interfaces graphiques par rapport aux lignes de commandes par lesquelles il fallait passer il n’y pas si longtemps encore pour effectuer des opérations aussi banales que le chargement ou la sauvegarde d’un fichier, par exemple. Néanmoins, l’opportunité offerte par les interfaces graphiques d’une approche mineure au sens de Simondon peut entraîner des choix de formation à l’outil qui amèneront les utilisateurs à ne pas connaître rationnellement l’objet dont ils se servent. A priori, tant que l’utilisateur se tiendra en-deçà des limites de sa compétence, et surtout tant qu’il ne se produira pas d’incident pour lequel l’interface ne prévoit pas de réponse immédiate, tout ira bien. Mais dès que quelque chose ne fonctionnera pas tout à fait comme prévu, un élève pourra se découvrir en grande difficulté, incapable d’appréhender rationnellement la situation technique dans laquelle il se trouve. Non seulement l’investissement cognitif pour tenter de surmonter la difficulté devrait être très important et d’un niveau élevé, mais il se pourrait qu’il ne suffise pas, en l’absence des connaissances techniques indispensables.

Une analyse sans doute moins fondatrice que celle de Simondon, mais du même coup plus récente, est celle de Rabardel qui, partant de l’opposition entre la métaphore de la « boîte noire » et celle de la « boîte de verre », introduit le concept de « transparence opérative ».

« La transparence opérative est un concept relationnel qui exprime la variabilité des besoins du sujet en « information » en fonction de la variabilité des situations d’action, de ses états et buts. Elle peut prendre des formes diverses : intelligibilité des transformations entre actions de commande et effets, mise en évidence des modalités de fonctionnement propres à l’instrument, auto-explication…

La transparence opérative est fonction de la distance que l’instrument inscrit entre le sujet et le réel, objet de son action, de la complexité des schèmes opératifs et représentatifs nécessaires à son utilisation, des conditions d’assimilation aux schèmes du sujet et d’accommodation de ceux-ci qu’offre l’artefact compte tenu de ses caractéristiques externes et internes. » [RABARDEL 95, pp. 189-190]

Il convient de donner quelques assurances sur la signification de certains des termes employés par l’auteur, notamment ceux d’« instrument » et d’« artefact ». Nous emprunterons une double définition à Jean Leplat, dans sa préface à l’ouvrage cité : « L’instrument est une entité mixte qui inclut deux composantes : l’objet technique ou artefact – matériel ou symbolique - et le schème (ou les schèmes) d’utilisation associé(s), construit(s) par le sujet ou résultant de l’intériorisation de procédures élaborées par d’autres ». Aussi bien dans cette dernière citation qu’au fil de la précédente, on aura remarqué la présence de notions qui renvoient au cadre théorique principal de notre analyse cognitive, même s’il est clair que Rabardel sait intégrer à ses recherches d’autres références que la seule théorie opératoire piagétienne.

Nous trouvons dans ces références à Simondon et à Rabardel des outils d’intelligibilité utiles à la prise en compte des conditions dans lesquelles se construit le rapport élève-ordinateur. On pourra notamment tenter de caractériser la transparence opérative de l’instrument pendant l’activité de l’élève et le statut de minorité ou de majorité de son rapport à l’objet technique.

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Examen détaillé des manipulations prescrites

Rappelons ce que les élèves ont pour consigne de faire avec ce logiciel. Ils doivent :

1.      afficher à l’écran des « diapositives » les unes après les autres, en avant et en arrière dans une série, sachant qu’elles peuvent se trouver dans des fichiers différents,

2.      « copier » des images dans le « bloc-note » de Windows et les « coller » au bon endroit,

3.      déplacer des cadres de texte, des images ou des flèches,

4.      éventuellement redimensionner des cadres ou des images,

5.      saisir du texte dans les cadres adéquats,

6.      sauvegarder leur travail sous un nom de fichier personnel.

 

Nous allons examiner ces sous-tâches en les regroupant en fonction de leur parenté fonctionnelle, sans perdre de vue que l’élève est souvent amené à les réaliser plusieurs fois et dans un ordre variable en fonction des circonstances et des variations de sa propre stratégie. Nous essaierons aussi de prendre en compte les situations qui peuvent naître à la suite d’une petite erreur de manipulation aux conséquences inattendues par l’utilisateur, sans bien sûr chercher à en réaliser une revue exhaustive, mais plus modestement en retenant les incidents observés en classe ou les traces d’erreurs présentes dans les productions. Davantage soucieux de simplicité et d’efficacité qu’inspiré par un excès de rigorisme lexical, je prendrai la liberté d’employer dans ce passage les expressions courantes en matière de manipulation des ordinateurs de bureau d’aujourd’hui, comme par exemple le verbe « cliquer » et le substantif « clic » pour désigner les actions réalisées par pointage à l’écran au moyen de la souris.

Examinons d’abord les sous-tâches 1, 2 et 6 : - Afficher à l’écran des « diapositives » les unes après les autres, en avant et en arrière dans une série, sachant qu’elles peuvent se trouver dans des fichiers différents. - « Copier » des images dans le « bloc-note » de Windows et les « coller » au bon endroit. - Sauvegarder leur travail sous un nom de fichier personnel. Ces sous-tâches vont impliquer essentiellement les notions informatiques de fichier et de mémoire.

Il existe en bas à gauche de l’écran une sorte de compteur qui indique le numéro d’ordre de la diapositive affichée et le nombre total de diapositives de la série, sous la forme « n sur N ». De part et d’autre de cet indicateur, on trouve deux petites icônes marquées chacune d’un triangle pointant vers la gauche ou vers la droite. En plaçant le pointeur de la souris sur une de ces icônes et en cliquant sur le bouton gauche de la souris, on incrémente ou on décrémente le compteur, tout en affichant à chaque fois la diapositive précédente ou la suivante. Il est à noter que le compteur ne se bloque pas à la fin de la série, ni d’ailleurs au début, et qu’un clic de souris au-delà de la dernière diapositive provoque l’affichage de la première. Dans la mesure où elle ne requiert pas d’autre compétence cognitive que la maîtrise de la série croissante ou décroissante des nombres entiers, il paraît clair que l’utilisation de cette fonctionnalité ne saurait poser le moindre problème cognitif à un élève de troisième, et que les seules conditions de son bon usage sont une maîtrise suffisante des déplacements de la souris et la connaissance de l’existence même de la fonctionnalité. Sur ce dernier point, on sait que les élèves ont bénéficié d’une séance préalable d’initiation à la manipulation du logiciel au cours de laquelle on leur a montré les outils dont ils auraient besoin dans la suite de leur travail.

Sans que l’on puisse considérer leur rapport à la machine comme « coutumier », ce rapport ne requiert cependant pas de réflexion et peut devenir rapidement familier, et tendre donc vers un statut de minorité, au sens de Simondon, statut qui apparaît dans cette situation comme le plus économique en termes d’investissement cognitif. Si l’on cherche à apprécier la transparence opérative, au sens de Rabardel, on observera qu’elle est grande en fonction des trois critères suivants : premièrement, la distance inscrite entre le sujet et l’objet de son action est faible, puisque qu’un simple clic de souris provoque le défilement des diapositives en affichant un numéro d’ordre. En tant qu’utilisateur dans un rapport de minorité à la machine, l’élève peut croire à l’immédiateté de l’effet de son action sur le réel, même si, à un autre moment et dans une autre posture plus proche du statut de majorité, il sera tout à fait capable de comprendre que cette immédiateté n’est qu’une illusion et que le processus qui va des mouvements de sa main à l’affichage des diapositives à l’écran est en réalité d’une grande complexité technique. Deuxièmement, le schème opératif ne présente aucune complexité, nous l’avons vu plus haut. Et troisièmement, les conditions d’assimilation aux schèmes du sujet sont favorables en raison de l’isomorphisme entre le dispositif d’affichage et les propriétés de la série croissante ou décroissante des nombres entiers, supposée parfaitement acquise et de longue date chez des élèves de cet âge.

Toutes les diapositives à traiter par l’élève ne sont pas forcément dans le même fichier, notamment dans le cas de l’exercice sur l’URSS. Dans la version utilisée au moment de mes observations, le logiciel ne permet pas l’ouverture simultanée de plusieurs fichiers ni par conséquent leur affichage séquentiel rapide, ni a fortiori un positionnement dans plusieurs fenêtres en même temps sur un même écran. S’il souhaite regarder deux documents iconographiques différents enregistrés dans deux fichiers distincts, l’élève va donc se trouver dans l’obligation de fermer un fichier et d’en ouvrir un autre. Dans la sous-tâche numéro 2, qui consiste à copier et à coller des images, il devra également manipuler des fichiers, mais probablement sans en prendre conscience. En revanche, au moment de sauvegarder son travail, sous-tâche 6, c’est en principe de façon consciente et même délibérée qu’il va procéder à l’enregistrement d’un fichier sur le disque dur de son ordinateur.

La notion de fichier informatique n’est pas spontanément construite par les utilisateurs débutants, ce qui n’est pas surprenant, en raison notamment d’une contamination du sens du terme par celui qu’il a dans son usage courant en français. « Des représentations préexistantes sont présentes chez nous tous, mais sont loin d’avoir des significations identiques : qui fait spontanément la différence entre une boîte contenant des fiches (communément appelée fichier), les fiches (individuelles), l’ensemble des fiches (physiques) et l’ensemble des informations contenues dans cet ensemble de fiches également appelé fichier) ! » [LEVY 95, p.60]. Mais elle est également loin d’être maîtrisée par nombre d’enseignants apparemment bien dégrossis dans l’usage des outils informatiques. Une étude réalisée en 1994 dans le cadre d’une recherche de l’INRP « montre une perception approximative de ce qu’est un fichier de données » chez la plupart des utilisateurs, en l’occurrence des enseignants stagiaires en formation continue [LEVY 95, pp.60-64 et 159-160]. Et si des représentations correctes sont observées relativement souvent à propos des fichiers de données, il n’en va plus de même dès qu’il est question de fichiers contenant des programmes, sans parler du cas où un prétendu fichier de programme est en fait un fichier de données pour un autre programme qui se charge de l’interpréter, comme cela se passe avec le célèbre langage Basic qui a servi de support autodidactique d’apprentissage de l’informatique à de nombreux enseignants dans les années 1980-1990.

Pour les élèves de Jarny dans la manipulation qui nous intéresse, il suffit très probablement de se représenter intuitivement un fichier de données comme la forme codée d’une image, d’un texte, d’une diapositive ou de toute une présentation, stockée sur le disque dur de l’ordinateur et identifiée par un nom comme par exemple « nazisme1.cpl » ou « Italdoc.cpl » dans le travail scolaire qui leur est demandé.

Une action dans le logiciel, c’est-à-dire un ou plusieurs clics avec la souris, permet d’afficher une image à l’écran, à partir de l’identification et du choix du fichier qui la contient. On remarquera que cette dernière formulation, quoique tout à fait opératoire dans la communication technique courante, est en fait une ellipse qui fait l’impasse sur la notion du codage. Car, comme on le sait, ce n’est pas l’image qui se trouve dans le fichier, mais un codage de celle-ci qui est constitutif dudit fichier qu’un programme utilisera comme information pour produire un affichage à l’écran. Que le contenu de ce fichier soit recopié dans la mémoire vive de l’ordinateur, là où s’opère le traitement de l’information au moment où se fait l’affichage, et que cette opération n’affecte en rien le fichier stocké sur le disque tant qu’aucune instruction de sauvegarde n’a été envoyée, même si l’utilisateur modifie ce qu’il voit à l’écran, voilà qui n’est pas facile à comprendre et échappe à la plupart des utilisateurs novices. Dans certains logiciels courants comme les traitements de texte, la présence de sauvegardes automatiques périodiques que les utilisateurs ne savent pas désactiver ou activer eux-mêmes, où dont ils ne perçoivent tout simplement pas l’existence, ne vient pas simplifier le problème. Les observations dont je dispose vont clairement dans le sens d’un constat d’incompréhension totale ou partielle sur ce point du fonctionnement de l’ordinateur par ses utilisateurs [ibidem] et rejoignent la connaissance empirique que plusieurs années de pratique de formation aux utilisations des outils informatiques peuvent en donner. Une compréhension juste nécessite manifestement un niveau cognitif formel élevé, tant les notions en cause sont abstraites, complexes, et peut-être surtout difficiles à dégager de la gangue des représentations courantes.

Ici, la transparence opérative serait faible car la distance inscrite par l’instrument entre le sujet et l’objet de son action, le réel, semble importante. Une difficulté supplémentaire peut naître de ce que l’objet de l’action du sujet et le réel ne coïncident pas nécessairement, alors que Rabardel semble bien les assimiler l’un à l’autre. Il est possible en effet de poser que l’objet de l’action du sujet est la manipulation d’images tandis que le réel réside dans le transfert d’octets entre la mémoire de stockage et les zones adéquates de mémoire vive de la machine. C’est du moins selon toute vraisemblance ce qu’un informaticien ou un utilisateur éclairé considérerait comme le réel. Mais un électronicien ne préfèrerait-il pas soutenir que le réel est plutôt dans le jeu des modifications des états électromagnétiques des différents composants de l’ordinateur ? On aura vite compris que la question sous-jacente est celle de la définition du réel et qu’il serait hors de propos d’en entreprendre ici le traitement approfondi. Il nous faut néanmoins prendre une position, même sommaire ou expéditive d’un point vue philosophique. Doit-on défendre maintenant une conception réaliste du réel, au sens classique du terme, qui poserait une réalité en soi, indépendante de la perception qu’un sujet peut en avoir et antérieure à celle-ci ? Il sera certainement plus fécond de partir sur l’hypothèse d’un réel pour soi construit dans une interaction entre le sujet agissant selon une intention, ou plusieurs, et un monde séparé dont on présupposera l’existence objective. Ce choix présente l’avantage d’être compatible avec le concept d’instrument tel que Rabardel le propose, avec ses deux composantes, l’objet technique d’une part, et les schèmes d’utilisation construits par le sujet d’autre part.

Mais du même coup, on replace le réel au niveau de l’attente de l’utilisateur, en fait l’efficacité dans la manipulation des images, sans que celui-ci ait à se soucier de comprendre le fonctionnement de l’ordinateur ni même en toute rigueur d’avoir à sa disposition une représentation techniquement correcte de la notion de fichier. On peut alors considérer que, contrairement à notre première idée, la transparence opérative est plutôt grande, du moins tant que les réponses du logiciel satisfont les attentes de l’élève, ou si ce même logiciel propose des outils d’aide capables de faciliter l’accommodation des schèmes du sujet en cas de difficultés. Mais, a priori en ce qui concerne cette étude, et très a posteriori, si je puis dire, selon l’expérience commune du formateur en informatique pédagogique, il n’existe que très peu, voire pas du tout, de logiciels offrant vraiment ces possibilités, tant les outils d’aide présupposent en général chez l’utilisateur la présence de schèmes et de connaissances lexicales susceptibles de permettre l’assimilation de l’aide elle-même. Dès que les réponses du logiciel se décalent des attentes de l’élève, alors la transparence opérative diminue extrêmement rapidement et le passage d’une situation de difficulté à une situation d’échec peut survenir pratiquement sans transition. Pour dire les choses le plus simplement du monde : ou tout va bien, ou tout va mal.

Les sous-tâches qui nous restent à examiner sont : déplacer des cadres de texte, des images ou des flèches (sous-tâche 3), éventuellement redimensionner des cadres ou des images (sous-tâche 4), et saisir du texte dans les cadres adéquats (sous-tâche 5). Comme les précédentes, elles requièrent une certaine adresse manuelle dans la conduite de la souris. La dernière exige l’entrée d’informations au clavier.

Dans le logiciel utilisé, il existe plusieurs types de cadres selon leur fonction ou leur contenu, qui peuvent être considérés comme des objets rectangulaires indépendants les uns des autres sur lesquels il est possible d’opérer différentes actions de transformation. Il en va de même pour les flèches que l’on demande à l’élève d’utiliser pour relier une expression et un passage de texte, ou une image et sa légende. La distinction entre plusieurs types de cadres est opérationnelle au moment de leur création, mais devient neutre quand il s’agit seulement de les déplacer ou de les redimensionner par la suite. Pour la création, l’utilisateur dispose d’une barre d’outils, c’est-à-dire d’un rectangle déplaçable et regroupant plusieurs icônes. A chaque icône correspond un outil. Un clic sur l’une d’elles modifie la fonction commandée par le clic ou le déplacement (bouton enfoncé) de la souris suivants. Pour les déplacements, il suffit de placer le pointeur de la souris sur un objet et de faire glisser celle-ci en maintenant le bouton gauche enfoncé. Le déplacement de l’objet ainsi sélectionné est ensuite isomorphe à celui de la souris. Pour les changements de dimension, et d’orientation en ce qui concerne les flèches, un double-clic sur l’objet fait apparaître des petits carrés jaunes aux sommets des cadres et au-milieu des côtés. En plaçant le pointeur de la souris sur un des petits carrés des sommets et en faisant glisser celle-ci en maintenant le bouton gauche enfoncé, on augmente ou on diminue les dimensions du cadre sans en modifier les proportions entre la longueur et la largeur. Avec les petits carrés des milieux des côtés, on modifie seulement l’une ou l’autre des dimensions. Dans le cas où une image est contenue dans un cadre, elle subit les mêmes déformations que lui. Il est ainsi possible d’agrandir ou de rétrécir une image.

Ces fonctionnalités des interfaces graphiques sont maintenant bien connues et je ne m’attarderai pas davantage à les décrire. Il importait cependant de signaler l’existence de cette barre d’outil qui se trouve en effet présente à l’écran au moment où l’élève doit manipuler les cadres des images, ceux des légendes, et les flèches. Il n’est pas impossible qu’un élève sélectionne un outil par erreur et soit ainsi conduit à des actions intempestives susceptibles de nuire à la qualité de présentation de son travail ou à le perturber plus ou moins gravement dans sa démarche.

La saisie de texte (sous-tâche 5) suppose les mêmes compétences de placement du pointeur de la souris que les sous-tâches précédentes. En plus, il faut évidemment une compétence d’utilisation du clavier. Cependant, en raison de la brièveté des textes à saisir, il ne peut pas y avoir de différence significative d’un élève à l’autre en termes de performances. Mais il n’est pas exclu que le surcroît d’attention exigé pour la recherche des lettres sur le clavier au moment de la frappe et l’utilisation efficace de la bascule entre minuscules et majuscules ne mobilise une part des capacités cognitives d’un élève débutant au détriment des autres parties de la tâche.

La transparence opérative des actions à mener pour réaliser les sous-tâches 3 et 4 semble grande en raison de la proximité entre la forme de l’action du sujet et le résultat obtenu. D’autre part, les schèmes opératifs utiles ne semblent pas dépasser le niveau de développement pré-opératoire dans la mesure où les opérations sur les objets peuvent se faire dans un espace figuratif, les opérations logico-mathématiques que l’on pourrait mettre en œuvre sur les proportions entre les dimensions des côtés des cadres n’étant absolument pas nécessaires à l’exécution des tâches de déplacement et de redimensionnement. Le fait que l’on observe des enfants de quatre ans qui se montrent capables d’utiliser une souris d’ordinateur tendrait à confirmer que ce niveau pré-opératoire est suffisant. Les difficultés d’utilisation de la souris que l’on remarque souvent chez des adolescents ou des adultes débutants relève certainement de la dextérité manuelle qui ne demande en général qu’un simple entraînement pour être améliorée.

On peut donc s’attendre à ce que des élèves de quatorze ans dont on sait qu’ils ont déjà une certaine familiarité, certes variable d’un individu à l’autre, avec le maniement des ordinateurs équipés de souris ne rencontrent pas de difficultés cognitives dans cette partie de leur tâche. On peut avancer l’hypothèse qu’ils risquent tout au plus de commettre quelques maladresses de pointage, notamment sur la barre d’outils comme nous l’avons vu plus haut, susceptibles de les perturber momentanément ou de diminuer la qualité formelle de leur production.

 

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Suite : description de la tâche

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