1.  

2.  

3.  

4.  

Apprendre en construisant des hypertextes ? – Christian Euriat – Université Nancy 2 - 2002

5. Étude de terrain

 

5.1. Collège Alfred Mézières

5.5.2. Analyse a priori des tâches prescrites

Les exercices sur l’Allemagne nazie avant la deuxième guerre mondiale

 

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Description de la tâche globale.

 

Première diapositive sur l’Allemagne nazie : l’œuvre économique.

Deuxième diapositive sur l’Allemagne nazie : la politique raciale.

 

Description de la tâche globale

(les paragraphes suivants – jusqu’à « Analyse détaillée » - figurent également au début de la page « les exercices sur l’Italie fasciste »)

Tirant les conséquences de sa propre expérience, le professeur va modifier considérablement l’exercice proposé par rapport à ce qu’il était pour l’étude du stalinisme de 1928 à 1941. Il en maintient cependant les données fondamentales. Il s’agit toujours pour les élèves volontaires de créer des liens de type hypertextuel dans un ensemble de documents à l’aide du logiciel « Présentation Ô», en travaillant individuellement et à tour de rôle sur des ordinateurs PC. Sur ces bases constantes, l’intention du professeur est de rendre l’exercice plus simple et surtout plus court que le précédent sur le stalinisme. Il n’y aura pas de changement entre le dispositif mis en place pour l’Italie fasciste le 9 décembre et celui retenu pour l’Allemagne nazie le 10 janvier. Pour cette raison, je présente ensemble les travaux des deux séances.

La première modification tient à ce que chaque exercice proposé ne contient qu’une seule diapositive à compléter, au lieu de cinq ou sept. Il y a ainsi cinq exercices distincts sur l’Italie fasciste et deux sur le Nazisme, chaque élève étant libre d’en choisir un. La deuxième modification tient à la suppression des cadres de définition. Il n’est plus question que de créer des liens entre des documents et des passages du résumé. De ce fait, toutes les diapositives se présentent de la même façon et je m’abstiendrai de les reproduire une par une lors de l’analyse de la tâche, me contentant d’en transcrire le contenu textuel. Enfin, il est proposé un choix de trois documents iconographiques pour chaque diapositive au lieu de sept ou huit pour chaque série de cinq ou sept diapositives. On voit que la situation est bien simplifiée, ne serait-ce que du seul point de vue de la combinatoire. Le principe du document intrus est maintenu. Parmi les trois documents iconographiques livrés avec une diapositive, l’un n’a pas sa place. Il est toujours appelé « l’intrus ».

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Figure  43

En pratique, pour le travail sur l’Italie fasciste, il existe d’une part cinq fichiers, identifiés « Italie1, Italie2… », contenant chacun une seule diapositive. Cette diapositive ressemble à celles que nous avons rencontrées pour l’étude du stalinisme, à cette différence près qu’elle ne contient jamais de cadre de définition, mais seulement un cadre de résumé et toujours deux cadres de légende correspondant aux deux documents iconographiques à placer. Les cadres de légende portent chacun une flèche oblique que l’élève devra réorienter et le cas échéant raccourcir ou rallonger pour pointer sur un mot ou une expression du résumé qu’il lui appartient de mettre en gras (voir figure 43).

 

 

 

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Figure  44

D’autre part, il existe cinq autres fichiers, identifiés « Italdoc1, Italdoc2… » qui contiennent chacun une diapositive contenant elle-même trois documents iconographiques. On comprend que l’élève qui décide de traiter la diapositive « Italie1 » devra ouvrir le fichier « Italdoc1 » pour afficher une diapositive, et une seule, sur laquelle il verra d’un seul coup d’œil les trois documents soumis à son choix et seulement ces trois là. Dans cette diapositive, chaque document est accompagné d’une étiquette « Doc1, Doc2… Doc15 » qui l’identifie d’une façon univoque (voir figure 44).

Il y a aussi quinze fichiers au format PCX, c’est-à-dire un format d’images directement importable dans une diapositive par le jeu des menus, sans avoir à passer par « sélection, copier, coller » d’un document depuis une diapositive vers une autre. Ces fichiers sont identifiés « Doc1.pcx » à « Doc15.pcx » et leur emplacement sur le disque de l’ordinateur est bien sûr indiqué aux élèves.

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Pour le travail sur l’Allemagne nazie, le dispositif est exactement le même, sauf qu’il n’y a que deux diapositives à compléter au choix dans les fichiers « Nazisme1 » et « Nazisme2 », deux diapositives de documents « Nazi1doc » et « Nazi2doc », et six fichiers d’images au format PCX, identifiés « Doc2.pcx » à « Doc7.pcx ». Pour qu’il n’y ait pas de confusion possible entre les fichiers PCX pour l’Italie et ceux pour l’Allemagne, ils sont rangés dans deux répertoires distincts du disque dur, ainsi d’ailleurs que les autres fichiers, de telle sorte qu’un élève trouve tout ce dont il a besoin et seulement cela dans un seul et même répertoire de travail.

Il n’y a pas de version imprimée regroupant les cadres de résumé. Mais comme les élèves ont la permission de consulter leurs manuels dans lesquels se trouvent textuellement les mêmes résumés, ainsi que leurs cahiers personnels, ils ne sont pas dépourvus de ressources extérieures à celles offertes par les ordinateurs. Dans le même ordre d’idées, il faut noter que je ne dispose pas d’une version corrigée par le professeur. Il m’a fait connaître de vive voix ses intentions et m’a indiqué précisément diapositive par diapositive qu’elles étaient les liens attendus, ce qui revient presque au même que de me donner un corrigé, si ce n’est que je ne peux plus montrer ici les reproductions des résultats souhaités par le professeur comme c’était le cas pour l’exercice précédent.

Les consignes sont données verbalement aux élèves, largement en référence à l’exercice sur le stalinisme, un peu comme je viens de le faire ici moi-même. Les élèves sont informés de l’existence et de l’emplacement des fichiers qui sont à leur disposition. Ils peuvent prendre au hasard un fichier de diapositive à compléter, ou les regarder tous et en choisir un à leur goût, parmi cinq ou parmi deux selon la séance. Les noms des fichiers sont inscrits au tableau avec en regard les noms des fichiers d’images (PCX) correspondants. Les élèves savent qu’ils doivent sauvegarder leur travail à la fin sous un nouveau nom qui permettra au professeur de le reconnaître (leur prénom ou leur nom de famille).

Ne disposant ni d’observation, ni de production en regard de la cinquième diapositive sur l’Italie fasciste, je ne procéderai pas à l’analyse a priori de la tâche correspondante.

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Analyse détaillée

 

Première diapositive sur l’Allemagne nazie : l’œuvre économique

 

Les documents

 

Figure  57

 

Le premier document est référencé Doc 2. Il se trouve que Doc 1 n’existe pas et que l’on retrouvera ce décalage de numérotation pour les six documents sur le nazisme. Doc 2 est une photographie en noir et blanc au format paysage. Elle montre des ouvriers qui se rendent au travail sur le chantier d’une autoroute en 1934. Sur le cliché lui-même, les indices permettant de reconnaître un chantier d’autoroute sont minces, ainsi que ceux qui permettraient de situer la scène d’une façon précise dans l’espace et dans le temps. En revanche, le cadrage et la composition en perspective latérale, ajoutés au fait que l’on ne voit ni la tête ni la queue de la colonne, provoquent un effet de mouvement et de grand nombre particulièrement parlant. Quant à la forêt de pelles qui pousse sur les épaules des ouvriers, elle suffit à montrer qu’il s’agit de grands travaux de terrassement.

 

 

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Figure  58

 

Le deuxième document, Doc 3, présente le portrait en couleurs de deux soldats, en plan coupé à la hauteur des hanches. La coupe et la teinture des uniformes, le type de l’armement, et surtout la forme des casques ne laissent pas de doute sur l’appartenance de ces soldats à l’armée allemande de la deuxième guerre mondiale. Mais un détail très visible donne un sens particulier à ce portrait. Au premier plan à gauche sur le bras de l’un des soldats, un écusson tricolore jaillit hors du feldgrau de l’uniforme. Après plusieurs manipulations informatiques, le bleu de cet écusson a tourné certes au verdâtre, mais sur l’original, on reconnaît bien le bleu, blanc, rouge du drapeau français. Par une relation de cause à effet, on peut conclure que ces militaires appartiennent à la L.V.F. (Légion des Volontaires Français contre la bolchevisme) fondée en juillet 1941 et intégrée sur le front de l’Est à la Werhmacht avant de l’être ensuite à la tristement célèbre division SS française « Charlemagne » au début de 1945. Ces précisions sont importantes puisqu’elles fondent le statut d’intrus de ce document, rejeté de facto en dehors des bornes chronologiques de la leçon étudiée (prise du pouvoir par Hitler – début de la guerre).

 

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Figure  59

 

Le troisième document, Doc 4, de cette diapositive est une affiche publicitaire allemande en couleurs (vers 1938). Elle veut encourager l’épargne en vue de l’acquisition d’une Volkswagen. La voiture est photographiée de face, au premier plan en bas de l’affiche. Ce n’est probablement pas la meilleure vue commerciale possible mais elle donne au destinataire du message l’impression d’être regardé dans les yeux, alors qu’un texte s’adresse directement à lui, à la deuxième personne du singulier et sur un ton franchement impératif (ici traduit en français) : « Tu dois épargner cinq marks par semaine – si tu veux conduire ta propre voiture ». La composition de l’affiche emmène le regard des phares de l’objet convoité vers le texte et l’y ramène en passant par le fac-similé d’un document administratif, symbole de la possession du bien, et par une énorme pièce de monnaie, symbole de l’épargne encadrant la petite « voiture du peuple » comme une auréole. On est en droit de se demander si l’élève réagira à l’affiche comme étaient censés le faire les allemands de 1938. Le texte, en allemand et peu lisible, ne lui est probablement pas accessible. Le document que j’ai qualifié d’administratif, et qui est peut-être un titre obligataire de ce qui aurait dû devenir la première expérience d’actionnariat populaire allemande, n’est vraiment pas identifiable. En somme, on constate une importante déperdition d’indices et l’élève ne voit vraisemblablement qu’une voiture et une pièce de monnaie.

 

 

 

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La tâche

Contenu du cadre de résumé :

L’OEUVRE ECONOMIQUE DU NAZISME

- Hitler organise d’abord une politique de grands travaux pour résorber le chômage.

- A partir de 1936, le plan de 4 ans impose une dictature économique visant l’autarcie et engage une politique d’armement dans le but de préparer la guerre.

- Le peuple allemand ne tire que faiblement parti de cet effort : si le chômage disparaît, les salaires stagnent et le niveau de vie diminue.

 

Le professeur attend que le document Doc 2 soit lié à une expression plus ou moins élargie contenant les mots « grands travaux » du premier paragraphe du résumé. Le document montrant les ouvriers se rendant à leur travail de terrassement est suffisamment parlant pour que son association avec l’expression souhaitée ne pose apparemment pas de problème, compte tenu du fait supplémentaire que les mots concernés apparaissent dès la lecture du premier paragraphe. L’élève a donc à faire une relation de cause à effet entre le lancement de grands travaux et l’existence d’équipes de nombreux ouvriers. L’absence de difficulté d’interprétation sémantique ou symbolique situe l’exigence au niveau début concret.

La suite de l’exercice est probablement moins facile. Il convient d’une part d’associer l’affiche publicitaire pour Volkswagen avec le troisième paragraphe dans son ensemble, et d’autre part d’éliminer comme intruse la photographie des soldats de la  L.V.F.. Le critère d’élimination de la photographie des soldats est d’ordre programmatique au sens scolaire et chronologique au sens historique. La création de la L.V.F. intervient en dehors de la période étudiée, une distinction étant faite entre l’étude du nazisme comme régime politique dans les années trente et son approche dans le cadre de la deuxième guerre mondiale qui est traitée pour elle-même et plus tard dans le programme. Il ne m’appartient pas d’approfondir ce qui constitue sans doute une très intéressante question épistémologique pour les historiens en même temps qu’un problème méthodologique pour l’enseignement de l’histoire. Je constate simplement que pour un élève, il faut séparer le nazisme d’avant 1939 de celui d’après cette date. Ici, il doit d’abord ne pas manquer l’indice que constitue l’écusson tricolore sur la manche du soldat. Ensuite, il ne doit pas tomber dans le piège que constitue la seconde partie du deuxième paragraphe où il est question d’une « politique d’armement dans le but de préparer la guerre ». Il est en effet économique, et donc tentant pour lui, de procéder à une simple correspondance terme à terme entre les mots « armement » ou « guerre » et un portrait de soldats en armes. Dans le cas favorable où il remarque l’incompatibilité chronologique entre le document et la leçon en cours, il lui reste à effectuer une implication comportant un argument négatif, ce qui élève la difficulté cognitive de l’opération au niveau fin concret. Dans le cas où il n’évente pas le piège, une simple correspondance terme à terme de niveau pré-opératoire lui suffira, mais pour se tromper.

Selon le professeur, l’élève doit établir entre l’affiche Volkswagen et le troisième paragraphe un lien d’opposition fondé sur l’ironie ou la dérision. Le texte dénonce les inconvénients de la politique économique des grands travaux et son dévoiement vers l’économie de guerre à partir de 1936, c’est-à-dire la stagnation des salaires et la diminution du niveau de vie. L’affiche vante les mérites de l’épargne et ses supposées conséquences heureuses sur le niveau de vie des allemands. Il faut savoir que l’incitation à épargner cinq marks par semaine ne revenait pas seulement à proposer aux allemands modestes la constitution d’économies personnelles en vue d’un achat, mais se voulait à la base d’un processus de capitalisation populaire de l’entreprise de construction automobile. La guerre a stoppé l’expérience. Tout cela reste tout de même bien savant et plutôt complexe pour un élève de troisième. L’établissement d’un lien entre l’affiche Volkswagen et le troisième paragraphe relève d’une véritable stratégie mentale compliquée d’un niveau cognitif formel. Si « le niveau de vie diminue », alors les économies deviennent impossibles. Si les économies deviennent impossibles, alors l’achat d’une voiture devient également impossible, ou à tout le moins très difficile. Si l’achat d’une voiture est impossible, la publicité pour cet achat est trompeuse. Jusqu’ici, le raisonnement devrait conduire l’élève à éliminer le document, alors qu’il est déjà d’un niveau formel en raison de l’enchaînement à maîtriser et des inférences négatives qu’il contient. Il reste à l’élève à découvrir que le professeur a voulu souligner le décalage entre la réalité économique et la propagande par une association ironique ou dérisoire. Ce qui l’obligerait à se placer en surplomb, non seulement de sa propre pratique scolaire d’élève, mais par rapport aux intentions du professeur. On peut douter qu’il s’engage dans une telle stratégie, alors qu’une solution toute simple de niveau pré-opératoire s’offre à lui avec l’association entre la préparation de la guerre et la photographie des soldats.

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Deuxième diapositive sur l’ Allemagne nazie : la politique raciale

Les documents

 

Figure  60

 

Le document Doc 5 est une photographie en noir et blanc. Son origine n’est pas indiquée à l’élève. Elle est malheureusement connue, ou appartient du moins à une catégorie de clichés connus. Elle a été prise en 1945 au camp de Bergen-Belsen et représente un charnier. Il faut savoir qu’elle a fait l’objet d’un recadrage. L’original laissait apercevoir en haut et sur un côté des clôtures en fil de fer barbelé et des miradors caractéristiques des camps de prisonniers en général et des camps de concentration ou d’extermination nazis en particulier. Telle qu’elle est donnée aux élèves, elle ne montre pratiquement que la fosse contenant le charnier. Les indices permettant d’identifier facilement un camp ont disparu. Il n’y a pas d’avant-plan. L’image est structurée à gauche et en haut par les bords plus clairs de la fosse qui encadrent la masse vivement contrastée des corps en créant un effet de perspective verticale accentuant l’impression d’amoncellement.

Du seul point de vue de l’analyse cognitive de la tâche et à ce stade de la lecture de l’image, les indices perceptifs y sont apparemment suffisants pour permettre à l’élève une opération de classification de niveau concret de ce cliché dans la classe des photographies de charniers. Et comme il n’est pas question de charnier dans le résumé, l’élève devra éliminer cette photographie comme étant l’intruse de l’exercice par une opération de classification à peine plus difficile que la précédente.

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Figure  61

 

Le document Doc 6 est une photographie en noir et blanc. Sa netteté est suffisante pour que l’on distingue sans effort les éléments d’architecture des bâtiments, les personnages et certaines inscriptions. Elle représente une portion de rue commerçante dont les magasins ont été barbouillés de graffitis. Selon le professeur, cette photo, extraite d’un ouvrage en sa possession, a été prise en 1933 à Berlin, à l’occasion des consignes de boycott des magasins juifs donnés par les nazis. L’origine du document n’est pas indiquée à l’élève.

La photographie, prise en travers de la rue et offrant une très légère perspective de gauche à droite donne une certaine impression de stabilité et de tranquillité. Il est important de noter que l’horizontalité des lignes générales du décor, la transversalité régulière du mouvement des silhouettes qui se déplacent sur le trottoir (dans les deux sens de telle sorte que leurs mouvements se neutralisent), le fait que le seul personnage un peu en avant-plan, l’homme à la motocyclette, s’éloigne du photographe, et enfin le fait que personne ne soit tourné vers l’objectif, laissent le lecteur de cette photographie à l’extérieur de la scène qu’elle représente, bien tranquille sur le trottoir d’en face. Cette image n’agresse absolument pas par elle-même celui qui la regarde.

Le cadrage laisse apercevoir des façades avec six ou sept devantures de magasins au rez-de-chaussée. Deux d’entre elles semblent fermées et quatre d’entre elles sont occultées à mi-hauteur par des panneaux dont il est difficile d’interpréter la fonction exacte, mais qui donnent le sentiment d’une anomalie commerciale. On ne remarque cependant aucune trace de destruction flagrante : l’auvent, l’horloge, les enseignes et les fenêtres du premier étage sont intacts. Sans être déserte, la rue néanmoins n’est pas très fréquentée, on compte huit passants sur une longueur de trottoir estimée à une trentaine de mètres. Ces passants se déplacent paisiblement, on remarque une poussette d’enfant, un cycliste et un motocycliste à côté de son véhicule. Cet aspect de la photographie évoque le calme d’un petit matin en ville, et l’on est tenté de lire sept heures vingt à l’horloge plutôt que dix-neuf heures vingt.

Ce sont bien entendu les graffitis qui apportent une ambiance et une signification particulière à cette photographie. Ce sont des graffitis de dimensions assez importantes qui tendent à occuper largement les surfaces offertes par les devantures. On reconnaît distinctement le mot « Jude », trois fois, une étoile de David et une caricature de profil. Il semble raisonnable de penser qu’un élève de troisième connaisse le sens du mot allemand « Jude ». Au moment où l’exercice est proposé, la leçon sur le nazisme a été faite par le professeur. On peut faire la même remarque à propos de l’étoile de David, connue comme  un des symboles du judaïsme. La caricature tire grossièrement parti d’une tradition antisémite de représentation du juif affublé d’un fort nez crochu, organe emblématique d’une réputation de rapacité que les nazis ne pouvaient au minimum que perpétuer. On ne saurait croire que cette caricature seule soit aussi signifiante pour un élève de troisième en 1997 que pour la propagande du troisième Reich. Mais l’association de cette caricature avec les autres graffitis, qui sont eux sans équivoque, en facilite l’interprétation. Les magasins sont clairement désignés par les auteurs des graffitis comme des magasins juifs, et la forme même de l’expression de la désignation montre bien qu’il s’agit là d’une stigmatisation sociale, et très concrètement d’un moyen de montrer quels sont les commerces tenus par des juifs aux clients qui suivraient les consignes de boycott.

En résumé, cette photographie relativement neutre [1] semble tout à fait lisible et identifiable pour quelqu’un disposant d’un minimum d’informations sur l’événement dont elle témoigne, ce qui est le cas des élèves concernés. Son identification demande un travail de coordination d’indices de niveau cognitif concret.

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Figure  62

 

Le document Doc 7 se présente comme la photographie en couleurs d’un texte imprimé en noir sur fond jaunâtre. C’est un fac-similé d’un extrait des lois de Nuremberg de 1935, textes qui fondent largement les mesures de la politique antisémite du régime nazi. Mais cela n’est pas mentionné sur le document tel qu’il apparaît aux élèves. Seul le texte ci-dessous, en français, est visible et lisible. Cette lisibilité est assez limitée et il faut un certain effort pour reconstituer le texte à partir de quelques mots qui ressortent mieux que les autres, même en agrandissant l’image comme le permet le logiciel. La lecture en est toutefois relativement facile à qui veut bien s’en donner la peine, ce qui bien sûr n’est jamais une condition garantie. Le texte comprend une introduction justificatrice de la part du législateur et trois paragraphes qui reprennent ce qui était probablement les modalités courantes des rapports sexuels dans la société allemande de l’époque, les rapports maritaux, extra-maritaux et ancillaires :

« Pénétré de la conscience que la pureté du sang allemand est la prémisse de la perpétuation du peuple allemand et inspiré de la volonté d’assurer l’avenir de la Nation allemande, le Reichstag a adopté à l’unanimité la loi suivante :

Paragraphe 1. Les mariages entre Juifs et sujets de sang allemand ou assimilés sont interdits.

Paragraphe 2. Le rapport extra-marital entre Juifs et sujets de sang allemand ou assimilés est interdit.

Paragraphe 3. Les Juifs ne peuvent pas utiliser au service de leurs ménages des femmes de sang allemand ou assimilées âgées de moins de quarante-cinq ans. »

On remarque que l’introduction présente explicitement le texte comme celui d’une loi. D’autres indices, comme la référence au vote unanime du Reichstag, vont dans le même sens. La structure met en évidence les paragraphes, que l’on appellerait plutôt des articles dans l’usage français, et peut évoquer l’apparence d’un texte législatif tel que des élèves peuvent se les représenter à partir des exemples comparables dont ils disposent de mémoire.

Sur le fond, la référence réitérée au « sang allemand » et à sa « pureté », l’occurrence du mot « Juifs » dans chaque paragraphe, celle du mot « mariage » et celle d’« interdit » ne laissent pas de place au doute sur la nature et le contenu du document pour quiconque a eu connaissance de l’existence des lois anti-juives de 1935, ce qui est le cas des élèves auxquels l’exercice est proposé. Point n’est besoin de réussir à tout lire dans les détails, ni de comprendre l’implicite social caché derrière la disposition du troisième paragraphe. En conclusion, il s’agit d’un document certes iconographique, encore que l’on puisse s’interroger sur sa rédaction en français et non pas en allemand, mais se présentant à l’élève comme un texte largement explicite, laissant peu de place à l’interprétation dans le contexte scolaire présent, et donc identifiable au prix d’un travail assez simple de coordination d’indices facilement concordants.

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La tâche

Contenu du cadre de résumé :

- Après les boycotts de 1933, les lois de Nuremberg (1935) privent les juifs de la citoyenneté allemande et interdisent les mariages avec les non-juifs ; les brimades se multiplient alors (port de l’étoile de David).

- Les premières grandes persécutions débutent en 1938 (nuit de Cristal). [La décision d’exterminer systématiquement les juifs ne sera prise qu’en 1942].

 

Le professeur attend l’appariement de Doc 6 avec « les boycotts de 1933 », celui de Doc 7 avec « les lois de Nuremberg (1935) » ou « interdisent les mariages avec les non-juifs ». Doc 5 est l’intrus et doit de ce fait être exclu.

Dans la mesure où il n’a pas trop de difficultés à lire le texte du document Doc 7, l’élève doit pouvoir réaliser le rapprochement souhaité par une séries de correspondances terme à terme portant sur des indices sémantiques simples, et même sur des indices lexicaux directs, qu’il aura tout de même dû coordonner entre eux. Il lui faut pour cela opérer à un niveau cognitif début concret. Une autre solution très économique reste envisageable, par la correspondance terme à terme de niveau pré-opératoire entre les occurrences du mot « loi » dans l’image et dans le résumé.

Nous avons vu que l’identification du document Doc 6 supposait la reconnaissance et surtout la coordination de plusieurs indices et sa classification comme représentation d’un boycott de magasins juifs. Dans le cas où cette identification est bien réalisée, il suffit ensuite à l’élève d’opérer une simple correspondance terme à terme de niveau pré-opératoire avec les mots « boycotts de 1933 » dans le résumé pour le conduire à l’utilisation de cette photographie comme attendu par le professeur. Mais il ne faut pas oublier que l’indispensable identification du document elle-même requiert d’abord un niveau cognitif nettement plus élevé.

Nous avons proposé que l’élimination de la photographie Doc 5 représentant une fosse commune dans un camp d’extermination relève d’une opération de niveau concret en fondant le raisonnement hypothétique de l’élève sur une classification portant sur le concept de charnier. Il est à noter que ce n’est pas là que se situe l’attente du professeur. Pour lui, ce qui doit conduire à l’élimination de Doc 5, c’est le fait que cette photographie soit postérieure à 1942, et du même coup à 1939. Comme pour le portrait des volontaires de la LVF rencontré dans l’exercice précédent, c’est l’extériorité chronologique du document par rapport aux limites scolaires du chapitre étudié qui est déterminante pour le choix d’exclusion. Un rappel entre crochets, [La décision d’exterminer systématiquement les juifs ne sera prise qu’en 1942], a même pour fonction d’attirer l’attention de l’élève sur cette précision chronologique. Du point de vue cognitif, l’opération de classification est de même nature que dans notre première approche, mais elle porte sur des contenus qui ne sont plus seulement sémantiques. Il faut que l’élève sache jouer à la fois des éléments de la chronologie et de sa connaissance des conventions scolaires à partir d’une indication qui se veut négative alors qu’elle est seulement restrictive dans sa formulation. La difficulté cognitive peut être alors décalée vers le niveau fin concret.

 

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Suite : analyse des travaux des élèves

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[1] Sauf peut-être pour un élève rendu particulièrement sensible à cet aspect de l’antisémitisme pour des raisons personnelles, il est évident que ce genre de document n’a pas la puissance émotionnelle de ceux qui évoquent directement les programmes d’extermination.