4.3.7 Coefficient de traînée

Dans les modèles de spectre de mer que j’ai utilisés ([30, 31]), la partie basse fréquence, c’est à dire celle qui correspond aux vagues de grande longueur d’onde, dépend du module du vent U, alors que la partie haute fréquence dépend de la vitesse de friction u* (voir (4.48)). Pour relier ces deux paramètres, on définit un coefficient de traînée (CD) qui traduit l’éfficacité du transfert de quantité de mouvement du vent vers la surface océanique ([80, 24, 44, 46]). On a alors

C  = t/(r U 2)=  u2/U2,
 D       a       *
(4.75)

avec

     V~ ----
u*=   t/ra
(4.76)

t est la contrainte de cisaillement du vent et ra est la densité de l’air. Le profil du vent est décrit par une loi logarithmique de la forme

         [  (   )          ]
U(z) = u* ln  z- - y   (z)
       k      z0     M  L
(4.77)

k = 0.4 est la constante de Von Karman, z0 est longueur de rugosité aérodynamique, et yM est une fonction qui traduit l’influence de la différence de température entre l’air et la mer (i.e. la stabilité) sur le profil du vent, avec L, la longueur de stabilité Monin-Obukhov.

La longueur de stabilité L est une fonction de DT = TAir - TMer dont l’expression est donnée dans [80 , 35 ]. Quand l’air au dessus de la surface de la mer est plus chaud que l’eau de mer, il se refroidit au contact de la mer et la colonne d’air est stable. Quand l’air est plus froid que l’eau de mer, il se réchauffe et par conséquence s’élève, créant ainsi des turbulences et rendant l’atmosphère instable. Ainsi, DT > 0o C caractérise essentiellement une atmosphère stable, DT < 0oC une atmosphère instable et DT = 0o C une atmosphère neutre. Il est à noter que que le profil d’humidité de l’air joue aussi un rôle dans la stabilité. L’influence de la stabilité sur CD a notamment été étudiée par Smith ([80 ]), Liu et Tang ([55]) et récemment par Guissard ([35]). Cette influence est généralement faible. D’après [35], U10 dérivé d’un u* donné varie de l’ordre de ± 1 m.s-1 pour DT = ±12o, cette variation étant un peu plus faible pour les atmosphères instables (DT < 0) que pour les atmosphères stables (DT > 0). Cet ordre de grandeur est constant pour tous les vents supérieurs à 5 m.s-1. De même, Liu et Tang ([55]) évaluent l’influence de la stabilité à moins de 1 m.s-1 pour un DT compris entre -5o et 3o. Nous avons testé l’influence de la stabilité sur le profil du vent pour les vents mesurés durant la campagne WISE 2001 à l’aide du modèle donné dans [55], et nous avons étudié l’influence de la stabilité pendant cette campagne sur la dispersion des mesures de vent ; nous n’avons trouvé aucune influence sensible (voir la section 7.3). De plus, comme SMOS ne disposera pas de la mesure de DT, je vais négliger l’influence de la stabilité sur le profil du vent. On déduit ainsi de (4.75) et (4.77) le coefficient de trainée pour une atmosphère neutre (CDN) par la relation suivante

       [       ]
        ---k--- 2
CDN  =  ln(z/z0)  .
(4.78)

En utilisant le vent à 10 mètres de hauteur (U10), on définit

       [        ]
        ----k--- 2
C10N =  ln(10/z0)   .
(4.79)

Pour déterminer le profil du vent, on doit déterminer la longueur de rugosité aérodynamique z0. Une loi couramment utilisée est celle proposée par Smith ([80]), qui décompose z0 comme

z0 = zc + zl,
(4.80)

zc , la rugosité aérodynamique proposé par Charnock ([12]), est induite par les petites vagues et dépend de u* . On a alors

zc = ac/gu2*
(4.81)

g = 9.81 m.s-1 et ac vaut 0.011 ([80]) ou 0.012 ([13]) pour les mers pleinement developpées. ac est plus grand dans les zones cotières ([34]), où la mer est partiellement développée (i.e. les vagues sont dites jeunes ou matures) et où les pentes des petites vagues sont plus fortes. Je supposerai dans la suite que la mer est pleinement développée car la majorité des mesures SMOS seront faites au large, mais le problème de la proximité de la côte se posera pour l’utilisation de données acquises lors de campagnes de validation. L’effet de la proximité de la côte sur l’état de mer, ainsi que sur la Tb induite, est étudié dans la section 5.1.5 en utilisant, entre autre, un modèle de z0 qui prend en compte le développement des vagues ([24 ]).

La longueur de rugosité pour une surface lisse zl dépend de la viscosité de l’air va et de la vitesse de friction u* comme

zl = 0.11va/u*,
(4.82)

va = 14 × 10-6 m.s-1 ([8]).


PIC
FIG. 4.9: Variation du coefficient de trainée (C10N) en fonction du vent (U10), à 10 mètres de hauteur au dessus de la mer. Les modèles utilisés pour la rugosité aérodynamique z0 sont issus de [80 ] (tirets), [12 ] (tirets-points) et [71] (trait plein).



PIC
PIC

FIG. 4.10: Rapport entre (a) les coefficients de trainée (C10N) et (b) les vitesses de friction (u*) obtenus à partir des modèles Pierson 76 ([71]) et Smith 88 ([80]), en fonction du vent (U10).



PIC
FIG. 4.11: Variation du coefficient de trainée (C10N) en fonction du vent (U10), à 10 mètres de hauteur au dessus de la mer. Les modèles utilisés pour la rugosité aérodynamique z0 sont issus de [80 ] (tirets), [12 ] (tirets-points) et [71] (trait plein). Le modèle de C10N de Dupuis et al. ([27]) est tracé en pointillés.


J’ai utilisé la longueur de rugosité proposée par Pierson ([71]), utilisée par Durden et Vesecky ([30]) et Yueh ([102 ]), et donnée par la relation suivante

z = 6.84× 10-5/u + 4.28× 10-3u2- 4.43× 10-4.
 0              *             *
(4.83)

La figure 4.9 illustre le C10N dérivé des modèles de z0 de Charnock (Ch55), Smith (Sm88) et Pierson (Pi76). Les modèles Ch55 et Sm88 ne diffèrent que pour des vents inférieurs à 5 m.s-1 alors que le modèle Pi76 est systématiquement au dessus des deux autres. Il n’y a que pour des vents proches de 6 m.s -1 que le modèle Pi76 est en relativement bon accord avec les modèles Sm88 et Ch55 (voir les figures 4.10.a et 4.10.b). Pour un U10 fixé dans la gamme allant de 3 m.s-1 à 20 m.s-1, la vitesse de friction u* dérivée du modèle Pi76 diffère de 1% (à U10 = 6 m.s-1) à 20% de celle prédite par le modèle Sm88. La différence la plus forte entre les trois modèles est dans la gamme des vents faibles: à U10 = 1 m.s-1, le modèle Pi76 est trois fois plus fort en C10N que le modèle Ch55. Dupuis et al. ([27]) ont récemment (1997) étudié le C10N pour des vents inférieurs à 5.5 m.s-1 et proposé une loi reliant le C10N à U10. J’ai reporté sur la figure 4.11 les modèles Ch55, Sm88 et Pi76 à vents faibles, ainsi que celui proposé par Dupuis et al.. Ce dernier modèle est en bon accord avec les autres modèles pour U10 proche de 5 m.s-1, mais il diverge fortement pour les vents faibles, particulièrement pour U10 en dessous de 3 m.s-1. Par conséquent, le u* par vent faible pourrait être fortement sous-estimé par les modèles Ch55, Sm88 et même Pi76. Cependant, il faut noter qu’il est probable que pour des vents aussi faibles, les modèles de spectre de mer soient très incertains.

Les modèles de z0 que j’ai présentés jusqu’ici ne tiennent pas compte du développement partiel des vagues. En cas de fetch limité, il est nécessaire de prendre en compte d’autres paramètres que u*. Dans la section 5.1.5, j’ai utilisé la loi suivante proposée par Donelan et al. ([24 ])

           -5   2        0.9
z0 = 3.7× 10  (U /g)(U/Cp)
(4.84)

z0 dépend de l’inverse de l’age de vagues _O_ = U/CpU est le module du vent et Cp est la vitesse de phase des vagues de longueur d’onde c = cp, la longueur d’onde du pic basses fréquences du spectre.

L’écart sur u* induit par les différences entre les z0 déduits de (4.83) (modèle Pierson) et de (4.80) (modèle Smith) peut atteindre un taux important de 20 % pour des vents de l’ordre de 3 m.s-1 ou 20 m.s-1. Le modèle de Smith est très couramment utilisé, mais le modèle de Pierson a été utilisé dans plusieurs modèles d’émissivité (modèle de Yueh, [102], modèle de l’Université Catholique de Louvain, [52]). Pour pouvoir effectuer des comparaisons cohérentes entre mes résultats et les résultats de ces modèles, notamment dans le cadre de l’étude [6], j’ai utilisé le modèle de Pierson. De plus, Durden et Vesecky, dont j’utilise le modèle de spectre des vagues, ont utilisé le modèle de Pierson pour établir leur modèle de spectre à partir de mesures diffusiométriques. L’amplitude du spectre des vagues est mal connue et elle est souvent ajustée sur des mesures radar ou radiométriques. On sait maintenant que le modèle de spectre DV (voir la section 7.3) induit une sous estimation de l’effet du vent sur la Tb. Utiliser le modèle de Smith reviendrait à diminuer l’effet du vent sur la Tb, ce qui serait contraire au observations.