Microscopies de proximité :<br />Des spectroscopies aux processus physiques - TEL - Thèses en ligne Accéder directement au contenu
Hdr Année : 2001

Scanning Probe Microscopies :
From spectroscopies to processes

Microscopies de proximité :
Des spectroscopies aux processus physiques

Résumé

On l'a peut être oublié mais c'est la quête d'une sonde spectroscopique locale, qui a conduit H.Rohrer et G.Binnig à l'invention de la microscopie par effet tunnel. C'est en s'appuyant sur la physique des surfaces (domaine qui ne leur était pas familier) que les inventeurs ont favorisé la diffusion de la microscopie tunnel à l'extérieur des laboratoires d'IBM Zürich. De cette opération, initialement parallèle à leur programme de recherche officiel, devait naître toute une famille de sondes locales dérivées à commencer par la microscopie à force atomique. Le jury Nobel a, dès 1986, reconnu la portée de leurs travaux en leur accordant le prix de Physique.
Les développements de cette famille de techniques ont été très rapides et ont entraîné la naissance d'une communauté toujours plus large. Quinze ans après, on pourrait croire que les développements sont achevés, il n'en est rien. Des pans entiers de la recherche n'ont pas encore tiré profit de ces techniques légères de laboratoire. Parallèlement, continuent d'apparaître de nouvelles microscopies en champ proche qui soulignent d'autres propriétés physico-chimiques.
Il y a ainsi, disponible, une palette variée d'outils, qui permet dans de nombreuses disciplines, de visualiser des surfaces, des objets, de les sonder, de les manipuler même... Sans exclusive, ces outils, particulièrement bien adaptés, ont largement contribué au développement de la nanophysique.

Cette rédaction est pour moi une occasion de revenir sur une dizaine d'années de recherches et sur la physique que m'a permis d'aborder l'utilisation des Microscopies en Champ Proche. Mon propos n'est pas de rédiger une nouvelle thèse mais plutôt de montrer une démarche à moyen terme.
Cette démarche ne peut totalement apparaître dans les seuls articles. Il y manque en effet : la multitude d'expériences toutes individuellement insignes mais qui, touche après touche, permettent d'accéder à une vision cohérente. De même, les rencontres avec d'autres chercheurs n'y sont pas toujours mentionnées. C'est important car, au hasard de ces contacts, des affinités intellectuelles se créent et ont une influence déterminante sur la recherche.

Lorsque je débute ma thèse en 1986, sous la direction de Frank Salvan, je suis instantanément immergé dans cette communauté tunnel naissante. L'enthousiasme partagé, les errements communs, l'apprentissage collectif ont été une véritable chance. Je garde de ces premières années un souvenir -non pas nostalgique- mais -au contraire- très vivant. Je me rappelle notamment comment la communauté a surmonté les limitations de la technique en introduisant de nouvelles sondes.

Force est de constater le formidable pouvoir évocateur des images fournies par les microscopies en champ proche. Cette caractéristique, très médiatique, explique indubitablement le succès de ces techniques mais est aussi parfois la raison de leur discrédit. Avec de tels supports : les images, la tentation de vulgarisation exagérée est forte. A cela s'ajoute la facilité d'accès à cette production d'image grâce aux appareils commerciaux existants. L'ensemble concourt malheureusement à la floraison, dans la littérature, d'exemples de sur-interprétation plus ou moins volontaire des données.

On l'a dit, la physique des surfaces, a offert au STM l'occasion de se révéler à la communauté scientifique au travers de superbes images à l'échelle atomique de structures périodiques de surface. Nous sommes nombreux à avoir abordé les microscopies en champ proche en traquant la 7x7 du Si(111). Quelques années après, malgré les progrès de l'instrumentation qui rendent l'obtention de la résolution atomique plus routinière, "voir les atomes" dégage toujours pour moi une émotion (sans doute liée à la lenteur de prise d'une image). Toutefois, si le STM a permis d'avoir une meilleure connaissance de "l'intérieur" de la maille cristalline, je considère que son apport est plus dans la mise en évidence l'importance des défauts.
Ainsi, je ne m'étendrais pas sur les applications de la microscopie par effet tunnel à l'étude de l'ordre cristallin en surface ou des premiers stades de la croissance. J'ai en effet rapidement délaissé ce domaine en tant que tel. Je me contenterai d'écrire deux choses :
La première est que, même si l'apport du STM n'avait été que de nous apprendre à (mieux) préparer les surfaces, son invention aurait déjà été très appréciable. C'est un crible qui évite beaucoup d'erreurs et qui contribue alors à mieux tirer profit des autres techniques.
La seconde est que, en champ proche, la réussite des expériences passe de toutes manières par la maîtrise des substrats. Cette "culture" des surfaces est donc une base indispensable. Nous aurons l'occasion d'en donner des exemples.

Le premier volet de ce manuscrit concernera les expériences récentes qui nous préoccupent actuellement dans le domaine de l'électronique moléculaire. Alors que les tailles de dispositifs diminuent, il a été maintes fois proposé d'approcher le problème par l'autre extrémité3 et d'utiliser les briques élémentaires parfaites que sont les molécules pour réaliser un édifice réalisant une fonction complexe.
Plus fondamentalement, que cette possibilité devienne un jour réalité ou non, il s'avère que l'on ne connaît qu'extrêmement peu de choses du transport électronique dans une molécule unique et guère plus du transport dans une assemblée de molécules comme en témoigne, par exemple, la mise en évidence récente de la supraconductivité dans des cristaux organiques.iii Une des raisons en est que prendre (ne serait-ce que) deux contacts sur une molécule unique est une tâche ardue. Comme toujours, l'émergence de ce thème de recherche résulte de la conjonction de plusieurs facteurs.
D'une part, un rapprochement avec des chercheurs d'un laboratoire de chimie du campus (Corinne Moustrou, André Samat et Robert Guglielmetti du GCOPL) capables de synthétiser des molécules photo-commutables transitant entre des formes dites « isolantes » et « conductrices ».
D'autre part, une expertise acquise, au cours de la thèse de Hubert Klein, dans la préparation de couches organiques autoassemblées qui, nous le verrons, sont une composante essentielle de ce projet.
Enfin, notre connaissance des sondes couplant microscopie tunnel et rayonnement électromagnétique que nous retrouverons à la fin de cette étude.
L'ensemble concourait à élaborer un projet de recherche commun qui était rendu encore plus cohérent en suscitant l'intérêt de théoriciens (Thierry Martin du CPT et Andres Saul du CRMC2). Nous ne sommes qu'au tout début de ce travail de longue haleine. Il y a de nombreuses voies à explorer, d'obstacles à contourner, d'instrumentation à développer mais les résultats déjà acquis sont de bon augure.

Le deuxième thème que j'aborderai est celui de la nanorugosité des surfaces. Il est utile de replacer les choses dans leur contexte de l'époque. A la fin des années 80, la plupart des chercheurs impliqués dans la microscopie par effet tunnel aspiraient à obtenir la résolution atomique et l'effet médiatique consécutif au prix Nobel et aux « images » (cf. plus haut) drainait vers les laboratoires possesseurs de STM quantité de projets et d'échantillons plus ou moins adaptés. En fait, avec l'avènement du STM, on avait sauté une étape qui allait bientôt être comblée par la disponibilité commerciale du premier microscope à force atomique. On disposait alors d'une visualisation du relief à l'échelle atomique mais on savait en fait très peu de la topographie des surfaces à (un peu) plus grande échelle. De plus, s'il est relativement facile de reconnaître une structure périodique à la surface d'un cristal soigneusement préparé en ultra-vide, comment différencier une surface rugueuse d'une autre, comment les comparer, les classer, comment en tirer les paramètres caractéristiques, comment en comprendre l'évolution ?
C'est une collaboration industrielle qui m'a donné l'occasion de me pencher sur ces problèmes et, par la suite, de développer les outils d'analyse statistique de rugosité.
Parmi les sollicitations extérieures, certaines émanaient d'industriels de la microélectronique (production) soucieux de « voir » pourquoi, lors des procédés en ligne, tel dépôt donnait de meilleurs résultats que tel autre. Eux se satisfaisaient tout à fait de ces fameuses images qui révélaient de nettes différences topologiques. Mais ce type d'analyse nous aurait limité à des cas très caricaturaux. Nous avons alors développé des programmes informatiques qui, à partir de la nappe 2D de la surface, en calculaient la densité spectrale de rugosité4. Les résultats furent en accord avec nos attentes. A partir d'échantillons identiques, les images conduisaient aux mêmes spectres. Des images visiblement différentes menaient à des spectres significativement distincts. Enfin, des images qui se ressemblaient permettaient de mettre en évidence des différences plus subtiles.
Nous en savions assez pour y consacrer plus de temps.
Tout c'est alors enchaîné assez vite car le hasard a voulu que des opportunités se présentent à ce moment là. Un stagiaire dynamique passait par là alors que le CNET-Meylan voulait aborder la microscopie en champ proche de manière « encadrée ». Une thèse débutait. Dans la lignée des premières expériences, nous avons entrepris des études STM de diverses surfaces de Si. Ce travail a achevé de nous convaincre de la validité de l'approche. Le CNET s'équipait d'un AFM et les expériences prenaient un tour nouveau. On pouvait maintenant balayer des surfaces de plusieurs dizaines de microns de côté alors que le champ de notre STM dédié à la résolution atomique n'était de que de 1 micron. De plus le fait de travailler à la pression atmosphèrique décuplait le flux de données et permettait de systématiser les choses. Les mesures étaient reproductibles mais il fallait aller plus loin. En effet, des erreurs systématiques peuvent canuler les mesures. Un contact s'est alors établi avec E.Pelletier et Cl.Amra (ENSPM, Marseille). Spécialistes de diffusion lumineuse, il maîtrisaient bien la mesure quantitative de la rugosité. En deux mots leur technique est la suivante : un pinceau lumineux monochromatique est envoyé sur une surface. Si celle-ci n'est pas parfaitement lisse (tout est réfléchi dans le spéculaire) ni périodique (phénomène de diffraction), de la lumière est diffusée dans toutes les directions de l'espace. Sa mesure, et des modèles classiques permettent de remonter au spectre de rugosité des surfaces dans une gamme de longueur d'onde typiquement comprise entre lambda et 20 fois lambda.
Nous avons défini un protocole de caractérisations croisées qui a permis de prouver que nos mesures de rugosité en AFM étaient parfaitement quantitatives.
La thèse d'Olivier Vatel allait permettre d'appliquer notre travail à un grand nombre de surfaces produites en milieu semi-industriel. Aux delà des spectres de DSP, nous en tirions des paramètres caractéristiques (e.g. longueurs de corrélation verticales et horizontales) et leur évolution temporelle. Sur le plan international, à cette période, on ne dénombrait que peu de publications tirant profit des mêmes outils d'analyseiv. Les résultats obtenus nous donnaient l'occasion d'aborder des domaines nouveaux. Nous lisions en particulier beaucoup dans le domaine des lois d'échellev. Ces lectures m'amenèrent à profiter d'un de mes voyages régulier à Grenoble pour y rencontrer un théoricien dont un article m'avait plu. Je ne le connaissais pas. C'était Jacques Villain. A la sortie de cette discussion, non seulement j'étais conforté dans mes recherches en cours mais de nouvelles perspectives s'offraient. En effet, certains modèles continus de croissance ou d'érosion permettaient en effet le calcul analytique complet de la densité spectrale de puissance que nous mesurions par ailleursvi. La thèse de Michel Ramonda qui débutait allait notamment s'attacher à comparer les résultats issus des mesures, des calculs théoriques à l'échelle mésoscopique ou des simulations numériques atomistiques.

Enfin, je décrirai quelques une des expériences d'émission de lumière stimulée par STM. Une fois les techniques (approche, usage des céramiques piézo-électriques, asservissement...) héritées du STM et de l'AFM maîtrisées, nombreuses ont été les microscopies à balayage inventées. Parmi ces développements l'observation de l'émission de lumière émise à la jonction pointe/surface d'un STM est reportée. Cette idée était dans l'air mais c'est James Gimzewski qui la réalise en premier, accédant ainsi à la vieille requête d'un de ses collègues d'IBM Zurich : Bruno Reihl, expert en photoémission inverse. Dans cette première expérience, l'énergie des photons détectés était d'une dizaine de Volts et le STM était plutôt utilisé en régime d'émission de champ. Nonobstant, la voie était ouverte. La perspective de pouvoir mesurer, à l'échelle nanométrique, des propriétés optiques effaçait à nos yeux les difficultés techniques et la maigreur du signal. C'est ainsi, qu'au travers d'une collaboration avec Gimzewski, nous nous sommes lancés dans le sujet. Quelques groupes ont suivi en Europe. De timides tentatives ont été reportées aux USAvii puis, plus tard, au Japon.
En ce qui nous concerne, menant ce thème de recherche simultanément à d'autres, nous avons débuté par une période d'apprentissage pendant laquelle nous avons obtenu, par cette technique, un certain nombre de résultatsviii sur des métaux ou des cristaux de semiconducteurs à gap direct. Ces résultats, avec ceux de la littérature, nous ont montré que les processus d'émission lumineuse à partir de métaux ou de semiconducteurs étaient radicalement différents:
Pour les métaux, l'émission est reliée à une résonance plasmon localisée entre la pointe et la surface. Cette émission dépend alors non seulement des deux matériaux mais également de la géométrie de la jonction tunnel (notamment de la forme de la pointe). En fait, la pointe tunnel exalte localement le champ électromagnétique. Les calculs développés dans ce cadreix montrent que l'extension latérale de ces modes peut, selon la pointe utilisée, descendre au nanomètre. C'est la limite de résolution que je pronostiquerai pour toutes ces sondes-outils à balayage tirant profit du champ électromagnétique à l'extrémité d'une pointe. Parmi elles, j'englobe aussi bien les techniques de lithographie en champ proche (STM et AFM) que les microscopes en champ proche optique sans ouverture utilisant des pointes tunnel. Pour clore cette parenthèse, ajoutons que ces phénomènes physiques sont les mêmes que ceux qui régissent la propagation des ondes électromagnétiques dans les matériaux nanostructurés et qui sont à l'origine par exemple des composants à bande interdite photonique.
Pour les semiconducteurs, la recombinaison radiative électron/trou est le processus majoritaire impliqué dans l'émission de lumière induite par STM. Le lien avec la structure électronique du matériau est donc plus direct puisque l ‘énergie des photons émis est celle de la bande interdite.
Ces expériences nous encourageaient à dédier un système expérimental complet à cette technique. Son installation a coïncidé avec la découverte de la luminescence du silicium poreux.xiii Le silicium poreux, matériau nanostructuré présentant de surprenantes propriétés optiques, semblait parfaitement adapté à notre technique. De fait, nous en avons étudié plusieurs aspects (morphologie, lithographie, propriétés optiques et électronique) et avons pu constater en émission de lumière stimulée par STM des rendements (nombre de photons/électrons) très importants.
Pour pouvoir corréler directement la morphologie mesurée par STM à l'émission de lumière, il nous fallait des échantillons bien caractérisés. Nous nous sommes alors intéressés à des nanocristallites métalliques individuelles puis de nouveau aux semiconducteurs avec, notamment, l'étude de l'émission de lumière d'un puits quantique unique d'arséniure de gallium.
Ce dernier thème qui traite de la spectroscopie de nanostructures est à rapprocher de celui ayant trait à l'électronique moléculaire que nous développons actuellement. Nous retrouverons notamment dans les deux la notion, extrêmement importante, du couplage contrôlé entre le nanoobjets et les électrodes.
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  • HAL Id : tel-00359470 , version 1

Citer

Philippe Dumas. Microscopies de proximité :
Des spectroscopies aux processus physiques. Physique [physics]. Université de la Méditerranée - Aix-Marseille II, 2001. ⟨tel-00359470⟩
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