Un modèle français de jugement des pairs. Les tribunaux de commerce, 1790-1880 - TEL - Thèses en ligne Accéder directement au contenu
Hdr Année : 2012

A French model of peer judgement. Commercial courts, 1790-1880

Un modèle français de jugement des pairs. Les tribunaux de commerce, 1790-1880

Résumé

This research is based on a simple puzzle. France is supposed to be a very State-centred society with a sharp divide between the private and the public and an early rationalized bureaucracy (which is supposed to include law and justice). In addition, the 19th century could be seen as the paroxysm of this tendency, as guilds, trade unions, and all sorts of " medium bodies " based on a common occupation were theoretically forbidden from 1791 to 1884. And yet France has had commercial courts since the 16th century, i.e. special courts with lay judges elected by fellow " merchants "; and the century that I study is arguably the moment when they were the less criticized, when they dealt with the most cases and when they were considered as a model in many if not all foreign countries. What I wish to understand is therefore both the very long-term persistence of this institution and its special situation at this moment in time. What I study is not commercial courts per se, but a French model of peer judgement, as it was something that was considered as a model to be followed by many actors, and as what was to be followed was an ideal-type, not a specific, precise institution. The model consists in the simultaneous presence of four characteristics: there were only lay judges; they were, in principle, elected by peers on the basis of a common economic activity; they used a procedure that was specific and supposedly simpler than that of normal courts; but the special courts were an integral part of the official justice system. What I want to understand is how this model worked, especially in relationship to French political and economic peculiarities (how it relied on them/how it contributed in shaping them), and particularly how it could survive the important political and economic changes of my period. My puzzle is all the more relevant because of the weaknesses of parts of the literature addressing the resolution of commercial disputes, namely the " legal traditions " school (that neglects the existence of commercial courts in the " civil law " context) and most of the discussions of " lex mercatoria " (that describes the emergence of a " private " law and of " private " but organized forms of justice or arbitration as a natural process). More generally, I question the representation of the public and the private as a simple dichotomy or a continuous scale, and I emphasize the need for a study of different forms of " co-regulation " that all mix " private " and " public " elements, but in different ways. I argue that the French model of peer judgement is part of a specific form of relationships that I call " putting the private in the State ": putting people that are legitimized as experts of economic activities because they are themselves merchants/bankers/even workers, etc. in official positions, as experts of these activities. This is different from other ways to articulate the private and the public, for example from sanction by the State of privately organized regulations (e.g. professional rules, arbitration awards). I establish this by studying the practices of French courts at a macro scale, linking them to discourses about the institution, and comparing them to practices in England and the State of New York and to discussions about the introduction of commercial courts on the French model that took place there in the 1850s-1870s.
Les principaux résultats de cette recherche portent, d'une part, sur les mécanismes qui permettent l'adaptation et la reproduction, à très long terme, de ce que j'ai appelé un modèle français de jugement des pairs, d'autre part sur les relations entre droit et économie que fait apparaître l'étude des pratiques liées à ce modèle. Par " modèle français de jugement des pairs ", je désigne l'association de quatre traits : il s'agit de juridictions insérées dans le système judiciaire officiel, mais dont les juges sont élus, considérés comme pairs des parties parce qu'ils mènent le même type d'activités économiques, et dont les procédures sont simplifiées. Ces traits se retrouvent, au moins en principe, dans les tribunaux de commerce français ; ils sont considérés, à l'époque, comme un modèle possible (parmi d'autres) à l'étranger. Ils constituent aussi un modèle, en France même, pour de nouvelles institutions, notamment les conseils de prud'hommes, qui en viennent à fonctionner en système avec les tribunaux de commerce. La forte légitimité de ce modèle dans la France du 19e siècle est énigmatique à plus d'un titre, puisqu'il présente une hybridation entre des traits associés en général aux justices " publiques " ou " privées ", rationalisées ou d'Ancien régime. De plus, alors que de nos jours, nombre d'économistes affirment que la common law est intrinsèquement plus adaptée aux besoins de l'économie, l'adoption de tribunaux de pairs à la française était alors sérieusement discutée dans des régions très dynamiques économiquement comme l'Angleterre ou l'État de New York. Cette recherche souligne qu'il est pour le moins exagéré de parler, pour la période actuelle, d'une toute nouvelle " imbrication de l'économique et du judiciaire ", qui aurait remplacé une " méfiance traditionnelle du monde économique envers les juridictions ". Les situations en la matière, lorsque la révolution industrielle battait son plain, étaient radicalement différentes non seulement entre niveaux du commerce, mais aussi entre pays. Les marchands français étaient parmi ceux qui avaient le plus tôt " découvert le chemin des tribunaux ", comme ceux de New York (en tout cas les grands négociants parmi eux), mais à la différence - bien malgré eux - de ceux des grandes villes industrielles et portuaires anglaises. Mais l'essentiel n'était pas l'existence, en soi, de tribunaux à part pour le commerce, ou encore de tribunaux où des marchands étaient les juges. Ce qui fonde le modèle français de jugement des pairs, c'est, d'une part, le caractère généraliste de ces tribunaux, qui se veulent ceux de tout le " commerce ", malgré toutes les tensions qui existent en permanence entre la notion unitaire de commerce et celle plus fragmentée de " métiers ". C'est aussi, d'autre part, la notion de " fonctions gratuites ", un bénévolat de service public qui fait entrer de plain pied des pairs élus dans l'Etat, avec des conséquences tant pour la trajectoire ultérieure de ces pairs que pour l'Etat lui-même. Le modèle français de jugement des pairs, issu du monde des corporations, a dû s'adapter à leur disparition, ce qui a finalement placé les tribunaux de commerce, à leur tour, dans une position de pivot, tout en redéfinissant leur légitimité d'une manière compatible avec la nouvelle conception de l'Etat. En pratique, loin de rendre une justice toujours conciliatrice, experte et fondée en équité, comme on le pense souvent, ces tribunaux fondent leur légitimité sur l'existence en leur sein de plusieurs filières, plusieurs types de procédures bien distincts, que leurs juges considèrent comme adaptés aux différents types d'affaires dont ils ont à traiter et qui leur permettent en particulier de gérer la masse du contentieux des impayés. Quant aux justices " plus privées " que j'ai rencontrées au cours de cette recherche, notamment les instances d'arbitrage des associations de branches ou des chambres de commerce d'Angleterre et des Etats-Unis, leur création et leur maintien n'ont rien d'évident. En France, ces instances se sont même retrouvées associées aux tribunaux de commerce dans un rôle d'auxiliaires plutôt que concurrentes. Les faire vivre demande un travail institutionnel qui est resté hors de portée de la plupart de ceux qui l'ont entrepris au 19e siècle : elles ne sont pas le produit naturel de l'existence de " communautés " qui auraient intérêt à créer une " justice privée ".
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Dates et versions

tel-00685544 , version 1 (05-04-2012)

Identifiants

  • HAL Id : tel-00685544 , version 1

Citer

Claire Lemercier. Un modèle français de jugement des pairs. Les tribunaux de commerce, 1790-1880. Histoire. Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, 2012. ⟨tel-00685544⟩
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