4.2 Constante diélectrique de l’océan

Les modèles existants de constante diélectrique relative pour l’eau de mer reposent sur une approche semi-empirique: er est relié à la fréquence électromagnétique n par une fonction paramétrique dont les paramètres sont ajustés sur des mesures de constante diélectrique à différentes températures et salinités (i.e. les paramètres dépendent de la température et de la salinité). La fonction paramétrique est l’équation de relaxation, proposée par Debye ([18] pour les molécules polaires, voir l’annexe G) à partir d’hypothèse physiques. On déduit de (2.5), (A.11) et (G.51), l’équation à un temps de relaxation pour la constante diélectrique relative de l’eau de mer suivante:

e (w) = e  + -ers--er oo  - jsion,
 r      r oo   1 +(jw/wr)   we0
(4.12)

er s = es /e0 est la permittivité statique relative (i.e. er pour w --> 0), er oo = e oo /e0 est la permittivité relative à haute fréquence, w = 2pn est la pulsation de l’onde, wr est la pulsation de relaxation, sion est la conductivité ionique de l’eau de mer (Sm-1) et e0 est la permittivité du vide. La permittivité relative est composée d’une partie réelle (er') et imaginaire (er”) données par

 e'  =  e   + -ers--er oo -,                           (4.13)
  r      r oo   1 + (w/wr)2
                -ers--er oo    sion-
er”  =  (- w/wr)1 +(w/wr)2 - we0 .                   (4.14)

Le premier terme de er” dans (4.14) traduit l’atténuation de l’onde par le phénomène de polarisation dipolaire (voir l’annexe G), alors que le deuxième terme traduit les pertes par conduction. On verra par la suite qu’en bande L, le terme de pertes par conduction l’emporte sur celui dû à la polarisation dipolaire. Les paramètres ers, er oo , wr, et sion dépendent de la température et de la salinité. Il est supposé dans tous les modèles que sion est indépendant de la fréquence, ainsi que de la pression puisque l’on s’intéresse à la conductivité de l’eau de mer de surface.

Il existe très peu de mesures de la permittivité de l’eau de mer naturelle, particulièrement à 1.4 GHz ou aux basses radiofréquences en général. Comme la permittivité d’un solution NaCl diffère notablement de celle de l’eau de mer [32], je ne traiterai que des modèles basés sur des mesures effectuées avec, au moins en partie, des échantillons d’eau de mer naturelle. Les premières mesures ont été effectuées dans les années 70 par Ho et Hall ([37]) et Ho et al. ([38 ]) respectivement aux fréquence de 2.653 GHz et 1.43 GHz, sur des échantillons d’eau de mer et de solution NaCl. La précision annoncée sur les mesures en bande L est de 0.2% et 0.4% respectivement sur les parties réelles et imaginaires de er. Cependant, [47], qui ont basé leur modèle de er sur ces mesures (cité comme le modèle KS par la suite), ont mis en évidence l’existence d’un biais sur er' mesuré par Ho et al.. La précision annoncée paraît donc optimiste. De plus, peu de mesures ont été effectuées dans l’intervalle de salinité 30-40 psu, qui concerne l’essentiel de la surface des océans, la plupart ayant été effectuée entre 4 et 30 psu. Plus récemment, [32] ont proposé un modèle (modèle EL) basé sur des mesures faites à des fréquences comprises entre 3 et 20 GHz, ainsi qu’aux fréquences 23.8, 36.5 et 89 GHz avec une précision absolue annoncée de 1%. Cependant, [85] a déterminé que la simplicité des régressions utilisées pour sion dans le modèle EL était inadaptée pour déterminer er aux basses fréquences et entrainaît des écarts sensibles entre sion prédits et mesurés. Il a évalué cet écart à 8% pour une salinité de 20 psu et une température de -2oC, ce qui est très supérieur à la précision de 1% annoncée sur la mesure de conductivité. [86] ont proposé un modèle (modèle ST95) basé sur des mesures faites à des fréquences comprises entre 7 GHz et 14 GHz, et [85] a proposé un modèle (modèle ST97) reposant sur les mesures de [86] et de [32]. Le modèle ST97 conserve la paramétrisation de sion déterminée pour le modèle ST95, de même que les équations déterminant les paramètres de la loi de Debye pour de l’eau douce. Il est à noter que les modèles ST95 et ST97 reposent sur une équation de Debye à deux pulsations de relaxation de la forme

            --ers--e1--   --e1---er oo ---  jsion
er(w) = er oo  + 1 + (jw/wr1) + 1+ (jw/wr2)-  we0
(4.15)

e1 est une permittivité intermédiaire, et wr1 et wr2 sont les deux pulsations de relaxation. Une telle équation à deux pulsations de relaxation s’avère nécessaire pour des études sur des larges gammes de fréquence. Cependant, comme wr2 = 1000 rad.s-1 dans les modèles ST95 et ST97, ce qui correspond à une fréquence de 160 GHz environ, on peut se ramener aux basses fréquences à une relation de la forme de (4.12). Enfin, très récemment [4] ont proposé un nouveau modèle développé spécifiquement pour la bande L. Je n’en traiterai que succintement dans la partie 5.1, pour ce qui concerne la Tb prédite avec ce modèle, car aucune référence n’est encore disponible. D’autre part, des mesures sont en cours à l’université de Washington, toujours en bande L.

Il est difficile de déterminer a priori quel est le modèle susceptible d’être le plus fiable en bande L. Le modèle KS repose sur les seules mesures (jusqu’à très récemment) effectuées en bande L, mais celles-ci sont en faible nombre et peu fiables (à cause de la précision mise en défaut par [47] et de l’utilisation de solution de NaCl). Les modèles EL, ST95 et ST97 ont été développés à plus haute fréquence que 1.4 GHz et, bien que (4.12) nous permette de déterminer er en bande L, il est probable que la précision annoncée pour ces modèles sera dégradée en bande L. De plus, le modèle EL a été développé pour des salinités supérieures à 20 psu (ce qui se traduit par exemple par le fait que sion prédite par ce modèle pour de l’eau douce n’est pas nulle) et l’imprécision sur sion ([85]) est critique pour l’estimation de la SSS. C’est pour ces raisons que j’ai évalué les différences entre les différents modèles en terme de er et surtout l’incertitude induite par ces différences sur la Tbmer (ce sujet sera discuté dans la section 5.1).


PIC 
PIC
(a)  
(b)
 
FIG. 4.4: Parties réelle (a) et imaginaire (b) de la constante diélectrique de l’eau de mer à 1.41 GHz pour différentes SST et SSS. Le modèle pour er est [47].


La constante diélectrique à 1.41 GHz, calculée à partir du modèle KS, est reportée sur les figures 4.4.a (partie réelle) et 4.4.b (valeur absolue de la partie imaginaire) pour différentes SST et SSS. On constate que er '' est beaucoup plus sensible à la SST et à la SSS que er'. En effet, quand la SSS varie de 30 à 40 psu, er '' varie de +23% et er' de -3%. De même, quand la SST varie de 0 à 30oC, er'' varie de +60% et er' de -10%. La différence entres les constantes diélectriques prédites par les différents modèles est reportée et discutée dans la section 2 de l’article en annexe P. La différence est la plus grande entre les modèles KS et EL ; le modèle KS prédit des er' et er'' systématiquement plus grands de 0% à environ 4.5% selon la SST que ceux prédits par le modèle EL. Cette différence entre les modèles varie plus faiblement avec la SSS, indiquant un relatif accord des modèles sur l’influence de la salinité. Les modèles ST97 et ST95 prédisent des résultats peu différents entre eux, et compris entre les prédictions du modèle KS et du modèle EL.

Dans le modèle simple exposé dans la section 2.3, la Tb de la mer (Tbmer) est directement relié aux coefficients de réflexion de Fresnel, donnés par (2.23). Bien que ce modèle soit insuffisant pour décrire tous les processus impliqués dans l’émissivité de la surface de la mer, on verra dans la section 5.1 que l’essentiel du signal en salinité et en température est dû aux coefficients donnés en (2.23), et donc que ce modèle rend compte relativement bien de la variation de Tbmer avec la SSS et la SST.


PIC 
PIC
(a)  
(b)
 
FIG. 4.5: Dérivée des coefficients de Fresnel par rapport à la permittivité. Dérivée des coefficients de Fresnel en polarisation verticale (RV ) et horizontale (RH) par rapport aux parties réelles (a) et imaginaire (en valeur absolue) (b) de la constante diélectrique relative er = er' + jer''.


La sensibilité des coefficients de Fresnel aux parties réelles et imaginaires de er est reportée sur la figure 4.5. Les coefficients de reflexion sont plus sensibles à er'' qu’à er'. On a vu par ailleurs que er'' est beaucoup plus sensible à la SST et à la SSS que er'. D’autre part, le terme jsion/(we0) représente de 75% (pour les faibles SST) à 95% (pour les fortes SST) de la valeur de er''à 1.4 GHz. En effet, quand la température augmente, la viscosité de l’eau de mer diminue et ainsi la conductivité ionique augmente, contrairement à la polarisation dipolaire qui diminue. C’est la sensibilité de sion à la SSS qui détermine principalement la sensibilité de er à la SSS, et par conséquent celle des coefficients Rv et Rh .

Quand la fréquence augmente, la sensibilité de er''à sion diminue et c’est alors la nature polaire des molécules constituant l’eau de mer qui est à l’origine de l’absorption des ondes EM (phénomène de polarisation par orientation dipolaire). L’atténuation par polarisation dipolaire est liée au retard d’orientation des molécules polaires par rapport au champ électrique (voir l’annexe G). Le temps de relaxation de l’eau de mer, qui traduit ce retard d’orientation des molécules, correspond à une fréquence de relaxation variant de 10 GHz à 23 GHz entre 0oC et 30oC. Ainsi, à 1.4 GHz qui est une fréquence beaucoup plus basse que la fréquence de relaxation, les molécules suivent relativement bien le champ électrique ce qui explique que l’atténuation par polarisation dipolaire soit plus faible qu’à plus haute fréquence.


0o C15oC30oC




30 psu2.52 3.74 5.09
35 psu2.91 4.29 5.83
40 psu3.29 4.84 6.57




TAB. 4.1: Conductivité ionique de l’eau de mer en fonction de la température et de la salinité, d’après [47 ]

La conductivité sion dérivée du modèle KS ([47]) est reportée dans le tableau 4.1 pour différentes températures et salinités. Elle est de 4.29 Sm-1 à 15oC et 35 psu et augmente quasi-linéairement avec la salinité et la température, pour des salinités comprises entre 30 psu et 40 psu et des températures comprises entre 0oC et 30oC. Les modèles ST95 et ST97 prédisent des conductivités similaires à celles prédites par le modèle KS (i.e. elle diffèrent d’au plus 0.4%) dans la gamme 30-40 psu, alors que le modèle EL prédit un sion systématiquement inférieur à celui prédit par le modèle KS, d’environ 2-4% (voir la discussion précédente sur la paramétrisation de sion par le modèle EL). Par conséquent, comme on peut le constater sur les figures de l’annexe P (section 2), e'' diffère très peu (la différence est de l’ordre de 0.35%) entre les modèle KS et ST95 pour les SST élevées auxquelles sion prévaut, alors que la différence entre les modèle KS et EL est de 2%. Cependant, les modèles ST97 et ST95 prédisent un sion sensiblement différent (i.e. différence ¿ 1%) de celui prédit par le modèle KS pour des salinités inférieures à 6 psu. De telles salinités ne concernent pas la mission SMOS.