La cohabitation dans les espaces publics: Conflits d'appropriation entre riverains et personnes marginalisées à Montréal et Paris - TEL - Thèses en ligne Accéder directement au contenu
Thèse Année : 2013

Cohabitation in public spaces: conflicts of appropriation between marginalized people and residents in Montreal and Paris

La cohabitation dans les espaces publics: Conflits d'appropriation entre riverains et personnes marginalisées à Montréal et Paris

Résumé

Exclusion of marginalized people in public spaces has been a recurrent topic of human geography (Smith, 1996, Mitchell, 1997) but explanations mainly refer to macrogeographical level and entrepreneurial production of iconic public spaces. But conflicts of appropriation also exist in banal public spaces (Padisson and Sharp, 2007). In this thesis, we analyse this kind of conflicts, in two peri-central neigborhoods : Shaugnessy Village in Montreal and La Goutte d'Or in Paris. Relying on the vision of space as a topological structure of positions (Hubert, 1993), we study the issue of exclusion in public space through space's experiences of people. By taking interest in banal public spaces, we show that appropriation of public spaces also refer to dwelling pratices. They are used, through social relations and investment of specific values in space, as a home for homeless and marginalized people and as an extension of home for residents. Involving contradictory uses of public spaces, these dynamics of appropriation induce conflicts. The inadequacy of presence and behaviors of marginalized people with the desired residential way of life in the neighborhoods induce the mobilization of the residents and the process of purification of space (Sibley, 1995). In the face of marginalized practices of public spaces, a residential " us " appears, based on the " common " residential values. This reveals the will to create a protective and " coexistential interior " (Sloterdijk, 2005) over the public spaces, in which marginalized persons are not admitted, except if they conform to it. Diffusion of residential values in public spaces finally restrict self-recognition and their feeling of belonging to the neighborhood. They feel more and more " out of place " (Cresswell, 1996), which incite them to leave, or to normalize their own behaviors if they want to stay. In fact, residential domestication of public space, through the injection of residential values in space, reduces the opportunities to make these public spaces a home for marginalized people. Therefore, in banal and residential public spaces, through actions on space and the transformation of landscape, a new kind of urban exclusion appears: a " soft dispersal " which substitute for " zero tolerance policies ".
Constituant des réflecteurs d'urbanité, les espaces publics font aujourd'hui l'objet d'une attention accrue de la part des aménageurs et des planificateurs dans un contexte de compétition urbaine où l'attractivité devient l'une des principales stratégies de développement (Harvey, 1989). Dans cette perspective, de nombreuses transformations touchent les espaces publics, à l'instar de leur privatisation (Zukin, 1995 ; Le Goix et Loudier Malgouyres, 2005), de leur marchandisation (Sorkin, 1992 ; Zukin, 1995) ou de leur sécurisation (Németh et Hollander, 2010), soulevant alors des conflits d'appropriation. Les fonctions associées aux espaces publics, de sociabilité, d'interaction et de libre accessibilité (Ghorra-Gobin, 2001), évoluent donc considérablement. Ces changements ont été analysés par de nombreux auteurs, lesquels ont révélé les dynamiques de mise à l'écart et d'exclusion des personnes les plus marginalisées (Smith, 1996 ; Mitchell, 1997), dont la visibilité limite la portée des politiques urbaines de revitalisation. Pourtant, au-delà des espaces publics centraux et iconiques et de l'action des pouvoirs publics, des conflits d'appropriation se manifestent également dans les espaces publics ordinaires (Paddison et Sharp, 2007) et résidentiels. En construisant leurs " mondes ", certains groupes peuvent restreindre celui d'autres groupes et déclencher des cohabitations parfois difficiles. Comprendre ces conflits nécessite alors d'intégrer à l'analyse les rapports qu'entretiennent les citadins à leurs espaces de vie, primordiaux dans la structuration des espaces publics. En effet, dans leurs pratiques, dans la projection de soi dans l'espace urbain, les citadins participent à leur production (De Certeau, 1990 ; Lefebvre, 2000), et les appropriations mises en œuvre peuvent être vectrices de conflits, de mises à l'écart ou d'inaccessibilité à certains espaces publics. Plus particulièrement à une époque où les espaces publics tendent à être investis comme une extension du chez-soi, leur production dans la proximité et la participation des résidents peuvent déclencher des processus d'exclusion (Fleury, 2007) et de résistance des populations marginalisées qui investissent aussi ces lieux comme un " chez-soi ". Nous proposons dans cette thèse d'analyser ce type de conflits d'appropriation. Dans cette perspective, nous inscrivons notre réflexion dans l'interprétation de l'espace géographique comme structure topologique de positions (Desmarais, 1992 ; Hubert, 1993 : Parazelli, 1997). Ces préceptes épistémologiques nous permettent d'aborder le partage des espaces publics à travers les concepts d'appropriation et d'habiter, et de porter une attention particulière aux pratiques mises en œuvre par les riverains et les personnes marginalisées dans leurs espaces de vie. Cela nous permet notamment d'éclairer le sens de l'appropriation des espaces publics et d'expliciter les significations relatives aux conflits. En tissant également des liens théoriques avec les concepts de purification de l'espace (Sibley, 1995) et d' " out of place " (Cresswell, 1996), il s'agit de comprendre comment les pratiques mises en œuvre dans ces appropriations peuvent se contraindre les unes les autres et marginaliser davantage les personnes marginalisées. Nous nous sommes alors intéressés à deux quartiers, la Goutte d'Or à Paris et le Village Shaugnessy à Montréal, à vocation davantage résidentielle qu'iconique, et au sein desquels se manifestent des conflits pour l'appropriation des espaces publics. À travers une cinquantaine d'entrevues avec divers acteurs : des riverains et des personnes marginalisées ou des travailleurs communautaires mais également des responsables politiques, des urbanistes et architectes, nous montrons comment les espaces publics s'avèrent particulièrement importants dans les pratiques d'habiter. Ceux-ci constituent des positions attractives que les personnes marginalisées et les riverains investissent de manière à se les approprier et à pouvoir s'y reconnaître. Par les socialisations et leur occupation, les personnes marginalisées parviennent ainsi à constituer un " chez-soi " identificatoire tandis que par leur réappropriation, par l'animation et leur embellissement, les riverains les instituent comme une extension résidentielle du " chez-soi ". Or, ces dynamiques d'appropriation, et les prégnances qu'elles inscrivent dans l'espace, vont à l'encontre les unes des autres. L'inadéquation de la présence et des comportements des personnes marginalisées avec le mode de vie résidentiel désiré du quartier constitue l'un des éléments moteurs de la mobilisation des riverains et des désirs de purification de l'espace (Sibley, 1995). Face aux pratiques des personnes marginalisées s'affirment alors le " commun " des valeurs résidentielles désirées et la constitution d'un " nous ". Or ces exigences résidentielles renvoient à la volonté des riverains de créer un " intérieur coexistentiel " (Sloterdijk, 2005) protecteur dans l'ensemble des espaces publics du quartier, au sein duquel les personnes marginalisées ne sont pas incluses, à moins de s'y conformer. La diffusion de valeurs résidentielles dans les espaces publics limiterait ainsi les prégnances associées à la marginalité, réduisant leur sentiment d'appartenance au quartier et la reconnaissance de soi, et les incitant alors à se déplacer, à adopter des tactiques de résistance pour maintenir leur occupation des lieux ou à normaliser leurs comportements. De fait, dans ces espaces publics ordinaires, des rapports de force se manifestent également pour leur appropriation, mettant en lumière des rapports de pouvoir qui s'éloignent du revanchisme ou de la tolérance zéro. Ceux-ci prennent une forme plus subtile de dispersion, à travers le contrôle des références topologiques associées aux diverses positions. Ces résultats invitent alors à interroger le partage des espaces publics à travers la cohabitation et à réfléchir aux moyens de faire des espaces publics des lieux dans lesquels l'ensemble des habitants d'un quartier puisse se reconnaître.
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  • HAL Id : tel-00945671 , version 2

Citer

Antonin Margier. La cohabitation dans les espaces publics: Conflits d'appropriation entre riverains et personnes marginalisées à Montréal et Paris. Géographie. Université du Québec à Montréal, 2013. Français. ⟨NNT : ⟩. ⟨tel-00945671v2⟩
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