1.  

Apprendre en construisant des hypertextes ? – Christian Euriat – Université Nancy 2 - 2002

 

2. L’hypertexte

 

 

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2.1       Les aspects historiques.

2.1.1    Un article fondateur

2.1.2    Les fenêtres, la souris et les liens associatifs.

L’affichage de plusieurs fenêtres simultanément sur un écran.

La souris.

L’établissement de liens associatifs entre les données.

2.1.3    L’invention du mot « Hypertexte ».

2.1.4    La micro-informatique.

2.1.5    Internet

2.2       Des questions de terminologie.

2.2.1    La lexicographie ordinaire.

2.2.2    L’environnement sémantique.

Le préfixe « hyper ».

Le radical « texte ».

2.3       La nature des hypertextes.

2.3.1    Une approche littéraire.

2.3.2    Une approche spéculative.

2.3.3    Une approche technique.

Les caractéristiques des documents informatisés.

Immatérialité.

Plasticité.

Rapidité.

L’architecture d’un hyperdocument

Le modèle du graphe.

Éléments de structure.

2.4       Quel positionnement personnel ?.

 

Notes

 

Ce chapitre s’efforcera de proposer au lecteur un éclairage assez complet sur la notion d’hypertexte. Après l’exposé de quelques aspects historiques, j’examinerai la question de la terminologie.

Une partie importante sera consacrée ensuite à un travail critique destiné à dégager un certain nombre de concepts permettant d’appréhender la nature et la structure des hypertextes.

2.1. Les aspects historiques

Les hypertextes sont des objets relativement nouveaux. Leur apparition ne saurait précéder celle de l’informatique dans la mesure où l’on admet que, par nature, ils n’existent que grâce au support d’une mémoire d’ordinateur. Toutefois, l’idée d’une organisation de l’information ou des connaissances sous une forme hypertextuelle avant la lettre a pu germer dans l’esprit de chercheurs avant que les conditions techniques de sa réalisation ne soient réunies.

Au-delà de l’intérêt purement informatif d’un aperçu historique, je chercherai à montrer qu’un certain nombre des questions qui sous-tendent mon propre travail de recherche apparaissent en fait très tôt au cours de la brève histoire des hypertextes.

2.1.1. Un article fondateur

Un usage déjà bien établi malgré la brièveté de l’histoire de l’informatique veut que l’on accorde la paternité des hypertextes à Vannevar Bush qui en aurait présenté l’idée dans un article intitulé « As we may think » [1] [BUSH 45] publié en Juillet 1945 dans un périodique américain, « The Atlantic Monthly ». [LA PASSARDIÈRE 91, p. 11], [LAUFER 92, p. 39], [M.E.N. 93, p. 7]

Cet article est évoqué très souvent tout en ne faisant que très rarement l’objet de citations exactes. A la fois familier et mal connu, il fait un peu fonction de mythe fondateur des hypertextes. Le terme même d’hypertexte ne sera proposé pour la première fois qu’une vingtaine  d’années plus tard et ne s’y trouve donc évidemment pas. On peut y chercher en vain la description d’un dispositif proprement hypertextuel installé sur ordinateur. Il est vrai que si les précurseurs de l’informatique sont suffisamment nombreux pour qu’on ne puisse jamais décider de qui a « inventé » l’ordinateur, on admet généralement que la première machine opérationnelle digne de ce nom fut l’E.N.I.A.C., construit en Pennsylvanie de 1942 à 1946 par Mauchly et Eckert [BIRRIEN 92]. Les différences entre ce dont parle Bush et ce que l’on désigne communément aujourd’hui par le terme d’hypertexte sont telles qu’un auteur comme Balpe conteste franchement la légitimité du rapprochement pour le rabaisser au rang des « analogies fausses et dangereuses ». [BALPE 90 p. 7]

Que peut donc bien contenir ce texte qui expliquerait sa réputation ? Tout en se gardant de musarder trop longtemps dans les sentiers de l’anecdote, il conviendrait de s’attarder un peu sur son contenu et les conditions de sa publication.

L’auteur était conseiller du Président des États-Unis d’Amérique pour les questions scientifiques pendant la deuxième guerre mondiale et coordonnait à ce titre les travaux de près six-mille chercheurs de toutes sortes de disciplines. Faut-il rappeler que tout l’effort de recherche portait à cette époque sur les moyens de gagner la guerre et notamment sur la mise au point de la bombe atomique. Si rien ne permet de préjuger du pronostic personnel de Bush quant à l’utilisation de la bombe sur un objectif réel, il est évident que sa position le mettait en situation de connaître l’état d’avancement du projet. La date à laquelle paraît l’article permet d’en situer selon toute vraisemblance la rédaction quelques semaines seulement avant le premier essai de la bombe et deux mois à peine avant Hiroshima. L’article se positionne clairement au moment d’une rupture. Pendant la guerre, les scientifiques ont « enterré leur vieille compétition professionnelle » [BUSH 45] au nom d’un but commun, ils ont produit de nouvelles connaissances et inventé de nouvelles techniques parmi lesquelles on compte au premier rang d’entre elles des armes terrifiantes. La guerre est finie ou presque. Du moins l’est-elle pour les savants si elle ne l’est pas encore pour les soldats qui s’entretuent dans le Pacifique. Et Bush de s’interroger :

« What are the scientists to do next ? » [2] [BUSH 45]

Pour lui, un problème central est celui de la disponibilité des énormes quantités d’information produites dans le monde entier. Il déplore les risques de déperdition en donnant l’exemple regrettable des découvertes de Mendel en génétique dont on sait qu’elles furent inexploitées pendant plusieurs décennies parce que les quelques rares personnes capables d’en tirer parti à l’époque n’en avaient pas eu communication. Bush consacre une bonne partie de son article à présenter des éléments de solutions techniques à son problème sous la forme d’un petit catalogue des dernières inventions du moment : miniaturisation des documents sur microfilms, simplification des moyens de saisie par photographie instantanée, enregistrement des sons sur bande magnétique, traitement des signaux par cellules photo-électriques et lampes radio, etc. Tout cela est certes bien intéressant, mais, jusqu’ici du moins, rien de bien nouveau en dehors des innovations purement matérielles ni surtout rien qui ne justifie véritablement la réputation de fondateur des hypertextes que la tradition accorde à Bush. Sur le plan technique notamment, il est clair que le stockage et le traitement des informations se font toujours sous une forme analogique alors qu’une des caractéristiques essentielles des hypertextes réside dans l’unification formelle du traitement de l’information par un codage numérique [BALPE 90, p.7]. L’auteur est le premier à convenir du peu d’originalité de cette partie de son exposé :

« All this is conventional, except for the projection forward of present-day mechanisms and gadgetry. » [3] [BUSH 45]

Ce qui suit devient nettement plus original et permet de comprendre le bien fondé de la réputation de cet article. En fait, sans le formuler tout à fait explicitement, Bush pose la question du rapport entre l’information et la connaissance. Il perçoit très bien qu’une connaissance ne se réduit pas à l’accumulation d’éléments d’information. En cela, il sait éviter de prendre part à la « tendance massive quoique peu rigoureuse dans ses arguments pour laquelle l’accès à l’information était synonyme d’accès au savoir » [BRETON 92, p. 134]. Sans doute ne faut-il pas surestimer le risque d’un tel dérapage pour Bush, car ce n’est finalement que pendant les décennies suivantes et en parallèle avec le développement des techniques dont il n’est qu’un précurseur que fleurira ce que Breton [Ibidem, Titre] appellera « l’utopie de la communication ».

Pour Bush, la construction du sens par la personne qui dispose des informations (ou qui les recherche) est le phénomène essentiel. Fidèle à une tradition bien anglo-saxonne qui remonte au moins à Hume, il s’attache à la thèse selon laquelle l’esprit humain se meut par association d’idées et non pas dans le carcan de classements et de taxonomies rigides comme on en utilise classiquement par exemple pour la gestion des bibliothèques.

« The human mind does not work that way. It operates by association. With one item in its grasp, it snaps instantly to the next that is suggested by the association of thoughts, in accordance with some intricate web of trails carried by the cells of the brain. (...) Man cannot hope fully to duplicate this mental process artificially, but he certainly ought to be able to learn from it. » [4] [BUSH 45]

Remettons à plus tard la critique qui s’imposerait sur le rapprochement un peu rapide et peut-être même simpliste entre l’organisation de la pensée et la structure biologique du cerveau pour nous en tenir aux intentions déclarées de l’auteur. Pour lui, c’est ce travail de construction du sens par association d’idées qu’il convient d’aider au moyen d’un dispositif qui jouera à la fois un rôle de support de l’information et d’auxiliaire de la mémoire. Il s’agit de faire en sorte que les informations éparses soient réunies pour que chacun puisse se construire des connaissances à partir d’elles.

Bush suggère alors que toutes les informations dont dispose un individu à un moment donné soient rangées dans un meuble de la taille d’un bureau qu’il appelle un « Memex », comme « memory extender ». Un ingénieux bricolage de leviers, de cartes perforées et de cellules photo-électriques permet de sélectionner et d’afficher rapidement sur un jeu d’écrans des informations stockées sur micro-film ou bande magnétique et d’en intégrer facilement de nouvelles dans le Memex tout en gardant les mains libres grâce à un appareillage photographique et acoustique installé sur une paire de lunettes. Une telle invention compliquée n’a semble-t-il jamais vu le jour. Mais ce qui est original, c’est la possibilité offerte par le Memex de créer des relations entre des informations qui resteront permanentes de telle manière que l’utilisateur puisse ouvrir des pistes et construire des parcours qu’il sera ensuite toujours possible de retrouver par simple action sur des leviers et des touches. Au mépris de l’élégance et de la légèreté, on pourrait appeler cela un dispositif optico-électronico-mécanique d’indexation associative. Si l’idée fondatrice des hypertextes se trouve bien quelque part dans cet article, c’est à cet endroit précis qu’il faut la chercher. Je cite longuement le passage où Bush décrit ce dispositif :

« (...) the basic idea of which is a provision where by any item may be caused at will to select immediately and automatically another. This is the essential feature of the memex. (...).

When the user is building a trail, he names it, inserts the name in his code book, and taps it out on his keyboard. Before him are the two items to be joined, projected onto adjacent viewing positions. At the bottom of each there are a number of blank code spaces, and a pointer is set to indicate one of these on each item. The user taps a single key, and the items are permanently joined. (...).

Thereafter, at any time, when one of these items is in view, the other can be instantly recalled merely by tapping a button below the corresponding code space. Moreover, when numerous items have been thus joined together to form a trail, they can be reviewed in turn, rapidly or slowly, by deflecting a lever like that used for turning the pages of a book. » [5] [BUSH 45]

On comprend à présent mieux la place que l’on accorde habituellement à ce texte, dont le titre lui-même, « As we may thinks », résume bien l’esprit. Face à la multiplication des informations disponibles, les savants, mais pourquoi pas d’autres personnes, doivent avant tout éviter le piège de la confusion entre l’accumulation des données ou des résultats expérimentaux et la construction d’une authentique connaissance qui soit porteuse de sens. Nous sommes bien là dans une problématique éducative dans la signification la plus large du terme. Et la situation de l’auteur qui nous invite à y entrer ne peut qu’en renforcer la portée ; il savait à quoi s’en tenir sur les capacités destructrices de l’inventivité de l’esprit humain [6]. Il y aurait presque quelque chose d’émouvant dans sa tentative de réunifier vers une même finalité humaniste le bric à brac des trouvailles techniques, « mechanisms and gadgetry », et la revendication de la capacité humaine à produire du sens et à réinventer des valeurs, quelques semaines après la libération d’Auswitch et deux mois avant Hiroshima. Il se pourrait aussi qu’il s’agisse seulement de réaffirmer et de restaurer dans le monde les valeurs établies d’une Amérique triomphante grâce à ses sacrifices et à sa technologie. Il appartiendrait à l’historien d’essayer de répondre à cette dernière interrogation. Je ne la pose ici que dans le but d’attirer l’attention sur l’ambivalence originelle des hypertextes qui se donnent à penser à la fois comme supports de reproduction et de transmission et comme outils de rupture et d’invention.

Pour revenir à l’échelle infiniment plus modeste de ce présent travail, il importe enfin d’insister sur la correspondance entre le propos de Bush et les interrogations de ma recherche : si l’on admet qu’apprendre, ce soit au moins jusqu’à un certain point se construire des connaissances qui aient véritablement un sens à partir d’informations et d’autres connaissances antérieures, on peut se demander après Bush en quoi l’emploi d’un dispositif de type hypertextuel peut aider à y parvenir.

Il paraît finalement assez légitime de laisser à ce texte la place privilégiée qui lui est habituellement accordée. Au delà d’un certain « optimisme un peu naïf » [LAUFER 92, p. 41] et du côté bande dessinée des équipements imaginés, il a le mérite de poser le problème du passage de l’accumulation des informations à la construction de la connaissance à la fois dans sa dimension psychologique et cognitive et dans ses enjeux axiologiques et humains. S’il n’a pas à proprement parler inventé l’hypertexte, son auteur inspirera d’autres chercheurs qui auront à cœur de mettre ses idées en œuvre.

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2.1.2. Les fenêtres, la souris et les liens associatifs

Il faudra attendre une vingtaine d’années pour que les conditions économiques et technologiques permettent un début de réalisation des projets de Bush. L’invention du transistor en 1948 [E.U. 68, t. 20, p. 1029, d] et la mise au point des circuits intégrés vers 1962 [E.U. 68, t. 4, p. 795, d] ouvrent des possibilités techniques de fabrication d’ordinateurs de plus en plus rapides et puissants. Mais, pour impressionnantes que soient leurs performances, ces machines restaient d’un emploi malcommode forcément réservé à un petit nombre de techniciens très avertis. C’est en particulier dans le domaine des échanges avec leurs utilisateurs humains que ces engins parfois énormes faisaient montre d’une austérité proche de l’indigence.

Au risque méritoire d’ébrécher à terme leur auréole d’éminents spécialistes, un certain nombre de chercheurs en informatique vont travailler à imaginer et à mettre au point des interfaces homme-machine plus « adaptées aux ressources sensori-motrices et cognitives » [LAUFER 92, p. 41] des utilisateurs humains [7].

Un chercheur américain de l’Université Standford, Douglas Engelbart, va expérimenter avec son équipe bon nombre des innovations qui transformeront les calculateurs accessibles aux seuls informaticiens en machines apprivoisées et à la portée du commun des mortels [8]. Au rang de celles-ci, on remarquera les suivantes dans la mesure où elles introduisent les conditions de possibilité de la réalisation pratique d’hypertextes.

L’affichage de plusieurs fenêtres simultanément sur un écran

Cet aménagement de l’écran offre la possibilité d’y voir en même temps plusieurs fragments dispersés d’un même document ou de documents différents. Ces fragments apparaissent dans des cadres rectangulaires qui peuvent se juxtaposer, se chevaucher ou se superposer. Dans ce dernier cas, la vision n’est bien entendu pas strictement simultanée mais il est facile de passer très vite d’un cadre à un autre par simple pression sur une touche. L’intérêt de cette technique d’affichage réside dans les possibilités nettement accrues de rapprochements et de comparaisons commodes entre différentes informations.

La métaphore de la fenêtre s’est imposée de telle sorte que l’on a déjà oublié aujourd’hui que c’en est une. Cette dernière remarque n’est peut-être pas aussi anodine qu’il n’y paraît. L’usage courant veut maintenant que l’on regarde « dans » une fenêtre d’écran d’ordinateur. Sauf erreur et depuis fort longtemps, on avait pris l’habitude de regarder « par » les fenêtres de nos maisons. Le choix de la préposition « par » témoigne d’une certaine conscience du caractère nécessairement partiel du spectacle offert à travers l’ouverture dans un mur qu’est à proprement parler une fenêtre. Pour qu’il y ait une fenêtre qui montre, il faut d’abord un mur qui cache ce qui se trouve de l’autre côté. Le choix de la préposition « dans » risque de faire oublier l’existence du mur et peut donner l’illusion d’un accès immédiat à quelque forme complète et objective du savoir.

En tout état de cause et d’un point de vue ergonomique, le multi-fenêtrage ne devient intéressant qu’à partir du moment où le passage d’une fenêtre à une autre peut s’opérer d’un geste simple. Une autre invention de D. Engelbart va remplir cette condition.

La souris

On ne décrit plus aujourd’hui ce système de pointage manuel très connu qui doit son nom à une vague ressemblance morphologique avec l’« animal dont le chemin est jonché de femmes évanouies » [BIERCE 89, Art. souris].

Il est couramment mis en avant que la souris permet de s’affranchir en partie du clavier et des inconvénients qu’il représente pour beaucoup de personnes. En cela, elle a contribué sans aucun doute à la domestication des ordinateurs. La contrepartie qui n’est pas négligeable, c’est qu’ont été développés d’innombrables logiciels qui n’offrent même pas la possibilité annexe de se servir du clavier et qui enferment en fait les utilisateurs dans leur logique sous des dehors d’interactivité et de convivialité. On trouve cependant maintenant de nombreux logiciels « ouverts » qui donnent à la fois l’accès à l’écriture avec le clavier et les commodités de pointage et de commandes avec la souris.

Ces deux innovations, le multi-fenêtrage et la souris, donnent la possibilité de passer facilement d’un groupe de données à un autre sur l’écran de l’ordinateur. Encore faut-il qu’en arrière-plan ces données soient traitées de manière adéquate.

L’établissement de liens associatifs entre les données

Le Memex de Bush comportait un dispositif d’association de documents fondé sur les principes de la mécanographie. Ce n’était pas un ordinateur. D’autre part, la plupart des fichiers de données informatiques [9] classiques sont à accès soit séquentiel, soit aléatoire [10]. Mais ces protocoles ne prévoient pas la possibilité de rechercher directement et par association une donnée à partir du contenu d’une autre. C’est à l’équipe de D. Engelbart que reviendra le mérite d’expérimenter un système informatique capable de générer et de consulter des fichiers comportant des liens associatifs entre les données.

Certes, il s’agit encore de réalisations expérimentales implémentées sur des ordinateurs inaccessibles au public et aux élèves des établissements scolaires. Toutefois, avec ces innovations, ce sont les conditions nécessaires à l’élaboration des hypertextes qui ont été ainsi réalisées. Un début de mise en œuvre se fera en 1968 dans le cadre du projet AUGMENT (comme « Augmentation of Man’Intellect »), quand Douglas Engelbart présentera NLS (oN Line System), un vaste « dispositif expérimental destiné aux chercheurs pour l’archivage de leurs articles, essais et rapports, dans une espèce de revue que tous pouvaient lire et compléter par des références croisées entre les documents. » [LAUFER 92, p. 41]. Presque au même moment, en 1967, Andries van Dam avait réalisé le premier hypertexte présenté comme tel « Hypertext Editing System », appelé par la suite FRESS (File Retrieval and Editing System, Système de recherche et d’édition de fichier).

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2.1.3. L’invention du mot « Hypertexte »

Pour qu’un hypertexte puisse être présenté comme tel, il fallait bien que le mot existât. C’est à T. Nelson que l’on doit l’invention vers 1965 [11] du terme « hypertext » (« hypertexte », en français). Il le présente comme « une écriture non linéaire donnant à l’utilisateur une liberté de mouvement. », in [FLICHY 91, p. 28-30] [12]. Remarquons que Nelson parle d’« écriture » et que ce dernier terme désigne comme chacun sait aussi bien l’action et la manière d’écrire que le résultat de cette action.

T. Nelson n’est pas informaticien. Il souhaite simplement se doter d’outils destinés à faciliter son travail d’auteur. Il fonde ensuite le projet Xanadu [13] qui se présente comme un immense réseau hypertextuel donnant accès à un corpus universel réunissant la plus grande partie des ouvrages publiés dans le monde entier reliés entre eux par des liens associatifs et prévu pour recevoir des annotations de la part des utilisateurs. À travers la démarche de Nelson, on aperçoit le commencement d’un processus de domestication des ordinateurs (computer, en anglais) par des utilisateurs qui ne sont plus des scientifiques au sens restreint du terme et pour des usages autres que le calcul.

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2.1.4. La micro-informatique

Si les années soixante apparaissent comme l’époque de la naissance effective des hypertextes, baptême à l’appui, il faudra attendre encore vingt ans pour qu’ils arrivent à la portée de ce qu’il est convenu d’appeler le grand public. L’apparition de circuits intégrés et de micro-processeurs de plus en plus puissants et de moins en moins chers dans certaines conditions économiques dont l’approfondissement sortirait du cadre de nos travaux a mis les ordinateurs à la disposition des petites entreprises, des établissements scolaires et de beaucoup de particuliers, au moins dans les pays industriellement les plus développés.

En 1986, la société OWL propose « Guide », un hypertexte fonctionnant sur micro-ordinateur dû aux travaux de Peter Brown et de son équipe de l’Université du Kent.

L’année suivante, la célèbre maison Apple propose « Hypercard », un logiciel conçu par Bill Atkinson, et popularise ce produit en le livrant avec ses ordinateurs Macintosch sans supplément de prix. Dans la mesure où le « Mac » est devenu l’ordinateur personnel favori d’un très grand nombre de chercheurs, « Hypercard » restera longtemps la référence en matière d’hypertexte sur micro-ordinateur.

A la fin des années quatre-vingts, des logiciels d'hypertexte pour P.C. de type I.B.M. fonctionnant sous D.O.S. sont proposés [14]. En France, les établissements scolaires du second degré se voient dotés très souvent de machines de type P.C. capables de supporter de tels logiciels d’hypertexte comme « Hyperinfo » de Softia Ô ou « Connexions » d’Alain Lambert distribué par la maison d’édition Hatier.

Au début des années quatre-vingt-dix, la banalisation de l’interface graphique « Windows » ouvre de nouvelles possibilités. Cette interface permet en effet la mise en œuvre commode sur micro-ordinateur P.C. des jeux de fenêtres et du pointage par souris inventés par Engelbart et familiers depuis quelque temps aux possesseurs de Macintosch.

Depuis 1995, les ordinateurs personnels sont vendus avec un équipement « multimédia » comprenant en général une carte-son [15] et un lecteur de C.D.-Rom [16] qui leur permet de manipuler des images fixes, des images animées, des voix, des sons musicaux et des bruits divers. Les hypertextes qui intègrent au moins en partie ces possibilités sonores et visuelles sont appelés des « hypermédias » [17]. On trouve dans le commerce des logiciels de création et de consultation d’hypermédias à des prix abordables par des établissements comme les lycées ou les collèges.

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2.1.5. Internet

Ces dernières années, les hypertextes ont fait l’objet de débats nombreux. Ils ont eu l’honneur de leur premier congrès international à l’Université de Caroline du Nord en 1987 [LAUFER 92, p. 43]. En Europe, c’est en France que s’est tenue la première réunion scientifique au sujet de leurs utilisations éducatives, « Hypermédias et Apprentissages, Premières journées scientifiques » à Chatenay-Malabry en 1991. [LA PASSARDIÈRE 91]. Depuis, cette manifestation se renouvelle tous les deux ans.

Si le développement des supports de type CDRom n’est sans doute pas étranger à cet intérêt pour les hypertextes, celui du réseau Internet y contribue certainement beaucoup également. En quelques mots, rappelons que ce réseau de communication entre ordinateurs à l’échelle mondiale trouve ses origines dans un système de transmission à vocation militaire mis en place dès 1968 par la défense des Etats-Unis d’Amérique. L’outil déborde rapidement de ses limites militaires et rend de nombreux services aux chercheurs des universités et à certaines entreprises des USA, puis de l’Europe occidentale et du Japon. Il permet essentiellement d’échanger des données textuelles ou numériques par messagerie ou transfert de fichiers et de prendre à distance les commandes de certains ordinateurs. C’est à partir de 1993 qu’Internet et l’hypertexte vont se rejoindre. L’invention et la mise en œuvre à l’échelle mondiale d’une technique permettant l’affichage de pages-écrans comportant des textes et des images et reliées entre elles par des liens hypertextes va réaliser enfin concrètement le projet de T. Nelson. Fonctionnant grâce à un protocole de transfert de fichiers universel (HTTP) et à un format de codage également universel (HTML) [18], ce vaste réseau prendra le nom de Wordl Wide Web, ou plus brièvement : Web. Il existe bien sûr une traduction française qui est « Toile », mais elle ne semble pas s’imposer dans l’usage.

En même temps que la messagerie, le web va connaître  en quelques années un développement considérable à la disposition d’une très grande partie de la population des pays industrialisés. Les pouvoirs publics de ceux-ci vont rapidement décider de la nécessité économique et même de l’intérêt éducatif de faire entrer Internet à l’école. Il n’est pas dans mon propos de discuter ici du bien fondé de ces décisions. Selon des modalités variables en fonction des différents types d’organisation, elles s’imposent plus ou moins fortement aux systèmes éducatifs, notamment en France dès 1995. A cette date, trois académies expérimentent des installations visant à connecter les établissements scolaires au réseau mondial. Elles sont suivies par une douzaine d’autres dès l’année suivante et bientôt rejointes par la totalité d’entre elles.

L’académie de Nancy-Metz fait partie de la deuxième vague et j’ai raconté plus haut, dans l’introduction, comment j’ai été personnellement impliqué dans cette entreprise. Des serveurs académiques destinés à recevoir et à permettre la diffusion des documents produits localement sont mis en place. Ils « hébergent » ainsi les « sites » d’un nombre croissant d’établissements scolaires, du premier et du second degré.

Ce qui est important pour nous, ce sont les conséquences de ce développement en termes d’usages pédagogiques des hypertextes. La politique de l’Éducation Nationale, relayée généralement par une contribution financière des collectivités territoriales et locales, va mettre l’hypertexte et sa publication présumée mondiale à la portée des enseignants et de leurs élèves. Non pas, bien sûr, qu’il se produise une adhésion universelle à la pratique du Web, il s’en faut. Mais il n’est pas moins vrai que les sites distincts, par établissements ou par disciplines d’enseignement, se comptent par centaines sur un serveur académique comme celui de Nancy-Metz, et que les documents, en prenant le fichier pour unité, s’y comptent par centaines de milliers. Sur cette quantité impressionnante, une part que je ne saurais quantifier, mais qui n’est certainement pas négligeable, est le fruit d’un travail d’élèves. Des logiciels de composition de pages web et de gestion de site sont proposés dans le commerce et mettent quiconque dispose d’un minimum de compétence dans l’utilisation des ordinateurs en situation de réaliser sans trop de difficultés un site web hypertextuel. La composition par les élèves de documents hypertextes au format HTML placés sur le site Internet de l’établissement ou sur le réseau local est devenue une activité sinon courante, du moins relativement répandue au cours des années 1997-2000 dans nombre d’établissements, notamment dans le premier degré. Certains enseignants des écoles ont en effet rapidement intégré les outils du web à leurs pratiques inspirées de la pédagogie Freinet.

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2.2. Des questions de terminologie

« Il serait temps qu’un Commissaire de la République des Lettres nous imposât une terminologie cohérente. »

C’est en ces termes et non sans malice que G. Genette feint de déplorer le désordre terminologique qui règne dans un domaine de l’analyse littéraire où l’on parle d’hypertextualité, mais aussi de trans, méta, inter, architextualité... ad libitum [GENETTE 82, note p. 7]. Je vais employer les paragraphes qui suivent à tenter d’apporter un peu de netteté possible dans le flou terminologique qui caractérise aujourd’hui le domaine des hypertextes sans pour autant rejeter des acceptions ou des emplois de termes homonymes ou apparentés qui pourront peut-être mutatis mutandis m’être utiles par la suite, ni bien sûr m’exposer au ridicule de paraître vouloir légiférer en matière de langage.

Rappelons que le terme même d’« hypertext » qui désigne l’objet auquel s’intéresse ce travail de recherche est introduit dans la langue américaine vers 1965 par T. Nelson dans le monde des informaticiens élargi à leurs fréquentations. Nul doute que Nelson n’ait eu d’excellentes raisons de faire ce choix et que le mot ainsi fabriqué n’ait désigné pour lui un concept clair. Cependant, une fois lâchés dans la culture, les mots font comme les enfants et vivent leur propre vie. Dans quel état, si je puis m’exprimer ainsi, se trouve aujourd’hui le mot français « hypertexte » ?

Il en existe au moins une acception étrangère au sérail des informaticiens, dans le domaine de l’analyse littéraire, qui retiendra notre attention. Mais pour commencer, nous verrons ce que peut bien évoquer ce mot en dehors des limites étroites de ces deux spécialités.

Cependant je n’oublie pas que le mot « hypertexte » a un proche parent ou si l’on préfère un concurrent, « hypermédia », et qu’il ne serait pas inutile de les distinguer au mieux l’un de l’autre. En principe, on devrait réserver le second de ces deux termes à la désignation d’hypertextes comprenant des images fixes ou animées et des séquences sonores musicales ou vocales et le premier à ceux qui ne comportent que du texte. On verra que la situation est loin d’être aussi simple et je serai conduit à discuter cette première approche. On rencontre également le mot « hyperdocument » qui désignerait un document hypertextuel particulier par rapport à l’hypertexte compris alors dans un sens générique.

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2.2.1. La lexicographie ordinaire

Si le terme «hypertexte » est entré aujourd’hui résolument dans le vocabulaire presque familier des informaticiens et de certains utilisateurs de l’informatique dans les milieux de l’édition ou de l’éducation, il demeure encore ignoré ou mal connu du plus grand nombre. En admettant que des dictionnaires de la langue française comme le Petit Larousse Illustré 1994 et le Dictionnaire de la Langue Française, Lexis 1993, du même éditeur, constituent des indicateurs fiables de l’intégration des mots nouveaux dans la langue, on constate que le dernier, qui se présente comme plus littéraire que l’autre, ignore le terme, et que si le premier le connaît, encore en propose-t-il une définition plutôt restrictive qui confine l’hypertexte au domaine documentaire et fait l’impasse sur son caractère spécifique de document électronique informatisé : « Technique ou système qui permet, lors de la consultation d’une base documentaire de textes, de sauter d’un document à un autre selon des chemins préétablis ou élaborés à cette occasion. » [LAROUSSE 94, art. Hypertexte]. On pourrait supposer avec une pointe d’amusement que le lexicographe fait directement référence aux anticipations de V. Bush en oubliant toutes les réalisations concrètes qui ont vu le jour depuis. Notons également que les mots apparentés à « hypertexte » que sont « hypermédia » et « hyperdocument » ne se trouvent dans aucun des deux dictionnaires cités.

L’édition 1998 du Petit Larousse reprend presque mot pour mot la définition du mot « hypertexte » qu’il donnait en 1994 et accueille « hypermédia » : « technique ou système analogues à l’hypertexte mais adaptés à la manipulation d’images (fixes ou animées, vidéo ou graphiques) et de sons. » [LAROUSSE 98, art. Hypemédia]. Il est intéressant de remarquer que le même dictionnaire signale un « hypertexte » adjectif qualificatif, ce qui a pour conséquence directe de permettre l’accord de ce mot au pluriel dans des expressions comme « des documents hypertextes » [LAROUSSE 98, art. Hypertexte].

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2.2.2. L’environnement sémantique

Même si le terme « hypertexte » est peu connu, il se trouve que les deux parties qui le composent sont au contraire familières. Le préfixe « hyper » entre dans la construction de nombreux mots d’un emploi aussi courant que le radical « texte ». Accordons leur quelques instants d’attention.

Le préfixe « hyper »

Ce préfixe d’origine grecque exprime d’abord comme chacun le sait l’idée de supériorité dans un sens propre ou figuré : « au-dessus, sur » [BAILLY 01]. Son contraire est alors « hypo », « en-dessous, sous ». En français (mais aussi dans d’autres langues européennes), « il indique une intensité ou une qualité supérieure à la normale » [LAROUSSE 93, art. Hyper].

De très nombreux termes scientifiques et techniques, notamment dans le domaine de la médecine, sont ainsi construits avec le préfixe « hyper » et son contraire « hypo ». Il convient de mentionner particulièrement un emploi de « hyper » en géométrie. Un « hypercube » est un solide qui a toutes les propriétés d’un cube transposées de l’espace à trois dimensions dans un espace à quatre dimensions. On appellera « hyper-espace » tout espace à n dimensions, à partir du moment où n est supérieur à trois. Pour des raisons dont on ne cherchera pas ici à savoir si elles sont objectives ou subjectives, il demeure impossible à un être humain de percevoir dans un espace de plus de trois dimensions [19]. S’il est possible de concevoir des espaces à n dimensions, aussi grand que soit a priori n, il est impossible d’imaginer un espace à plus de trois dimensions [20]. De même, toute représentation figurée d’un objet à plus de trois dimensions prend nécessairement la forme d’une projection dans un espace à deux ou trois dimensions. Cette remarque n’est pas sans importance, car on verra que les hypertextes au sujet desquels Alain Lambert parle de « la quatrième dimension de l’écrit » [LAMBERT 91, p. 62] empruntent à la géométrie multidimensionnelle quelque chose de cette hyperspatialité qui rend difficile et parfois impossible leur représentation schématique sur le papier, lequel n’offre bien sûr que deux dimensions pour s’exprimer.

La notion d’hyper-espace voyage de la géométrie vers la physique quand cette dernière assimile le temps à une quatrième dimension de l’espace. Il n’est pas de mon propos ni surtout de ma compétence de développer ce point. Toutefois, il serait dommage de ne pas attirer l’attention sur l’appropriation de la notion physicienne d’hyper-espace par la littérature et le cinéma de Science-fiction. Cela mériterait peut-être une étude dont je n’ai pas connaissance qu’elle ait été faite, mais il semble clair que des connotations avec les univers fantastiques ou merveilleux du récit de Science-fiction viennent interférer avec des intentions de compréhension du sens plus rationnelles lors de la première rencontre d’un interlocuteur avec le mot « hypertexte ». La plupart des personnes traitent ces connotations sur un mode défensif et ironique et je pourrais personnellement témoigner d’allusions directes à tels films célèbres de Science-fiction entendues au cours de formations d’enseignants aux utilisations pédagogiques des hypertextes.

Par ailleurs, le préfixe « hyper » entre dans la composition d’appellations commerciales qui veulent toujours indiquer une taille et une activité au superlatif. Si le terme « hypermarché » a eu l’honneur de recevoir une définition réglementaire en Droit français [21], il n’en reste pas moins vrai que tout commerçant peut intégrer « hyper » dans la raison sociale de son entreprise. Cela participe probablement d’une tendance bien connue de la langue courante à épuiser très vite les marques du superlatif. Je ne vois bien entendu aucun inconvénient à tout cela mais ce n’est sans doute pas sans conséquence sur les représentations spontanées que se font les nouveaux utilisateurs quand ils entendent parler d’hypertexte pour la première fois. Le mot a quelque chose de trop publicitaire, voire même d’un tantinet prétentieux, pour ne pas susciter de la méfiance, surtout chez des enseignants que l’on soupçonne, peut-être à tort, de ne pas avoir toujours des rapports parfaitement sereins et limpides avec le monde du commerce et de l’argent.

Enfin, d’autres préfixes comme « pluri », « multi », ou à l’opposé « uni » ou « mono » partagent le même champ sémantique que « hyper » sur les encarts publicitaires des magazines spécialisés et dans les catalogues de logiciels et de matériel informatique. Il est vrai que ces derniers préfixes sont en général plutôt associés à « média » qu’à « texte », mais dans la mesure où la distinction entre « hypertexte » et « hypermédia » n’est pas toujours assurée, le risque de confusion ne peut qu’augmenter.

Le radical « texte »

Pour anodin qu’il paraisse, le radical « texte » n’en mérite pas moins quelques moments d’attention. Outre une signification très particulière dans le jargon des informaticiens et un sens courant très riche, il possède une étymologie tout à fait intéressante.

Dans le but de faciliter les échanges de données, la communauté des informaticiens américains s’est mise d’accord sur un standard appelé le code A.S.C.I.I.[22] conçu pour normaliser le codage des caractères alphanumériques, des caractères dits semi-graphiques et d’un certain nombre de commandes simples [23]. Par la suite, ce code à été étendu pour arriver à une norme internationale de type I.S.O., capable notamment de coder des caractères absents de l’écriture anglo-saxonne comme par exemple les voyelles accentuées de la langue française. Les fichiers de données alphanumériques ainsi codés ont par nature la propriété de pouvoir être affichés à l’écran ou imprimés sous un aspect directement lisible, ce qui n’est pas le cas des fichiers de programmes en code machine ni d’autres fichiers contenant par exemple des données graphiques ou sonores nécessitant un traitement différent. On a pris l’habitude du côté des informaticiens d’appeler fichier « texte » un fichier codé en A.S.C.I.I. sans adjonction d’attributs typographiques ou de mise en page. Les premiers logiciels de génération et de consultation d’hypertextes qui sont apparus sur le marché pour les micro-ordinateurs de type P.C. ne manipulaient que des fichiers « texte » et à ce titre se montraient incapables d’intégrer des images, des sons ou de la vidéo.

De ce point de vue technique et restreint, on serait en droit de réserver le terme « hypertexte » à des documents contenus dans des fichiers « texte » (A.S.C.I.I.) et de prendre « hypermédia » pour ceux qui intègrent des images, des sons et de la vidéo, comme le fait le Petit Larousse 1998. Mais un problème surgit avec « média ».

Si l’on entend par là tout support de l’information en tant que moyen de transmission d’un message, « hypermédia » ne veut pas dire grand chose de plus que « hypertexte ». Son sens serait même franchement plus pauvre dans la mesure où il pourrait faire penser davantage à un « modèle télégraphique » [WINKIN 81, p. 26] de l’information lui-même réducteur comme celui de Shannon qu’à un « modèle orchestral » [WINKIN 81, p. 26] beaucoup plus riche tel qu’on le découvre chez des auteurs comme Bateson, Birswhistell ou d’autres du même mouvement de pensée liés à l’École de Palo-Alto.

Veut-on dire que les supports sont variés ? C’est alors « multimédia » qui se justifierait, mais certainement pas le préfixe « hyper » qui n’exprime pas la multiplicité comme le fait « multi ». Et même s’il semble assez clair que la diversité plus ou moins grande de tels supports légitime l’emploi d’un préfixe comme « multi », ou bien le repérage de la multiplicité se situe au niveau de la perception du message par au moins deux sens comme la vue et l’ouïe et dans ce cas la moindre conférence, le plus modeste cours, la plus quotidienne des conversations accèdent à la dignité de « multimédia » et cela prête à sourire, ou bien ce repérage s’opère au niveau du type de codage et perd alors toute signification avec l’informatique puisque toutes les données prennent à présent la même forme numérisée d’une suite de zéro et de un.

En somme, les expressions « hypermédia » et « multimédia » sont assez gravement porteuses de difficulté, de confusion et parfois de contradiction pour que je fasse le choix de ne les utiliser qu’avec parcimonie, quand par exemple il s’agira de s’exprimer en référence aux usages pédagogiques ou commerciaux courants. Et je préférerai chaque fois que cela sera possible m’en tenir à « hypertexte » et à « hyperdocument ».

Revenons donc à « texte » qui a bien sûr un champ de significations plus riche que celui d’un simple type de codage. S’il désigne d’abord « les termes mêmes qui constituent un écrit significatif (par opposition aux commentaires et aux traductions) » [LAROUSSE 93], il englobe aussi la totalité du sujet ou de la matière dont on parle dans un emploi classique certes plus répandu au XVIIème siècle qu’aujourd’hui mais toujours attesté. Dans la mesure où il renvoie à l’idée d’écriture, il partage avec cette dernière un spectre de significations très large. On écrit des lettres, des essais et des romans, mais aussi des films de cinéma et de la musique.

Un « hypertexte », comme tout texte, introduit à une problématique de l’écriture, aussi bien en tant que processus de production d’écrit (travail de l’écrivain) et de modalité expressive (calligraphie, style) qu’en tant que résultat arrêté de ce processus (Saintes Écritures). Une de ses originalités par rapport à des textes linéaires sur papier ou sur pellicule tient probablement à la souplesse qu’il tire de sa nature informatique et qui tend à estomper la frontière entre le processus et le résultat.

L’étymologie enfin de ce mot « texte » ne saurait laisser l’amateur d’hypertextes indifférent. On la retrouve intacte dans « textile ». Y sont évoqués pour qui veut bien entendre les innombrables entrelacs de la pensée individuelle et collective, les raisons du cœur et les autres raisons, l’histoire, le temps, et tout ce qui fait que le langage ne se réduit pas à un processus de communication compris comme l’installation d’une ligne de téléphone. De ce point de vue étymologique, on en arriverait presque à considérer que tout texte est finalement un hypertexte. Cette observation n’est pas sans conséquences.

En effet, à cet instant, la distinction entre « hypertexte » et « texte » ne va plus du tout de soi. Si le bon sens conduisait à penser d’une façon rassurante que tout hypertexte est bien un texte parmi d’autres genres de textes, ou, si l’on préfère, que les hypertextes constituent un sous-ensemble de l’ensemble plus vaste de tous les textes, l’embarras nous gagnerait si tout texte quel qu’il soit avait d’emblée les propriétés reconnues en principe aux seuls hypertextes. Il conviendra donc de toujours bien marquer attentivement la spécificité d’un document légitimant son appartenance au genre « hypertexte ». Sinon, l’on devra sacrifier à une formulation légèrement parodique du fameux principe d’Occam : « Verba non sunt multiplicanda praeter necessitatem » [24], et faire l’économie du terme « hypertexte » [25]. Plutôt que de me résoudre à une telle extrémité pour le moins paradoxale dans un travail comme celui-ci, je vais maintenant m’efforcer d’enrichir et de préciser la notion elle-même d’« hypertexte ».

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2.3. La nature des hypertextes

Trois ouvrages seront principalement mis à contribution. L’un traite d’une notion d’hypertextualité qui n’entretient en apparence que des rapports d’homonymie avec celle qui nous occupe, mais en apparence seulement. Il s’agit de l’essai littéraire de Gérard Genette, « Palimpsestes », qui nous offrira une première approche de la notion d’hypertextualité [GENETTE 82]. Un autre, « Les technologies de l’intelligence », de Pierre Lévy, apportera un éclairage très général en nous entraînant dans une ambiance intellectuelle que l’on pourrait qualifier de spéculative [LÉVY 90]. Le troisième porte clairement sur les hypertextes au sens où je pense l’entendre ici, si tant est qu’il soit tenable pour moi de faire référence à un sens au moment même où je m’efforce avec peine de le construire. C’est un livre assez technique et documenté qui est tenu pour faire autorité dans le domaine des hypertextes, « Hyperdocuments, hypertextes, hypermédias » de Jean-Pierre Balpe [BALPE 90].

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2.3.1. Une approche littéraire

L’analyse littéraire propose une approche de la notion d’hypertexte qui n’est peut-être pas aussi étrangère à celle des informaticiens qu’il n’y parait.

Une acception du terme « hypertexte » apparaît dans le domaine de l’analyse littéraire aux environs de la décennie 1970. Gérard Genette, ainsi que d’autres auteurs comme Julia Kristeva [KRISTEVA 69] ou Michael Riffaterre [RIFFATERRE 80] avant ou en même temps que lui, ont mené des recherches sur les relations entre les textes constitutifs de la littérature. Ils créent toute une série de concepts qui déclinent les modalités des relations entre les textes et ils mobilisent à cet effet la catégorie de « textualité » et une gamme de préfixes comme « trans », « inter », « méta », « para », « archi », « hypo » et « hyper ». Chez Riffaterre, c’est sans doute l’intertextualité qui présente la plus grande généralité :

« L’intertextualité est le mécanisme propre à la lecture littéraire. Elle seule, en effet, produit la signifiance, alors que la lecture linéaire, commune aux textes littéraire et non littéraire, ne produit que le sens. (...) L’intertexte est la perception par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d’autres qui l’ont précédé ou suivi. » [RIFFATERRE 80] cité par [GENETTE 82, p. 9]

Sans modifier fondamentalement le concept, Genette préfère lui donner comme nom celui de « transtextualité » ou transcendance textuelle qu’il définit comme « tout ce qui le met [un texte] en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres textes » [GENETTE 82, note p. 7]. Il propose ensuite de distinguer cinq figures de la transtextualité :

L’intertextualité qui est « une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes » [GENETTE 82, p. 8].

La paratextualité qui subsume « titre, sous-titre, intertitres ; préfaces, postfaces, avertissements, avant-propos, etc. ; notes marginales, infrapaginales, terminales ; épigraphes ; illustrations ; prière d’insérer, bande, jaquette, et bien d’autres types de signaux accessoires, autographes ou allographes, qui procurent au texte un entourage (variable) et parfois un commentaire (...). » [GENETTE 82, p. 10].

La métatextualité qui « est la relation, on dit plus couramment de « commentaire », qui unit un texte à un autre texte dont il parle (...). C’est, par excellence, la relation critique. » [GENETTE 82, p. 11].

L’architextualité d’un texte qu’il définit comme : « l’ensemble des catégories générales, ou transcendantes - types de discours, modes d’énonciation, genres littéraires, etc. - dont relève chaque texte singulier. » [GENETTE 82, p. 7].

L’hypertextualité par laquelle il entend : « toute relation unissant un texte B (que j’appellerai hypertexte) à un autre texte antérieur A (que j’appellerai, bien sûr hypotexte) sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire. » [GENETTE 82, p. 13] Le passage de l’hypotexte vers l’hypertexte se réalise selon les modalités de la transformation ou de l’imitation. En ce sens, la notion d’hypertextualité dépasse l’univers de la littérature pour s’appliquer à toute forme de production artistique :

« Tout objet peut être transformé, toute façon peut être imitée, il n’est donc pas d’art qui échappe par nature à ces deux modes de dérivation qui, en littérature, définissent l’hypertextualité, et qui, d’une manière plus générale, définissent toutes les pratiques d’art au second degré, ou hyperartistiques (...) » [GENETTE 82, p. 536]

« J’appelle donc hypertexte tout texte dérivé d’un texte antérieur par transformation simple (nous dirons désormais transformation tout court), ou par transformation indirecte : nous dirons imitation. » [GENETTE 82, p. 16].

Il est bien clair que cette définition ne correspond pas à l’objet informatique que nous appelons d’emblée « hypertexte » dans ce travail. S’agit-il alors d’une simple homonymie à signaler seulement « pour mémoire » ? A y regarder d’un peu plus près et au risque d’abuser du droit d’interprétation qu’a tout lecteur, il me semble toutefois utile de retenir pour notre usage au moins deux choses du travail de Genette dont j’ai connaissance.

Il y a d’abord trois ou quatre remarques dont la pertinence surmonte l’écart entre les significations en présence du mot « hypertexte ».

« L’hypertexte nous invite à une lecture relationnelle dont la saveur, perverse autant qu’on voudra, se condense assez bien dans cet adjectif inédit qu’inventa naguère Philippe Lejeune : lecture palimpsestueuse. Ou, pour glisser d’une perversité à une autre : si l’on aime vraiment les textes, on doit bien souhaiter, de temps en temps, en aimer (au moins) deux à la fois. (...) Le plaisir de l’hypertexte est aussi un jeu. » [GENETTE 82, p. 557]

Il n’y a pas de raison de mettre a priori de côté cette dimension du plaisir dans la transgression liée à la lecture hypertextuelle. L’hypertexte, au sens informatique du terme, doit vraisemblablement permettre l’établissement de relations entre des mots, des images, des objets numérisés divers, qui, pour n’être pas forcément incestueuses, n’en présenteraient pas moins un caractère inattendu, surprenant ou déroutant propre à exciter agréablement l’intellect avec tout le charme des risques d’égarement et d’emballement qu’il y a à se laisser dérouter et pourquoi pas dévoyer. « L’hypertexte, c’est bien connu, attire l’hypertexte », fait observer Genette. [GENETTE 82, p. 522]. Il y aurait quelque imprudence à lire et à écrire des hypertextes sans prendre en compte les spécificités de ce type de texte, que ce soit au sens de Genette ou à celui (ceux ?) de l’informatique. Et Genette de nous mettre en garde : « L’hypertexte gagne donc toujours (...) à la perception de son être hypertextuel. » [GENETTE 82, p. 555]. Certes, il se place évidemment sur un plan esthétique, mais il me semble que la formule vaut aussi sur le plan cognitif et que se trouve même ici un des aspects essentiels de ce qui est en cause dans cette recherche, la prise de conscience même du caractère relationnel et réticulaire d’un concept.

Il n’est pas impossible ensuite que des notions proposées par Genette comme celles d’intertextualité, de métatextualité, ou de paratextualité puissent être utiles à la fabrication d’un outillage intellectuel de caractérisation des divers éléments qui apparaissent dans un hyperdocument. Par exemple, on voit assez bien comment la notion de paratextualité permettrait de caractériser certains branchements dans l’hyperdocument qui sont de simples allers et retours vers une seule fenêtre fournissant une définition, une indication biographique, une référence bibliographique ou quoi que ce soit du même genre. Pourquoi ne pas envisager également que la notion de métatextualité ne puisse s’appliquer dans sa dimension critique à la caractérisation des éléments réflexifs et précisément critiques d’un réseau conceptuel inscrit dans celui d’un hypertexte ?

Je dois reconnaître que je manque tout à fait de fermeté sur les possibilités de transposition que je viens d’évoquer. Il y a toujours quelque chose d’aventureux dans la pratique du nomadisme, fut-il notionnel. D’un point de vue méthodologique et sans vouloir anticiper sur le chapitre qui le développe, je me propose de garder en réserve, si l’on peut dire, ces quelques notions, et de m’en servir dans la suite qui sera donnée à ce présent travail si je m’aperçois qu’elles me sont réellement utiles, sinon indispensables.

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2.3.2. Une approche spéculative

Pierre Lévy n’hésite pas à élargir considérablement la notion d’hypertexte. Dans « Les technologies de l’intelligence », il propose une conception de l’hypertexte qui en fait une vaste métaphore dont le pouvoir de modélisation dépasse très largement le domaine de l’écriture de documents.

« L’hypertexte est peut-être une métaphore valant pour toutes les sphères de la réalité où des significations sont en jeu. » [LÉVY 90, p. 29]

Cette approche dont il ne m’appartient pas de juger ici la légitimité de son universalité n’en demeure pas moins enrichissante pour notre interrogation dans la mesure où elle situe la problématique à la fois dans « la réalité » et dans « les significations ». Ce lien entre le réel et le sens n’est-t-il pas au cœur même de l’acte de conceptualiser auquel nous avons choisi de nous intéresser dans son rapport avec les hypertextes ?

Pierre Lévy examine la notion d’hypertexte dans la très vaste acception qui est la sienne. Il y aperçoit six caractères qu’il appelle aussi des principes. [LÉVY 90, p. 30-31].

« Principe de métamorphose

Le réseau hypertextuel est sans cesse en construction et en renégociation. Il peut rester stable un certain temps, mais cette stabilité est elle-même le fruit d’un travail. Son extension, sa composition et son dessin sont un enjeu permanent pour les acteurs concernés, que ceux-ci soient des humains, des mots, des images, des traits d’images ou de contexte, des objets techniques, des compositions de ces objets, etc. »

Ce caractère fait de l’hypertexte un outil apparemment bien adapté à un travail de construction intellectuelle comme le processus d’apprentissage des concepts auquel nous nous intéressons. Sans doute pourrait-on objecter qu’il est toujours possible de reprendre un texte, qu’il soit ou non un hypertexte, en y ajoutant, en y insérant, ou en y supprimant des passages. Il est même incontestable que ces manipulations sont réalisables sur n’importe quelle feuille de brouillon et qu’elles sont grandement facilitées par de simples traitements de texte sans la moindre fonctionnalité hypertextuelle. Ce qui est important et original à remarquer dans l’hypertexte, c’est la facilité avec laquelle il devient possible de modifier la structure même d’un document en ajoutant, en supprimant ou en déplaçant un seul lien entre deux unités d’information sans avoir à toucher quantitativement à son contenu ni à déplacer les unités d’information elles-mêmes.

« Principe d’hétérogénéité

Les nœuds et les liens d’un réseau hypertextuel sont hétérogènes. Dans la mémoire on trouvera des images, des sons, des mots, des sensations diverses, des modèles, etc., et les liens seront logiques, affectifs, etc. Dans la communication, les messages seront multimédias, multi-modaux, analogiques, digitaux, etc. »

L’hétérogénéité des nœuds correspond à une hétérogénéité de contenus et de supports (textes, images, sons, vidéo). Celle des liens renvoie à la diversité des types de relations possibles entre les nœuds (unidirectionnelle ou bidirectionnelle, libre ou conditionnelle, analogique, inclusive, implicative, causale, spatiale, etc.).

« Principe de multiplicité et d’emboîtement des échelles

L’hypertexte s’organise sur un mode « fractal », c’est à dire que n’importe quel nœud ou n’importe quel lien, à l’analyse, peut lui-même se révéler composé de tout un réseau, et ainsi de suite, indéfiniment, le long de l’échelle des degrés de précision. »

L’idée selon laquelle un nœud du graphe, c’est à dire en fait une unité d’information ou plus concrètement encore une seule fenêtre d’affichage, puisse être l’entrée de toute une nouvelle structure et lui servir d’une certaine façon d’étiquette pourrait devenir intéressante d’un point de vue cognitif. Compte tenu des limites bien connues de ce que l’on appelle aujourd’hui avec une rare élégance la mémoire de travail d’un sujet, l’encombrement du champ de l’attention survient assez rapidement à partir du moment où il y a lieu de manipuler mentalement plus de quelques objets distincts. Ces objets peuvent être des unités conceptuelles ou sémantiques. Mais cette dernière expression pose problème. Existe-t-il des concepts simples ? Ou plutôt qu’est-ce qu’un concept simple ? Peu soucieux de prendre le risque de chercher à répondre absolument à d’aussi vieilles questions, je me contenterai de constater que dans la pratique de l’apprentissage et des études les concepts sont (presque...) toujours complexes ou au moins composés d’éléments d’un degré de simplicité plus grand que celui du concept en cause. Que se passe-t-il au moment où des élèves en train d’apprendre s’embrouillent dans un concept alors que le professeur qui le leur enseigne en jongle avec virtuosité ? Bien entendu, personne ne fera jamais l’hypothèse que la « mémoire de travail » du professeur est beaucoup plus vaste que celles des élèves. Il serait plus raisonnable de considérer que le professeur manipule effectivement un objet dont il peut instantanément rappeler les éléments sans que ceux-ci ne soient constamment présents à son esprit, alors que les élèves sont encore obligés de maintenir une aperception clairement consciente des éléments qui ne se sont pas encore, si je puis dire, fondus dans le nouveau concept à construire et à acquérir. La similitude entre cette figure de l’étude que je viens d’évoquer rapidement et le caractère « fractal » des hypertextes est assez frappante. Sans doute y a-t-il là une piste à emprunter.

« Principe d’extériorité

Le réseau ne possède pas d’unité organique, ni de moteur interne. Sa croissance, et sa diminution, sa composition et sa recomposition permanente dépendent d’un extérieur indéterminé : adjonction de nouveaux éléments, branchements sur d’autres réseaux, excitation des éléments terminaux (capteurs), etc. »

Il n’y a pas d’algorithme dans l’hypertexte qui le rendrait capable de générer de nouvelles données d’une façon autonome. Il arrive parfois que des systèmes-experts soient associés à des hypertextes qui jouent alors le rôle de ressource documentaire. Les propriétés du système-expert donnent une impression de capacité d’initiative de l’ensemble du dispositif qui inclut l’hypertexte, mais ce dernier en tant que tel n’en est pas moins inerte.

« Principe de topologie

Dans les hypertextes, tout fonctionne à la proximité, au voisinage. Le cours des phénomènes y est affaire de topologie, de chemins. Il n’y a pas d’espace universel homogène où les forces de liaison et de déliaison, où les messages pourraient circuler librement. Tout ce qui se déplace doit emprunter le réseau hypertextuel tel qu’il est, ou est obligé de le modifier. Le réseau n’est pas dans l’espace, il est l’espace. »

Cette propriété peut sembler curieuse. Le mode d’existence hors de l’espace physique ou géométrique du réseau correspond en fait aux particularités de l’approche topologique de l’espace. Cela ne sera pas sans incidence sur la réalisation pratique d’hypertextes, notamment au sujet de la visibilité réciproque des éléments qui le composent.

« Principe de mobilité des centres

Le réseau n’a pas de centre, ou plutôt, il possède en permanence plusieurs centres qui sont comme autant de pointes lumineuses perpétuellement mobiles, sautant d’un nœud à l’autre, entraînant autour d’elles une infinie ramification de radicelles, de rhizomes, fines lignes blanches esquissant quelque carte aux détails exquis, puis courant dessiner plus loin d’autres paysages du sens. »

Il est en principe toujours possible d’entrer dans un hypertexte par n’importe quel élément autour duquel on va ensuite se déplacer. Ce point d’entrée fait alors fonction de « centre » provisoire. Deux questions au moins peuvent alors surgir : comment choisit-on ce centre provisoire et comment le retrouve-t-on, si on le souhaite, après s’en être éloigné ?

On constate que si l’ampleur de la vision de P. Lévy ne manque pas de séduction pour l’esprit et ouvre des chemins de réflexion prometteurs que nous emprunterons à l’occasion, il devient à présent indispensable de revenir à une approche plus technique et plus proche des objets concrets que nous serons amenés à manipuler au cours de la suite de ma recherche.

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2.3.3. Une approche technique

Nous trouverons chez Balpe [BALPE 90] une étude à la fois technique, pragmatique et théorique des hypertextes en tant que type de document informatisé. Son approche est donc très nettement plus centrée sur l’outil informatique concret susceptible d’une utilisation dans l’enseignement que celle de Lévy et à plus forte raison celle de Genette. Autant les précédentes références ont pu élargir nos interrogations et ouvrir parfois des fenêtres sur des paysages en apparence bien éloignés de mes préoccupations déclarées, autant Balpe va nous aider à entrer dans une analyse fine et précise du genre hypertexte à partir de celle de l’objet hyperdocument.

Comme je le suggérais moi-même plus haut, l’emploi du terme « hyperdocument » pour désigner un document particulier doté de certaines caractéristiques à définir présente moins de risques de confusion que celui d’« hypertexte ». Rien n’interdit d’inclure dans un hyperdocument des éléments non textuels. Si l’on tient alors à le faire savoir, il est possible d’employer « hyperdocument multimédia », où « multimédia » est un adjectif qualificatif. Cette expression me paraît plus explicite que le mot « hypermédia » et tout de même moins lourde qu’un monstrueux « hypermultimédia ». D’autre part, il arrive que des catalogues présentent sous le nom d’« hypertexte » des logiciels qui sont en fait des générateurs d’hypertextes (ou plutôt d’hyperdocuments) et je peux témoigner que cette confusion est contagieuse au moins dans le milieu des enseignants qui s’intéressent à ces produits. L’emploi d’« hyperdocument » met en principe à l’abri de ce dernier risque.

 « Sera désigné comme hyperdocument tout contenu informatif informatisé dont la caractéristique principale est de ne pas être assujetti à une lecture préalablement définie mais de permettre un ensemble plus ou moins complexe, plus ou moins divers, plus ou moins personnalisé de lectures. » [BALPE 90, p. 6]

Rappeler que l’hyperdocument est un document informatisé n’est pas aussi trivial qu’il n’y paraît. L’informatisation des documents leur confère certaines caractéristiques originales par rapport aux documents écrits sur papier, fixés sur pellicule ou gravés dans la cire ou le marbre par exemple.

Les caractéristiques des documents informatisés

Il ne s’agit pas d’étudier ces caractéristiques d’une façon exhaustive et approfondie mais seulement de signaler celles qui paraissent avoir quelque importance pour notre recherche.

Immatérialité

Si le très ancien débat entre Hermogène, Cratyle et Socrate [PLATON 50] penche nettement de nos jours vers la thèse de l’arbitraire du signe linguistique, la notation de ce dernier n’en garde pas moins toujours quelque chose de directement perceptible, visible, audible ou palpable [26].

Dans l’écriture informatisée, la notion de signe est affectée par ce que l’on pourrait appeler avec Le Meur son électrification et par la nécessité de recourir à une machine, l’ordinateur, pour procéder à une lecture. Ce n’est pas tellement le codage binaire qui génère l’étrangeté du signe informatisé mais sa nature électronique qui, sans être au sens strict immatérielle, l’exclut tout de même de la matérialité ordinaire que nos sens nous amènent à accorder aux objets qu’ils nous font percevoir. Tous les documents informatisés participent de cette étrangeté qui s’estompe bien entendu chez les utilisateurs assidus pour ressurgir cependant brusquement à l’occasion d’incidents comme les coupures de courant. Il serait surprenant, mais certes pas impossible, que des élèves travaillant à la fabrication d’un hyperdocument ne se trouvent pas dans un rapport à leur propre production différent de celui qu’il auraient en se servant de papier et de stylos, et cela indépendamment de la capacité du papier à supporter de l’hypertexte. Toute cette question n’est en principe pas centrale dans mon projet de recherche, mais je ne suis pas certain qu’elle soit négligeable.

Plasticité

La nature électronique du document informatisé lui confère une remarquable plasticité. Il est très facile de transformer un tel document par déplacement de ses parties, par substitution automatique ou non de caractères, par modification des attributs typographiques et par toutes sortes de suppressions ou d’ajouts. On est libre de garder la trace des modifications et même de faire des ratures, cela n’empêche nullement de disposer à tout moment d’une version propre du travail en cours. Mon propos n’est pas de refaire platement et pour la millième fois l’apologie du traitement de texte, mais d’insister sur l’importance de la plasticité des documents informatisés dans le cas particulier des hypertextes. En effet, la plasticité des hyperdocuments n’est pas seulement une propriété de leur contenu, mais aussi et peut-être avant tout une propriété de leur structure. Et c’est bien cela qui est intéressant dans la mesure où il sera alors très commode de changer les liens entre quelques éléments d’un hyperdocument pour modifier le sens du document tout entier.

Il n’est pas rare d’entendre vanter l’« interactivité » des logiciels. Cette notion très souvent galvaudée pour des raisons dont je me satisferais qu’elles soient exclusivement mercantiles implique en principe la possibilité pour l’utilisateur d’un logiciel d’intervenir directement dans le déroulement du programme informatique qui le sous-tend et de limiter d’une certaine manière l’automatisme de son déroulement. Je me demande si la question de l’interactivité a seulement un sens pour un logiciel qui est un outil comme un traitement de texte ou un générateur d’hypertexte. Imaginerait-on un instant un outil sur lequel l’utilisateur ne pourrait pas agir ? En d’autres termes, les logiciels outils sont par définition interactifs. Il  semblerait que l’on confonde souvent l’interactivité avec le confort plus ou moins grand de son exercice. Quant au produit du logiciel, pour nous l’hyperdocument, il ne saurait non plus être lui-même interactif. Ce ne peut être que le logiciel qui sert à le lire qui le sera. Et il le sera également nécessairement puisqu’un hyperdocument dont le déroulement par écrans successifs se réaliserait automatiquement retrouverait la linéarité et perdrait de facto son caractère d’hypertexte. A partir de ces considérations, et en se souvenant que notre étude portera sur la création d’hypertextes plutôt que sur leur lecture, je crois pouvoir faire l’économie de la notion d’interactivité et introduire celle de plasticité.

Rapidité

On peut ajouter que la rapidité avec laquelle l’ordinateur réagit et réalise les modifications demandées constitue une autre caractéristique à retenir. Toutefois, le type d’utilisation dans lequel nous nous plaçons ne requiert pas absolument une exécution en « temps réel » du travail de la machine.

L’architecture d’un hyperdocument

Le projet de construire ou de faire construire des hyperdocuments entraîne à s’interroger sur leur architecture et sa modélisation.

Le modèle du graphe

Le modèle le plus répandu de la structure de l’hypertexte est celui du graphe au sens mathématique du terme. Pour parler très simplement, il convient d’entendre par là un ensemble de points appelés nœuds reliés entre eux par des arcs comme sur la Figure 1page 52.

Sur cette figure, les points identifiés par les lettres A, B, C, D, E, F, G et H sont les nœuds du graphe. Les lignes qui relient ces points sont les arcs. Un arc relie toujours deux nœuds et un nœud se caractérise par le nombre d’arcs qui en partent (ou qui y arrivent, les arcs n’ont a priori pas de sens).

Figure 1

 

Une représentation d’un graphe comme celui de la Figure 1 a quelque chose de trompeur car elle le place forcément dans le plan. Mais même une représentation plus flatteuse dans l’espace à trois dimensions à l’aide de fils de fer par exemple aurait le même défaut. En effet, du point de vue topologique qui est celui qui convient pour parler des graphes, seules existent les relations de voisinage entre les nœuds. La notion de distance entre deux nœuds ou, si l’on préfère, la notion de longueur d’un arc n’a pas de signification. On sait par exemple que C a pour voisins immédiats A, B, E, G et H mais le fait que la ligne CE soit plus longue sur la figure que la ligne CA ne signifie pas que C soit « plus près » de A que de C. La notion de distance dans un graphe ressortit au nombre de nœuds par lequel il faut passer pour aller d’un nœud de départ à un nœud d’arrivée. Par exemple, toujours dans la même figure, F est plus éloigné de B que de A parce qu’il faut passer au moins par D pour atteindre B depuis F alors que F et A sont voisins immédiats. Si les lignes AF et CB se coupent sur la figure, les arcs AF et CB qu’elles représentent, quant à eux, ne se rencontrent pas.

Tout hyperdocument aurait donc ainsi fondamentalement cette structure en graphe à partir de laquelle P. Lévy relevait les six principes de l’hypertexte. Ce que je viens de développer un petit peu à propos du voisinage entre les nœuds relève du principe de topologie. On peut aussi facilement observer sur la figure que le graphe n’a effectivement ni début, ni fin, ni centre et qu’il peut être de ce fait parcouru à partir de n’importe quel nœud (principe de mobilité des centres), que la suppression ou l’ajout d’un seul nœud ou arc en modifie radicalement la structure (principe de métamorphose) et qu’il serait commode de faire partir d’un nœud choisi arbitrairement tout un nouveau graphe ou de considérer tout le présent graphe comme encapsulé dans un seul nœud d’un graphe « plus grand », si cette dernière façon de dire est acceptable (principe d’emboîtement). En revanche, il faut un peu de bonne volonté pour apercevoir le principe d’extériorité. On ne remarque effectivement aucun élément qui pourrait représenter un quelconque moteur interne mais est-ce suffisant pour se convaincre de l’absence de toute forme de dynamisme propre ? Enfin, pour le principe d’hétérogénéité, il est indispensable de dépasser l’apparence de la figure qui rend identiques tous les nœuds et tous les arcs (sauf pour leur longueur, mais c’est justement aussi une source d’erreur comme je le signalais un peu plus haut), et d’en situer la lecture à un niveau d’abstraction tel que les points puissent correspondre à tout objet concret et les arcs à toute relation entre eux de quelque nature qu’elle soit.

Éléments de structure

Sur les figures qui suivent, les carrés identifiés par des lettres, A, B, C, etc. représentent ce que l’on pourrait appeler avec Balpe des unités d’information [BALPE 90, p.78]. Ces unités d’informations peuvent être en pratique des pages-écrans d’ordinateur, des fenêtres dans l’écran, voire même des éléments dans une même fenêtre mis en relation par des flèches.

Dans les hyperdocuments tels qu’on les trouve réalisés ou tels que des élèves pourraient être invités à en élaborer, on observera très probablement des structures variées et plus ou moins complexes. Si l’on considère que le graphe d’un hypertexte est un réseau fait pour être parcouru, il peut devenir utile de disposer d’un outillage de description et d’analyse des caractéristiques locales des réseaux. Quelle que soit la complexité d’un hypertexte, il parait toujours possible de l’analyser au moyen d’un nombre réduit de configurations locales. Examinons-en quelques unes.

 

La séquence (Figure 2)

Figure 2

 

Cette configuration {A, B, C, D...} prise isolément ne serait pas à proprement parler hypertextuelle. On ne peut toutefois en exclure l’apparition locale dans le cas où le concepteur de l’hyperdocument veut contraindre le lecteur à marquer les étapes de la progression d’une énumeration ou d’un raisonnement par exemple. Mais si l’on voulait être strict, il faudrait considérer que les unités A, B, C et D de la Figure 2 ne sont que le fractionnement d’une seule et même unité et que la séquence est une configuration hypertextuellement neutre.

L’aller et retour (Figure 3)

Figure 3

 

L’aller et retour est une bifurcation qui ne conduit qu’à une seule unité à partir de laquelle seul le retour d’une unité en arrière est autorisé. Sur la Figure 3, les parcours possibles sont {A, B, C, D...} et {A, B, E, B, C, D...}. On doit repasser par B après avoir fait afficher E. Il convient de remarquer que E ne comporte pas en fait d’élément conceptuel nouveau représenté par un bouton sauf à imaginer la situation curieuse où E décrirait B qui lui-même décrirait E. Il existera probablement un bouton « retour » sur l’écran de l’unité E mais il appartiendra aux accessoires de navigation. Il ne sera pas de la même nature que les boutons porteurs d’éléments conceptuels. Certains logiciels de lecture d’hypertexte donnent une présentation de ces unités d’aller et retour différente des autres pour bien montrer dès leur apparition à l’écran qu’elles ne doivent pas altérer la séquentialité du tronçon de parcours sur lequel elles sont greffées. L’unité E a une valence informationnelle réellement nulle. Elle ne peut guère être qu’une note, une remarque, ou une illustration, quelque chose de l’ordre de la paratextualité.

Le détour (Figure 4)

Figure 4

 

Si l’on considère par convention la séquence {A, B, C, D...} comme le parcours principal, le parcours {A, B, E, C, D...} comporte un détour facultatif par E. Il est possible de passer ou de ne pas passer par E. Dans les deux cas, les quatre unités A, B, C, et D seront affichées, mais la lecture des unités C et D pourra être affectée par celle de l’unité E.

Le retour (Figure 5)

Figure 5

 

Le retour permet de revenir plus ou moins loin en arrière afin de permettre une deuxième et même plusieurs lectures d’une partie des unités du parcours principal. Ici, sur la Figure 5, la partie {B, C, D} du parcours {A, B, C, D...} peut être parcourue plusieurs fois en offrant ainsi la possibilité de relire plusieurs fois séquentiellement les unités B, C et D.

Il convient de distinguer le retour de la marche arrière. Celle-ci n’est pas une configuration locale du graphe mais une action du lecteur qui reprend à l’envers un parcours précédemment réalisé. C’est seulement parce que le logiciel mémorise les unités affichées et l’ordre dans lequel elles l’ont été que la marche arrière est praticable.

La boucle (Figure 6)

Figure 6

 

Sur la Figure 6, on voit que l’unité D envoie uniquement vers B. La séquence {B, C, D, B...} se reproduit indéfiniment. La boucle est une configuration perverse qui ne devrait apparaître que par erreur. C’est justement cela qui la rend intéressante. La probabilité de voir surgir cette erreur lors de l’élaboration d’un hyperdocument n’est vraisemblablement pas nulle et cela vaudra sans doute la peine de chercher à en comprendre l’origine.

L’arborescence (Figure 7)

L’arborescence n’est certes pas une configuration élémentaire. Elle mérite cependant d’être signalée ici parce qu’il est fréquent de trouver des documents d’origine commerciale ou réalisés par des amateurs et prétendant à l’appellation d’hypertextes alors que leur structure est une simple arborescence sans possibilité de parcours hypertextuel comme on peut le voir sur la Figure 7.

Figure 7

 

Une approche purement descriptive et taxonomique de certains concepts s’accommoderait peut-être de ce type de configuration arborescente.

Pour qu’une arborescence commence à se transformer en hypertexte, il faut introduire des passerelles entre ses branches. Voici, Figure 8, une arborescence modifiée avec une possibilité très embryonnaire de parcours hypertextuel apportée par le branchement de l’unité M vers l’unité D qui permet le passage de la branche {A, J, L, M} vers la branche {A, B, C, D...} sans avoir à revenir en A.

Figure 8

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2.4. Quel positionnement personnel ?

Force est de reconnaître que malgré sa relative jeunesse, la notion d’hypertexte offre déjà une exubérance de potentialités spéculatives dont il faudra certainement savoir se garder. Aussi n’aurais-je pas l’innocence de tenter ici une synthèse de la recension à laquelle nous venons de procéder. Je me limiterai prudemment à esquisser les grandes lignes d’un positionnement personnel dont je sais très bien qu’il ne sera jamais fixé définitivement.

Certaines des notations de ce chapitre n’ont sans doute pas vocation à se révéler directement opérationnelles dans la suite de la recherche. Ainsi en va-t-il du rappel historique sur V. Bush, des jeux littéraires de G. Genette ou des spéculations de P. Lévy. En revanche, je les penserais volontiers comme les éléments constitutifs d’un filigrane qui, courant tout au long du texte, tantôt visible, tantôt caché, parfois perdu, aidera le lecteur et peut-être même l’auteur, à ouvrir des pistes et à construire du sens.

 

Sur un plan que l’on pourrait qualifier de plus technique, nous aurons l’occasion de confronter aux données du terrain plusieurs des contributions auxquelles nous avons eu recours, comme celles qui concernent la structure des hypertextes par exemple.

 

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Suite : les concepts

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Notes



[1] « Selon notre façon de penser »

[2] « Qu’est-ce que les savants vont faire maintenant ? »

[3] « Tout cela est conventionnel, à part la projection dans l’avenir des mécanismes et des instruments d’aujourd’hui. »

[4] « L’esprit humain ne travaille pas ainsi. Il opère par association. Il saute instantanément d’un objet à un autre par association d’idées, selon un tissu complexe de parcours portés par les cellules du cerveau. (...). On ne peut espérer reproduire tout à fait ce processus mental par des moyens artificiels, mais on doit certainement pouvoir en apprendre quelque chose. »

[5] « (...) l’idée de base est celle d’une disposition telle qu’à partir d’un objet, il puisse être provoqué immédiatement et automatiquement la sélection d’un autre. C’est là la principale caractéristique du Memex. (...).

Quand l’utilisateur construit un parcours, il lui donne un nom, il inclut ce nom dans son livre de codes et le tape sur son clavier. Auparavant, les deux objets à relier sont projetés sur des écrans voisins. En bas de chacun d’eux, il y a des espaces de code en blanc, et un pointeur est placé pour indiquer l’un d’entre eux sur chaque objet. L’utilisateur tape une seule touche et les objets sont associés d’une façon permanente. (...).

Ensuite, à tout moment, quand un de ces objets est affiché, l’autre peut être instantanément et facilement rappelé en appuyant sur un bouton selon le code correspondant. De plus, quand un certain nombre d’objets ont été associés pour constituer un parcours, ils peuvent être visionnés à la suite, vite ou lentement, par le jeu d’un levier, comme on tourne les pages d’un livre. »

[6] La première bombe atomique expérimentale explose à Alamogordo, Nouveau Mexique, le 16 Juillet 1945. [MOURRE 86, p. 3344]

[7] Cette formule « utilisateur humain » pourrait surprendre et passer pour un pléonasme. L’utilisateur final d’un ordinateur est certes toujours humain. Il ne semble toutefois pas méthodologiquement illégitime de considérer isolément des systèmes techniques dans lesquels l’ordinateur est au service d’une autre machine comme dans certains dispositifs de régulation par exemple. L’« utilisateur » de l’ordinateur serait alors la machine à laquelle il est associé.

[8] Si l’on s’en tient au discours convenu sur ce point, car il ne va pas de soi que tous les utilisateurs établissent spontanément une communication prétendue « naturelle » avec les interfaces réputées conviviales ou interactives des micro-ordinateurs d’aujourd’hui.

[9] Sauf dans certains types de fichiers particuliers, les données sont organisées en « champs » et en « enregistrements ». Illustrons cela par l’exemple trivial du fichier d’adresses comprenant les noms, prénoms, numéros d’immeuble, noms de rue, codes postaux, villes et numéros de téléphone d’un certain nombre de personnes : à chaque personne correspond un enregistrement et réciproquement ; chaque enregistrement inclut des champs qui contiennent respectivement les noms, prénoms, numéros, etc. de chaque personne. On peut visualiser cela dans un tableau cartésien dont les lignes sont les enregistrements et les colonnes les champs.

[10] Ce terme, « aléatoire », peut surprendre qui n’est pas familier du jargon des informaticiens. Traduction de l’anglais « random », il signifie simplement que le système peut trouver directement un enregistrement choisi par l’utilisateur sans avoir à parcourir tout le fichier comme c’est le cas pour l’accès séquentiel.

[11] On trouve parfois 1965, [LAUFER 92, p. 43], parfois 1967, [BALPE 90, p. 16], ou encore 1968 [PASSARDIERE, BARON 91, p.11].

[12] Cité par [LEMIUS 94, p. 8].

[13] Le choix de « Xanadu » comme nom pour ce projet atteste de la conception délibérément visionnaire de son auteur. La cité imaginaire de Xanadu est une création romantique du poète anglais S.T. Coleridge (1772-1834) et réapparaît dans le chef d’œuvre cinématographique d’Orson Welles, « Citizen Kane », (1940). Le projet a été partiellement réalisé et son corpus est aujourd’hui accessible par le réseau mondial Internet.

[14] L’entreprise I.B.M. impose à cette époque un standard industriel de fait, le P.C. (Personal Computer) équipé du système d’exploitation D.O.S. (Disk Operating System) de la société Microsoft. Le P.C. offre une alternative au Macintosch, chaque machine ayant ses partisans.

[15] Équipement électronique que l’on installe dans un ordinateur de type P.C. afin de le rendre capable d’enregistrer, de générer et de reproduire des sons.

[16] Compact Disk Read Only Memory. Disque optique de grande capacité (envron 600 Méga-octets) non-effaçable.

[17] Il faut signaler maintenant une petite difficulté sur laquelle nous devrons revenir. Ces logiciels appelés sommairement « hypertextes » ou « hypermédias » permettent d’une part la création de documents hypertextes et d’autre part leur consultation. Cette pratique expéditive conduit souvent à une confusion entre l’hypertexte en tant que produit et l’outil qui sert à le fabriquer.

[18] On trouvera plus loin, dans le chapitre Étude de terrain, lycée Lapicque, quelques renseignements techniques sur le codage HTML.

[19] Si Newton, par exemple, et après lui toute la physique classique enseignée dans nos écoles, fait l’hypothèse d’une existence objective de l’espace, on sait que Kant préfère avec de solides raisons lui accorder une existence subjective en tant que forme a priori de la sensibilité. Ce débat garde son intérêt aujourd’hui. En témoigne un auteur comme Bernard d’Espagnat, physicien contemporain émérite qui pose la question de la réalité objective de l’espace et du temps. [ESPAGNAT 81], [ESPAGNAT 85].

[20] Concevoir et imaginer au sens où Descartes fait remarquer « la différence qui est entre l’imagination et la pure intellection ou conception » en s’aidant de l’exemple bien connu du chiliogone. [DESCARTES 53, Méditation 6, p. 318]

[21] Hypermarché : magasin exploité en libre service et présentant une superficie consacrée à la vente supérieure à 2500 m². [LAROUSSE 93]

[22] A.S.C.I.I. : American Standard Code for Information Interchange (1964). Retenu en 1966 par l’I.S.O. (International Standard Organisation). [BIRRIEN 92]

[23] Les caractères alphanumériques comprennent les lettres de l’alphabet, les chiffres de 0 à 9, et les signes de ponctuation. Les caractères semi-graphiques sont des éléments géométriques à partir desquels il est possible de réaliser des croquis sommaires. Les commandes simples concernent en général la gestion de l’écran, sauts de ligne, sauts de page ou retour de chariot par exemple.

[24] La formule connue sous le nom de Rasoir d’Occam (Guillaume d’Occam, v. 1285 - v. 1349) dit « Entia » et non « Verba ». [LALANDE 72, art. Rasoir d’Occam]

[25] Il est à craindre que toutes sortes de productions (industrielles ou artisanales) distribuées sous l’appellation flatteuse d’« hypertextes » ne soient en réalité que des textes ordinaires tronçonnés aux dimensions d’un écran d’ordinateur.

[26] Si l’on fait référence à Saussure, il vaut mieux, semble-t-il, parler de la notation du signe que de son signifiant pour éviter une erreur d’interprétation de cet auteur assez répandue qui consiste à assimiler le signifiant au son physique. Saussure dit bien : « L’image acoustique (...) n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens. » et plus loin : « nous proposons (...) de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant. » [SAUSSURE 64, p. 100-101]