Ce chapitre est destiné à présenter certaines définitions concernant la langue des signes dans le contexte du geste de communication, point dintérêt de notre partie introductive, et aussi ce que nous enseignent les travaux menés dans le domaine de la synthèse et de la linguistique du signe.
Dans un premier temps, nous tentons dexposer de façon aussi concise que possible le cadre du geste communicatif et dy replacer les langues gestuelles, en insistant bien sur la spécificité de ces dernières. Les langues des signes constituent en effet aujourdhui les formes les plus évoluées dexpression par le biais du canal gestuel, et leur statut de langue à part entière est désormais pleinement reconnu.
La partie suivante situe notre étude. Il y est question de lutilité dobtenir une synthèse informatisée du signe, ainsi que des tenants et aboutissants de notre recherche. Nous dressons ensuite un état de lart en la matière, en passant notamment en revue les travaux de traduction bidirectionnelle.
Pour finir, il nous a paru nécessaire dintroduire
les études linguistiques ayant conduit à différentes
descriptions des signes, ainsi que les diverses représentations
écrites ou applications informatisées auxquelles
celles-ci ont donné lieu. En conclusion, nous examinons
dans quelle mesure ces transcriptions sont adaptées à
notre dessein de description formelle du signe, objet du deuxième
chapitre.
1.1. Gestes et langues
des signes.
Il nest pas si loin le temps où les langues des
signes étaient appelées " langages mimiques
", ou encore " communication par gestes ". Nous
nous attachons dans cette partie à montrer que les signes
ne sont pas de simples gestes, et explicitons les différences
fondamentales entre les concepts que sous-tendent ces termes.
1.1.1. Du geste au signe, la communication gestuelle.
Intuitivement, nous percevons tous aisément ce que peut recouvrir la notion de geste. Un salut de la main, la désignation dun oiseau qui passe, lagent qui fait signe aux automobilistes de sarrêter, sont des exemples qui nous viennent immédiatement à lesprit. Mais à partir de quel moment peut-on réellement parler de gestes et comment dès lors les catégoriser ?
Nous souhaitons dans cette partie répondre de façon
concise à ces interrogations, en examinant tout particulièrement
les gestes qui accompagnent le discours. Puis nous exposons dans
quelle mesure le geste est utilisé en communication homme-homme
et homme-machine, avant de voir pourquoi nous avons choisi de
nous pencher sur létude des langues gestuelles.
1.1.1.1. Caractérisation du geste et définitions.
La notion de geste nest pas définie avec précision. Elle varie en fonction du domaine détude, selon que lon se place dun point de vue sociologique, cognitif, biologique, ... Il en va de même pour un certain nombre de termes dont nous allons préciser dès maintenant lacception retenue dans le cadre de ce texte.
En écartant le sens figuré, le geste physiologique
peut être défini comme un mouvement intentionnel
et significatif du corps ou des membres. Cette caractérisation
minimale appelle trois remarques :
En tant que moyen de transmission dune information, le geste sinsère dans un schéma de communication de type :
Le canal de ce processus est bidirectionnel, cest-à-dire que le geste peut soit capter, soit émettre de linformation.
Les gestes de perception ne sont pas développés davantage dans la suite de notre propos. Il y est en revanche largement fait référence à ceux qui émettent de linformation, notamment les gestes daccompagnement de la parole, de désignation dobjets et, bien entendu, les signes.
Concernant ce dernier terme, remarquons que la sémiotique moderne lui attribue une plage dacceptions très étendue [ECO 88]. Elle considère en effet le signe comme élément dun processus quelconque de communication, dont le geste ne constitue quune des modalités. Nous allons, pour notre part, nous cantonner à son sens relatif à la langue des signes, à savoir un élément de son vocabulaire. Toutefois, les propriétés dégagées dans le cadre dune plus large signification demeurent valables. En particulier, tout signe possède un signifiant, représentation artificielle donc reposant sur un code dun concept (le signifié), et fait allusion à un référent concret ou abstrait, présent ou non lors de lémission du message.
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La figure 1.1 présente ces trois composantes du signe. Dans lexemple proposé, le signifiant qui nous importe est de nature gestuelle. Ses équivalents pourraient être le mot /arbre/ ou /Baum/ (pour lécrit), un dessin représentant un arbre, ou encore la définition de ce dernier. Ces différentes formes montrent bien que le signifiant est arbitraire.
Signalons pour clore ce paragraphe introductif quen communication
homme-machine, le geste peut intervenir à la fois en entrée
(une phase de reconnaissance est pour cela nécessaire),
en sortie (il est alors synthétisé avant dêtre
présenté sur un dispositif adapté, tel un
écran), ou en entrée-sortie. Ce type dinteraction
est largement étudié un peu plus avant dans cette
partie.
1.1.1.2. Catégorisation des gestes.
En raison de la richesse de la modalité gestuelle [MOR 97] et de la grande variété de formes quelle recouvre, il nest pas aisé den établir une taxonomie, et il nexiste pas de consensus en la matière. En guise de première approche, on peut distinguer les gestes accompagnant la parole (désignés sous le terme gesticulation) et ceux qui en sont indépendants (gestes autonomes). Dautres dichotomies ont été proposées, notamment par Nespoulous (cité dans [COH 99]), telles celle opposant les actions pures aux symboles, ou celle basée sur le degré duniversalité et dintelligibilité des gestes.
Même sil ne peut refléter toutes les fonctions du geste, le système de classification donné par Kendon [KEN 88] est intéressant en ce quil synthétise, sous la forme dun continuum, plusieurs autres réflexions portant sur le même sujet (figure 1.2).
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Ce continuum reflète une évolution croissante (lorsquon le parcourt de gauche à droite) de la complexité et de la richesse du message gestuel :
Comme le souligne Mc Neill [MCN
92], lorsque lon se déplace le long de cette
échelle dans le sens des flèches, on observe que
la nécessité daccompagner le geste par la
parole diminue[1], alors
quapparaissent progressivement des caractéristiques
propres aux langues. Parallèlement, les gestes co-verbaux
sont fortement idiosyncratiques,
alors quemblèmes et signes sont largement régulés
par la société qui les utilise.
Il est fort probable que, dans le développement de la communication entre les hommes, le geste ait précédé le langage. Le fait que certains gestes possèdent des référents externes pourrait en être une explication ; montrer un objet ou évoquer sa forme semble le plus naturel pour le désigner. En était-il déjà ainsi pour nos lointains ancêtres ? Toujours est-il que, selon Mc Neill, la communication gestuelle est plus intimement liée à la pensée que le langage. Pour étayer cette thèse, on peut remarquer que l"erreur gestuelle" nexiste pas dans le geste co-verbal : si je désigne ma droite en parlant de la gauche, on aura compris que cest ma langue qui a fourché.
Le canal gestuel est à même de transmettre une information riche, précise. Dans des situations où le message oral est trop dégradé (par exemple dans le cas dun bruit environnant intense ou dune isolation phonique par une vitre), ou lorsque lon ne maîtrise pas suffisamment la langue de son interlocuteur, cette modalité constitue une alternative intuitive à la parole. La gesticulation est utilisée dans le monde entier pour compléter, préciser, nuancer, voire contredire le contenu du discours. La théorie moderne conçoit le geste et la parole comme parties dun tout cohérent procédant de la pensée. Kendon définit même ce que lon pourrait traduire en français par " articulation " (dont la polysémie est dailleurs aussi utile que révélatrice) comme une unité résultant dune combinaison de deux composants, lun verbal et lautre gestuel.
Plusieurs constatations réalisées par les mêmes auteurs viennent étayer cette thèse :
Outre les gestes emblématiques et pantomimiques cités précédemment, les illustrateurs peuvent accompagner le message oral; ils sont dépendants de ce canal. On ne trouve point en la matière de classification ou dappellation communément acceptées dans la littérature mais le tableau 1.1, issu de la discussion de L. Messing sur la communication bimodale [MES 93], reprend les termes les plus fréquemment rencontrés. Il est à noter que ces différents types de gestes ne sont pas mutuellement exclusifs : il peut arriver quun même geste comporte plusieurs de ces aspects.
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1. Déictiques | Désignent par pointage un objet, une personne ou un groupe, un endroit ou une direction. Dans limmense majorité des cas, ils sont exécutés grâce à lindex tendu et parfois un faible mouvement. Mais ce rôle peut être aussi pris en charge par le pouce tendu, ou un léger mouvement de tête. |
" On va par là ? " " Sur cette photo de famille, on te reconnaît toi, tes parents, " |
2. Iconiques | Evoquent des objets, des personnes ou actions en en soulignant les caractéristiques marquantes (taille, forme, ) et les relations. Parfois, les référents sont incarnés par les mains ou dautres parties du corps. Les gestes iconiques peuvent aussi spécifier le point de vue selon lequel laction est rapportée [CAS 95]. | Voir les exemples pour chacune des formes particularisées de gestes iconiques |
2.1. Spatiographiques | Montrent une relation spatiale entre les référents : position, distance ou orientation relative, relation topologique (contact, inclusion). | " Il ma frôlé en voiture, en passant à combien ? vingt centimètres " |
2.2. Pictographiques | Evoquent la forme, la taille ou létat de surface dun objet, soit en dessinant celui-ci dans lespace, soit grâce à la seule configuration de la main. | " Le Zeppelin, tu sais, ce dirigeable en forme de ballon de rugby " |
2.3. Kinégraphiques | Représentent le mouvement de quelque chose ou quelquun. Bien souvent, la main joue le rôle dun référent. | " Les deux rames se sont téléscopées frontalement " |
3. Marqueurs | Marquent le rythme dans le discours. | Voir ci-dessous |
3.1. Bâtons | Utilisés pour insister sur un mot ou une phrase dimportance particulière, ils sont souvent caractérisés par un mouvement rapide de lindex tendu, parfois avec un contact sur un objet. |
" Il nest pas question que tu sortes ce soir " " Et cest là où je voulais en venir " |
3.2. Rythmiques | Expriment la vitesse ou le rythme à laquelle seffectue une action, ou la durée de celle-ci. | " Le coureur est passé comme une flèche " |
3.3. Idéographiques | Suivent le déroulement de la pensée, en marquant par exemple les étapes fondamentales dun raisonnement, une alternance logique, | " Premièrement, vous voudrez bien rester poli, et deuxièmement, " |
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Dautres gestes co-verbaux sont parfois décrits, notamment ceux révélant létat mental du locuteur (nervosité, embarras, ), qui se traduisent par des mouvements dont il a rarement conscience mais que peut interpréter son auditoire (rajustement des lunettes ou frottement de la tempe, par exemple).
Le rôle joué par les expressions du visage dans
laccompagnement de la parole est indéniablement important.
Il est donc regrettable que soient si rares les travaux relatifs
à ce mode de communication. On trouve néanmoins
quelques repères dans les travaux menés à
lUniversité de Pennsylvanie au sein du Laboratoire
HMS (Human Modeling and Simulation). En particulier, Pelachaud
et ses collaborateurs [PEL
94] décrivent un système danimation du
visage, détaillant lintervention de chacune des composantes
faciales. Cette étude sinscrit dans un projet plus
global danimation de personnages virtuels en conversation
multi-agents [CAS 94].
Les chercheurs du MIT Media Lab, dont J. Cassell, ont à
cette fin implémenté un planificateur à base
dautomates prenant en charge la synchronisation des mouvements
des bras et des expressions faciales (notamment la direction du
regard) avec le texte énoncé.
1.1.2. Le geste en interaction homme-machine.
Lexploitation du geste en communication homme-machine
a été rendue possible dès lors que les ordinateurs
ont acquis une puissance de traitement de linformation suffisante.
Lapparition de dispositifs nouveaux, notamment la souris,
a permis le remplacement partiel et progressif des langages de
commande et des systèmes dexploitation textuels (tels
DOS et UNIX) par des interfaces graphiques. Des dispositifs dentrée
plus perfectionnés permettent dorénavant dentrevoir
lutilisation du geste naturel comme moyen de commande, en
particulier dans le domaine du handicap.
1.1.2.1. Les gestes de manipulation.
Afin que le message dont il est porteur soit effectivement transmis, le geste doit être perçu ou, plus généralement, capté car il est évanescent par nature. Les périphériques exploitant le geste fonctionnent pour la grande majorité en mode continu, cest-à-dire que les informations sont captées de façon permanente. Des événements discrets (tel le clic de souris) peuvent y être adjoints pour des opérations spécifiques ponctuelles (notamment la validation dune commande).
Dans les interfaces gestuelles récentes, les objets réels sont représentés par des équivalents virtuels, comme ceux apparaissant sur le " bureau " de Windows. Afin de rendre intuitive lutilisation de la machine, les éditeurs de logiciels tentent de généraliser les fonctionnalités tirant profit du " glisser-déplacer ", que ce soit pour la sélection préalable à toute action (par exemple en dessinant un rectangle élastique autour des objets) ou pour spécifier cette commande même (tel le déplacement de blocs de texte ou dobjets graphiques). Ces gestes, permettant dagir par contrôle direct sur des objets virtuels par lintermédiaire de leur représentation graphique, sont dénommés gestes de manipulation. Il sagit typiquement de désigner les objets par sélection (cest pourquoi on parle aussi de gestes de désignation), puis de leur appliquer une action (ou commande).
Lutilisation de la souris a peu évolué durant les deux dernières décennies. Les efforts se portent actuellement sur lanalyse structurelle du geste de désignation par ce moyen [BEL 95]. Dautres types de dispositifs de dialogue (dits encore de vis-à-vis) peuvent être mis à profit en fonction des besoins de la situation :
1.1.2.2. Capter et reconnaître le geste naturel.
Les dispositifs cités précédemment ne
reconnaissent quun nombre très restreint de gestes,
et leur utilisation est contraignante. Ils sont particulièrement
mal adaptés aux personnes dont la mobilité du bras
est réduite. Lengouement actuel pour les interfaces
utilisant les gestes naturels a débouché sur de
nouvelles solutions. Il va de pair avec le développement
de systèmes de capture de plus en plus sophistiqués
permettant dacquérir jusquà des informations
spatiales :
Quelle que soit la technologie de reconnaissance adoptée (modèles de Markov cachés [STA 95], réseaux de neurones, ...), tout système doit surmonter certaines difficultés inhérentes à la complexité des gestes humains :
Lorsque ceux-ci sont émis en séquence, les phases dapproche, de rétraction ainsi que les tenues en début et fin de mouvement sont souvent supprimées.
La production peut être modifiée en fonction des gestes précédents et suivants [PEN 98].
Un même geste est produit différemment selon son contexte, et son image mentale ne saurait être rigoureusement identique dun sujet à lautre.
Dautre part, sur le plan technique, la façon de traiter et dencoder les données est déterminante dans le succès de lopération.
Le développement dinterfaces multimodales est
désormais la prochaine étape (voir [BEL 96] pour un état de lart).
En particulier, des études ont porté sur lutilisation
parallèle de dispositifs de capture 2D (souris/trackball,
stylo optique, écran tactile), de la parole et/ou du geste
dans linteraction homme-machine.
1.1.2.3. Les interfaces gestuelles en communication palliative.
Les applications de capture et reconnaissance de gestes sont particulièrement utiles pour fournir des interfaces dédiées aux personnes souffrant dun handicap sensoriel ou moteur. Dans ce cadre, il faut définir avec soin les différentes primitives gestuelles, pour ensuite être capable de les détecter dans le signal dentrée. Cela est dautant plus difficile que linformation utile peut être très réduite ou fortement variable.
En collaboration avec une équipe spécialisée en psychomotricité, D. Toffin [TOF 98] a ainsi évalué le contrôle moteur denfants infirmes moteurs cérébraux. Les gestes ont été enregistrés au moyen de capteurs de type Flock of Birds pour reconnaître des primitives de mouvement (droite, demi-cercle) formant plusieurs figures à reproduire (morphocinèses).
Parallèlement aux systèmes de reconnaissance de la parole, des études portent actuellement sur lusage de la langue naturelle des personnes sourdes pour leur permettre de dialoguer via une machine. H. Sawada [SAW 98] décrit ainsi un système de reconnaissance de la langue des signes basé sur un ensemble de primitives gestuelles et des accéléromètres. Létude réalisée au sein du LIMSI par A. Braffort [BRA 96] constitue une étape importante qui prend en compte les particularités grammaticales de cette langue.
Les oculomètres, évoqués plus haut, trouvent tout particulièrement leur application dans le domaine du handicap. La détection de la direction du regard par système de vision permet désormais aux personnes tétraplégiques de piloter un ordinateur et de retrouver ainsi un moyen dexpression [REC 96].
Mais la richesse de la recherche concernant la reconnaissance des gestes ne doit pas faire oublier, dans loptique dune communication homme-machine bidirectionnelle, de disposer également de gestes en sortie. Il sagit de les présenter à lécran, en respectant leur contenu sémantique.
La première solution consiste à utiliser des
séquences vidéo enregistrées, dont les inconvénients
sont présentés plus loin. Une autre solution qui
nous intéresse très directement est lélaboration
de gestes synthétiques.
1.1.3. Les langues gestuelles.
Nous souhaitons dabord expliquer en quelques mots pourquoi nous avons choisi, dans ce contexte, de focaliser notre intérêt sur les langues gestuelles. Après une brève description du processus de leur genèse, nous exposons pourquoi cest bien au pluriel dont il faudrait systématiquement parler de la langue des signes. Car il en existe une multitude de par le monde, aux réalités fort différentes, avec des variations régionales et sociales parmi bien dautres.
Dès lors, ce que nous entendons par " langue des
signes " correspond à celle dun pays donné
précisé ou non , ou bien désigne,
dans leur globalité, lensemble des caractéristiques
communes aux différentes langues gestuelles du monde.
1.1.3.1. Pourquoi étudier les langues gestuelles ?
Selon L. Messing [MES 93], " lorsque lusage de la parole est rendu impossible pour quelque raison que ce soit, les gestes naturels peuvent sorganiser en un système gestuel qui peut à son tour évoluer en une véritable langue signée ". Celle-ci se distingue des gestes exposés jusquici en ce quelle ne se résume pas à un simple lexique figé, mais possède une phonologie, une grammaire et une syntaxe propres. Les signes peuvent être ainsi décomposés en primitives formationnelles, fusionner pour former de nouveaux signes, et se succéder dans un discours cohérent auto-suffisant. Nulle règle générative ou combinatoire nexiste en revanche dans la gesticulation.
Nous avons précédemment souligné lunité du message qui sexprime simultanément via la parole et le canal gestuel. M. Brenan [BRE 97] fait à ce propos une observation des plus intéressantes : seules les langues des signes associent le mot et limage en un seul et même système. " Le signe est à la fois un ensemble de composants formationnels conventionnels et le véhicule dexpression dune image ". Pour illustrer cette assertion, lauteur relate la genèse du signe diglossie : dans un premier temps, les étudiants ont inventé un signe dans lequel les mains étaient situées en des points de niveaux décalés, évoquant la différence entre la forme linguistique " haute " (formelle) et " basse " (parlée)[2]. Puis le signe a évolué pour aboutir à une forme communément acceptée dans laquelle les doigts viennent en contact avec le milieu de lavant-bras gauche. En respectant la structure phonologique de la langue, ce signe en exploite alors simultanément les capacités iconiques et métaphoriques.
Cest précisément cette richesse et ce potentiel
expressif remarquables qui nous ont portés à étudier
la langue des signes et en proposer un outil de synthèse.
Mais avant de détailler le cadre de notre étude,
posons quelques jalons sur les langues gestuelles.
1.1.3.2. Genèse [MOO 83].
Jusquau XVIème siècle, les sourds ne disposent pour communiquer que de quelques gestes mimiques et pantomimiques. Souvent isolés, certains se regroupent toutefois en communauté; mais léducation, réservée à quelques sourds issus de riches familles, consiste jusqu'au milieu du XVIIIème siècle, à tenter de leur apprendre la langue orale. Cest ainsi que naît, grâce à Juan Pablo Bonet vers 1620, lancêtre de lalphabet dactylologique que nous connaissons aujourdhui.
Avec l'avènement des Lumières, cest lAbbé de lEpée (1712-1789) qui, le premier, commence à sintéresser au langage naturel préexistant des sourds comme instrument de leur instruction, de communication, et dexpression de la pensée humaine au même titre que la langue orale. A la même époque, Desloges, un sourd-muet parvenu à un haut niveau déducation, est le premier à évoquer dans son livre une structure de la langue des signes.
Les " signes méthodiques " de lAbbé de lEpée, visant à lapprentissage du français, empruntent au langage naturel des sourds certains signes représentant les choses et les idées, mais incluent aussi des signes bâtis de toutes pièces pour exprimer les différentes fonctions grammaticales (temps, genres, articles, ...) du français. Malheureusement, sils permettent effectivement de transcrire le français écrit, les " signes méthodiques " ne constituent nullement une véritable langue, car leur caractère abstrait et artificiel les rend fort peu évocateurs de leurs signifiés. De plus, leur syntaxe respecte scrupuleusement celle de la langue orale. Ils étaient ainsi le plus souvent inintelligibles pour les sourds mêmes qui les utilisaient. Ce problème subsiste avec le successeur direct de Charles Michel de lEpée, lAbbé Sicard, à la tête de lécole devenue lInstitution Nationale des Sourds-Muets.
Bébian (1794-1834) est véritablement lhomme qui, grâce à un profond respect pour les sourds et leur culture, donne à la langue des signes un élan de premier ordre. Il préconise en effet, et met en uvre avec succès, une éducation bilingue avec, comme outil primordial dans le développement intellectuel, la langue utilisée par les sourds eux-mêmes. Les signes naturels ne se réfèrent plus aux mots, mais bien aux idées quils sous-tendent. En outre, Bébian entreprend danalyser avec précision les formes de la main, les mouvements et les expressions du visage, afin délaborer un premier système décriture des signes. Ce travail débouche sur la première grammaire de la langue des signes, publiée en 1854 par Rémy-Valade, " Etudes sur la lexicologie et la grammaire du Langage Naturel des Signes ".
Aussi, la langue des signes va rapidement simposer comme une langue denseignement. La création décoles un peu partout en France et lacquisition dune véritable reconnaissance de son statut social, sont les témoins de la santé florissante de la culture des sourds. Ferdinand Berthier, doyen des professeurs sourds à lInstitut de Paris, dont lintelligence et la finesse desprit sont reconnues, est peut-être lexemple le plus brillant, parmi de nombreux autres intellectuels et artistes, de lépanouissement, la créativité, et de la fierté militante des sourds de cette époque.
La vivacité de la culture sourde en France ne tarde
pas à rayonner dans les autres pays. Dès 1816, Laurent
Clerc et Thomas H. Gallaudet fondent la première école
américaine dinstruction des sourds avec un apport
important de signes français pour enrichir le vocabulaire
local préexistant. Les langues des signes irlandaise et
russe trouvent également leurs racines dans la langue des
signes française (LSF) de cette époque [STO 72 : 121,130].
1.1.3.3. Les langues des signes aujourd'hui.
Comme nous lavons signalé au début de cette partie, de nombreuses langues des signes différentes cohabitent aujourdhui au niveau mondial, et même au niveau de chaque pays. Si le rêve des premiers auteurs sur la langue des signes est que celle-ci unisse les sourds du monde entier, voire constitue une langue universelle, force est de constater quactuellement, les langues des signes diffèrent autant lune de lautre que les langues orales [MAR 79]. Certes, il existe entre certaines, du fait de leurs racines communes, de nombreuses similitudes que nous ne manquons pas de souligner tout au long de ce mémoire. Les sourds des divers pays en tirent profit et communiquent beaucoup plus aisément que les entendants, en complétant leurs systèmes de signes propres par des gestes mimiques. Mais cela se fait au détriment de lefficacité et de la rapidité, car la pantomime est moins économique que le signe, et bien souvent, la présence dun interprète est néanmoins nécessaire [MOT 78].
De même que la communication est difficile entre deux interlocuteurs monolingues maîtrisant chacun une langue orale différente, le degré dintelligibilité dun signeur en langue des signes britannique (BSL) est très faible pour un utilisateur de la langue des signes américaine (ASL), alors quil est élevé entre signeurs français et américains, ainsi quà travers une grande partie de lAmérique du Nord (U.S.A, Canada, Mexique géographiquement ou culturellement proche des Etats-Unis).
En outre, il existe au sein dun même pays de nombreuses
disparités entre langues des signes, selon des critères
multiples [WOO 79]
: variations régionales, sociales, ethniques, en fonction
de lâge ou du sexe, et ceci à tous les niveaux
de la langue (phonologique, lexical ou grammatical). On trouve,
dans les langues orales, des items lexicaux propres à telle
ou telle région, des accents locaux; il en va de même
pour les langues des signes, où les signeurs arrivent à
deviner la région et souvent lécole dorigine
de leurs interlocuteurs.
1.1.3.4. Langues des signes et langues orales.
Les sourds dun pays appartiennent à un environnement physique et culturel dont ils sont imprégnés, une société de loral et de lécrit à laquelle il a bien fallu sadapter puisque leur statut de minorité ne leur laisse guère dautre choix. Afin de communiquer de façon satisfaisante avec les entendants qui les entourent, et qui ne maîtrisent pas leur langue, les sourds utilisent une sorte dintermédiaire entre celle-ci et la langue orale.
En France, ce système gestuel est dénommé " Français Signé "; chaque mot de la phrase française y est signé par son équivalent en LSF, en respectant la syntaxe et lordre des mots. Les articles, prépositions, monèmes grammaticaux marquant le genre, le nombre ou les temps, ... sont introduits de façon artificielle, ainsi quune part plus ou moins importante dépellation dactylologique, lorsque le signeur respecte scrupuleusement la phrase française. En effet, LSF et Français Signé se situent aux extrémités dun continuum linguistique probablement non-linéaire mais multidimensionnel, incluant toutes les variantes possibles entre les deux modes de communication. Ainsi, selon le degré de maîtrise de la LSF des interlocuteurs, ceux-ci peuvent choisir den respecter plus ou moins fidèlement la syntaxe et les spécificités grammaticales, ou de se rapprocher davantage dune traduction " mot à signe " du français, en abandonnant diverses caractéristiques propres à la langue des signes telles que lutilisation de lespace et les expressions faciales.
Le même système existe pour langlais américain, sétendant de lASL à lAnglais Signé Exact (SEE - Signed Exact English), en passant par de nombreuses variations incluant lAnglais Signé Pidginisé et un Signed English plus ou moins strict.
A ce propos, signalons pour mémoire lexistence des méthodes daide à la lecture labiale que sont le LPC (Langage Parlé Complété, Cued Speech en anglais) et lAKA (Alphabet des Kinèmes Assistés) [RON 86]. En LPC, différentes configurations manuelles sont utilisées pour distinguer les phonèmes pour lesquels la forme des lèvres est identique . Lors de la prononciation du mot " main " par exemple (figure 1.3), pour différencier le M de ses sosies labiaux B et P, la configuration plate de la main désigne le groupe auquel appartient cette consonne. Les voyelles sont elles aussi regroupées et quatre positions différentes leur correspondent (sur la gorge, le menton, à côté de la bouche et de la joue).
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Ces systèmes sinscrivent dans une perspective
oraliste et favorisent notamment lapprentissage de la lecture
chez les enfants sourds [TEL
98]. Mais ils ne constituent absolument pas une langue par
eux-mêmes.
1.1.4. Une langue à part entière.
Les preuves apportées par la linguistique moderne montrent
au contraire que la langue des signes est plus que le simple "
système de gestes " auquel on la longtemps réduit,
et mérite bien le statut de langue. Avant den exposer
les raisons en quelques points, signalons lintéressante
réflexion sur ce sujet qui nous est donnée par A.L.
Petitto [PET 94].
Outre les arguments développés ci-dessous dordres
linguistique et sociolinguistique, cet auteur présente
un faisceau de preuves dordre physiologique. Lanalyse
biologique du statut des langues signées naturelles dans
le cerveau humain permet de réfuter une meilleure adéquation
ontogénétique ou phylogénétique de
ce dernier pour la parole. En dautres termes, ni lévolution
de lindividu, ni celle de son espèce, ne montre que
lhomme est " fait " pour sexprimer oralement.
1.1.4.1. Iconicité et capacité de communication.
Un des principaux reproches quadressent à la langue des signes ses détracteurs est son caractère purement figuratif et, de fait, son incapacité à représenter labstraction. Nous allons de suite voir quil nen nest rien [MAR 79].
Il reste exact que de nombreux items lexicaux possèdent un caractère iconique, le signifiant évoquant le signifié de façon imagée, et que cela demeure le cas aux niveaux syntaxique et morphologique. En LSF, le signe ascenseur évoque clairement le mouvement ascendant dune cabine d'ascenseur; de nombreux verbes (tels faire_la_vaisselle, peindre, ...) figurent directement laction correspondante.
Mais les expériences menées par Klima et Bellugi [KLI 79] sur lASL prouvent que la plupart des signes sont, au contraire, opaques (cest-à-dire que le signifié ne transparaît pas à travers le signifiant). En effet, les sujets entendants interrogés nont pas pu transcrire correctement plus de 10% des signes présentés, résultat nexcédant pas 20% lors dun questionnaire à cinq choix possibles. Les auteurs en concluent que la plupart des signes sont " translucides ", à savoir que les observateurs extérieurs saccordent sur lexistence dune relation entre le signe et sa signification apparente, sans que celle-ci soit nécessairement correcte.
Klima et Bellugi soulignent également que les processus
grammaticaux intervenant sur les signes (dont nous reparlons dans
la deuxième partie) opèrent uniquement sur leurs
paramètres de formation, et non sur leurs propriétés
iconiques. Au contraire, on note au cours de ces processus une
perte diconicité. Il en va de même des changements
diachroniques des signes [BEL 78, RAD 90] : si leur origine est souvent pantomimique,
les évolutions historiques consistent en une centralisation
spatiale, une symétrie accrue, une concentration du contenu
lexical au niveau des mains et, plus généralement,
une simplification du mouvement et un glissement vers labstraction.
Ces phénomènes, résultant en une perte certaine
de transparence, sont aussi observables pour les signes créés
par composition notamment à partir dunités
lexicales préexistantes.
1.1.4.2. Capacité de communication.
Un autre critère fondamental pour laccession au statut de langue à part entière réside dans la faculté à transmettre linformation signifiante sans ambiguïté. Concernant les langues des signes, les études menées au début des années 70 tendaient à assigner une moindre qualité dans cette transmission. Cest la conclusion dOléron [OLE 78], dont les expériences consistent en lémission dun message (de type Sujet-Verbe-Complément dobjet direct ou indirect) descriptif dune image représentant une scène. Lefficacité de la transmission est évaluée en fonction de la capacité du récepteur à décrire fidèlement limage de départ.
Des recherches aboutissant à des conclusions similaires, menées par Schlesinger sur la langue des signes israélienne (ISL) et Hoeman sur lASL, sont rapportées par Grosjean [GRO 79] qui en réfute la validité des résultats. Il affirme quune meilleure prise en compte du niveau de connaissance de la langue des signes par les sujets permet, au contraire, de conclure que celle-ci est à même de transmettre linformation tout aussi efficacement que les langues orales.
Concernant le débit de linformation, Grosjean note un intervalle de temps comparable pour la transmission du message, même si le rapport des débits en termes de signes et de mots est dun pour deux environ (de nombreux items lexicaux du français oral ne sont en effet pas traduits en langue des signes). Les modifications des débits sont également semblables, bien que mettant en uvre des stratégies différentes (le locuteur modifie la durée de larticulation, le signeur celle des pauses).
Pour ce qui est enfin de létendue du vocabulaire,
elle peut paraître limitée de prime abord : le dictionnaire
de Moody [MOO 83]
pour la LSF, et celui de Stokoe, Casterline et Croneberg [STO 78] pour lASL,
contiennent tous deux environ 2500 signes. Sallagoïty [SAL 75] décrit
une langue signée utilisée dans le sud de la France
en incluant 1200. Même si les langues des signes en comportent
probablement deux à trois fois plus, ce nombre pourrait
paraître modeste au regard des dizaines de milliers ditems
lexicaux des langues verbales. Mais la grande polysémie
des signes et limmense variété de modulations
portées par les processus grammaticaux, les expressions
non-manuelles, font que les signeurs disposent dune langue
leur permettant de transmettre des nuances aussi fines, des idées
aussi abstraites que les langues orales. De nouveaux signes sont
constamment créés pour représenter les objets
récemment inventés, les termes scientifiques, ...
1.1.4.3. La double articulation des langues.
Les langues des signes, comme les langues orales, sont en effet doublement articulées ; cest-à-dire quelles permettent, à partir dun petit nombre de phonèmes de base, de générer, en respectant certaines règles combinatoires, un nombre quasi-illimité de phrases. Les phonèmes se combinent en effet en morphèmes, unités minimales porteuses de signification, eux-mêmes se combinant pour former les lexèmes (mots ou signes) qui à leur tour constituent, en accord avec la syntaxe, les phrases et les syntagmes. Ce puissant mécanisme est, de par léconomie quil représente pour exprimer toute la plage des signifiés, un des critères majeurs de lattribution de " vraie " langue par la linguistique moderne.
Or, nous y reviendrons plus en détails, Stokoe a démontré que la langue des signes pouvait elle aussi être décomposée en phonèmes gestuels. Il les a dénommés chérèmes (du grec kheir, la main) et leur étude, chérologie. Citons dores et déjà les trois chérèmes identifiés : lendroit dexécution ou tabulateur (TAB), la configuration manuelle ou désignateur (DEZ), et le mouvement (SIG).
Leur combinatoire est précisément définie
par des règles structurelles telles que la contrainte de
symétrie, la contrainte de dominance [KLI 79, WIL
79], déductibles à partir de statistiques [TEU 80], et dont la
violation génère des signes incorrectement formés;
cest aussi ce qui fait que les signes ne se réduisent
pas à de simples gestes. Les lexèmes suivent alors
à leur tour une syntaxe propre pour former les phrases
du discours.
1.1.4.4. Les subtilités d'une langue.
Précisément, lhumour et la poésie en langue des signes naissent du non-respect de ces règles combinatoires. Klima et Bellugi ont étudié avec précision ce type de mécanismes [KLI 79] et en ont identifié plusieurs catégories : production simultanée de deux signes par chacune des mains, recouvrement partiel par juxtaposition de deux signes, fusion séquentielle de signes par suppression des temps de latence entre eux, ou encore substitution dune partie (par exemple, un paramètre formationnel) dun signe par celle dun autre.
Dautre part, comme dans la modalité verbale, une
partie de linformation en langue des signes est transmise
via des mécanismes paralinguistiques
accompagnant le flot du discours et permettant de nuancer, compléter,
voire contredire ce dernier. Ainsi en est-il des expressions faciales,
et plus généralement non-manuelles, qui jouent par
ailleurs un rôle prépondérant dans certains
processus grammaticaux. Outre ces éléments de signification
produits au niveau de la face parallèlement à lémission
du message, on peut encore citer la prosodie
du signe (kinésie
notamment), ainsi que les attitudes et postures corporelles.
1.2. Synthétiser le signe : cadre de l'étude et état de l'art.
Si la langue des signes est aujourdhui pleinement reconnue
comme telle, elle a souffert dun bannissement de près
dun siècle auquel les sourds paient encore un lourd
tribut. Les problèmes déducation quils
rencontrent en sont une conséquence directe. Afin dy
proposer une solution, nous montrons dans cette partie pourquoi
nous avons opté pour une synthèse graphique des
signes et quelles en sont les principales contraintes. Nous précisons
en outre les tenants et aboutissants de cette étude, avant
de passer en revue les travaux majeurs dont ce sujet a fait lobjet.
1.2.1.1. Répression de la langue des signes et problèmes liés.
Malgré lépanouissement que connut la langue des signes au début du XIXème siècle, les querelles ne cessèrent pas entre enseignants partisans de léducation par la langue naturelle des sourds et les défenseurs de la méthode oraliste, concentrée sur le seul enseignement de la parole. La position dItard (1774-1838) est en ce sens assez révélatrice, puisquaprès avoir consacré de nombreuses années à apprendre à ses élèves la prononciation du français, il devait constater léchec de sa méthode et reconnaître la langue des signes comme indispensable à léducation des sourds, mais devait rester néanmoins fidèle à une instruction oraliste.
La seconde moitié du siècle vit le triomphe de loralisme. La prédominance des enseignants entendants, luniformisation des méthodes déducation avec linstruction obligatoire, ainsi que les progrès importants de la science laissant entrevoir une prochaine guérison de la surdité, ont contribué au bannissement progressif de la langue des signes en France, mais aussi dans les autres pays. En 1880, le congrès international de Milan, sous la mainmise des oralistes, prohibe toute utilisation des signes dans linstruction des sourds. De fait, cette ligne de conduite guide léducation dans sa quasi-totalité et ce, pendant encore une bonne partie de notre siècle, avec pour conséquence un isolement dramatique de la communauté sourde.
Dans les années soixante et soixante-dix, il a bien fallu admettre léchec de la méthode oraliste pure dans linstruction des sourds profonds, méthode dont lutilisation exclusive depuis presque un siècle a conduit à une grave sous-éducation. Suivant les Etats-Unis et les pays scandinaves, avec toutefois une bonne décennie de retard, la LSF a progressivement reconquis en partie ses lettres de noblesse aux yeux du grand public, à défaut de tout le terrain perdu. Symbole de cette nouvelle jeunesse, 1975 voit la traduction en signes du journal télévisé hebdomadaire sur Antenne2. Parmi les instigateurs de ce renouveau en France, citons Bernard Mottez et Harry Marckowicz, Bill Moody et plus généralement lInternational Visual Theatre (I.V.T.) de Vincennes. Comme les diverses associations ayant vu le jour, tous contribuent à rapprocher sourds et entendants.
Néanmoins les problèmes déducation persistent [LEL 85]. On estime aujourdhui que près de la moitié à deux tiers des sourds ont des difficultés plus ou moins prononcées à lire lécrit.
De ces constatations est apparue la nécessité
de disposer dune représentation visuelle de la langue
des signes. Deux possibilités soffrent dès
lors : utiliser la vidéo ou bâtir de toutes pièces
des signes synthétiques.
1.2.1.2. Signes synthétiques et vidéo : quels avantages ?.
Il est indéniable que la vidéo a joué, joue et continuera à jouer un rôle important dans lapprentissage de la langue des signes et dans la diffusion de la culture dont celle-ci relève. Malgré sa démocratisation et son accès par le plus grand nombre, la vidéo doit cependant reconnaître à la synthèse de multiples avantages.
Dabord cest lévidence même la vidéo doit être créée, ce qui implique lutilisation du matériel adéquat (caméra, camescope, ...), mais aussi la disponibilité des signeurs et un environnement (fond, éclairage, ...) satisfaisant, ce dont la synthèse nest pas tributaire. Le signe peut être généré sur demande, même dans une situation durgence, à partir dun nombre restreint de primitives graphiques. Il semble impossible au contraire, dans létat actuel des connaissances en traitement dimages, de fusionner ou retoucher des vidéos de façon à obtenir un signe voulu ou une phrase signée à partir de constituants primitifs animés; de même, modifier langle de vision nest pas envisageable avec une vidéo préenregistrée.
Ce problème est apparu aux membres de notre équipe lorsquils furent confrontés à la difficulté de fournir un contenu étayé, notamment vidéo, aux outils informatiques génériques qui avaient été développés. Ce fut le cas pour le logiciel LAC [VAN 96], destiné à faciliter laccès à une information thématique, principalement pour les personnes sourdes. De plus, pour le jeune sourd qui apprend à lire, un mot écrit nest autre quune suite de formes graphiques auxquelles il ne peut associer de son. Il est donc important de favoriser lacquisition de ce mot par lévocation de sa signification sous dautres formes. A cette fin, LAC fournit une structure daccueil pour des corpus hiérarchisés de mots avec, pour chacun, une définition hypertexte, des exemples dutilisation dans différents contextes, ainsi quune image illustrative. A ces informations sajoutent trois vidéos, lune illustrant le concept (au moyen de ses applications, de son utilisation, ... ), les deux autres en donnant les équivalents en LSF et en LPC (figure 1.4). Toutes les associations avec lesquelles nous travaillons ont souligné lintérêt quelles portaient à un tel produit. Lune delle était ainsi fortement demandeuse dun corpus relatif au code de la route, tant il est vrai que son acquisition par les sourds est délicate. Mais la charge de travail que représente lélaboration des vidéos numériques, en particulier pour de petites structures associatives, sest rapidement révélée prohibitive.
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Ensuite, dans la simple diffusion, lécran de télévision associé au magnétoscope, est omniprésent. Mais lordinateur, dont lapparition en tant que moyen dinformation du grand public sest faite dans les expositions et les administrations, est promis à un grand avenir dans cette utilisation. Il constitue en effet, bien plus quun simple moyen de diffusion, un réel outil de communication bidirectionnelle, capable de " dialoguer " avec lutilisateur, voire de sy adapter. Léquipement des ménages en ordinateurs personnels a connu parallèlement un essor formidable ces derniers mois. Or le stockage numérique des vidéos reste un problème, malgré l'avènement des disques durs, CD-ROM et DVD de grande capacité.
Enfin, la transmission du signe sur une longue distance, telle quavec les autoroutes de linformation et Internet, nest pas aujourdhui envisageable à grande échelle pour les vidéos. Même compressés, les fichiers correspondants demeurent trop volumineux face à la relative faiblesse des débits sur les lignes. Pour la synthèse en revanche, très peu dinformation est nécessaire, surtout si le récepteur possède un module de génération graphique.
Un autre besoin a justement décidé léquipe
à choisir comme axe de recherche le développement
de signes synthétiques : celle émanant de la télévision
numérique, désireuse de doter ses émissions
de sous-titrages signés systématiques.
1.2.2.1. Vue globale des objectifs.
Lanalyse des besoins dont nous avons donné ci-dessus un aperçu nous a permis de définir un certain nombre dobjectifs qui doivent guider notre étude :
1.2.2.2. Tenants et aboutissants.
Notre étude sinscrit dans un projet plus global visant à la traduction automatique dun texte français en langue des signes, dont la figure 1.5 illustre les différentes étapes. On le voit, la synthèse nest que le maillon final intervenant après de délicates phases danalyse qui mettent en jeu des techniques de traitement du langage naturel. Face à la complexité et la diversité des problèmes soulevés, la plupart des chercheurs ont choisi de focaliser leurs efforts sur une partie spécifique.
Au sein de léquipe, le travail de V. Vanneste sest concentré sur lanalyse grammaticale informatisée du français. Après une vérification orthographique basée sur les phonèmes constituant les mots, les principaux constituants syntaxiques de la phrase sont extraits en parcourant un arbre danalyse. Cette phase se base sur un ensemble de règles définissant une grammaire (éventuellement ambiguë) dont la finesse de définition est laissée à linitiative de lutilisateur. Grâce aux propriétés définies pour chaque type de monème grammatical, il est en outre possible déliminer de lensemble des solutions celles qui ne correspondent pas à la phrase dorigine.
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Les phases danalyse sémantique et de séquencement des termes restent à développer pour une large part. Elles constituent un chaînon manquant dans le processus de traduction. Pour des phrases simples néanmoins, la jonction peut être réalisée. La synthèse sappuie alors sur les informations fournies, telles que :
Ces données constituent le flux dentrée
de notre système, dont la fonction est den produire
lanimation signée par un personnage virtuel dont
les caractéristiques et les potentialités se rapprochent
au maximum dun signeur humain.
De façon plus détaillée :
Précisons encore dores et déjà que
cette étude vise davantage à démontrer la
faisabilité dune telle synthèse, et à
en proposer un prototype validé, quà en réaliser
un produit fini et hautement sophistiqué.
1.2.3. Signes synthétiques : état de l'art
Afin de mieux appréhender la problématique liée
à une telle synthèse, nous nous proposons dexaminer
ici différents travaux proches de ce domaine. De nombreuses
études concernent spécifiquement la reconnaissance
des signes; seules sont mentionnées dans cette partie celles
dont les bases apparaissent fondamentalement importantes dans
notre optique.
1.2.3.1. Premiers travaux d'animation.
Les images et, qui plus est, les animations de synthèse ne sont apparues que récemment dans lhistoire de linformatique, en raison de la masse de données à traiter. Les premières tentatives concernant la langue des signes remontent au début des années 80.
Kawai et Tamura [KAW 85] proposent un système à base dimages informatiques fixes auxquelles sont ajoutées des flèches pour symboliser le mouvement. Ils réalisent ainsi la traduction dune phrase en langue des signes japonaise, en utilisant une table de correspondance mot-signe, et la dactylologie en cas dabsence du mot à traduire. Les dessins numériques utilisés nont pas vocation à être une écriture; ils sont simplement utilisés pour présenter une phrase complète à lécran. Dans le même esprit, Harrison [HAR 82] décrit un système dans lequel les signes sont schématisés par le déplacement dun motif 2D pré-dessiné sur un fond fixe représentant le corps. Les marqueurs syntaxiques et diverses expressions faciales sont codés par des symboles apparaissant en marge du signe. Mais là encore, les représentations des signes ne sont pas modulables.
Le projet H.A.N.D.S. (Hamburg Animated Dictionary of Sign
Language) vise, en partant de la notation HamNoSys, à
générer des signes animés par succession
dimages fixes. Dans son état davancement décrit
dans [PRI 90b],
le programme choisit, dans une base dimages bidimensionnelles,
les primitives graphiques nécessaires et reconstruit une
à une les images de la séquence. Le module danimation
est également capable de gérer les priorités
de plans, de moduler la vitesse démission, et deffectuer
des transitions fluides entre signes. Mais, pas plus que dans
les travaux examinés ci-dessus, nest ici proposée
de synthèse des signes, synthèse dont lauteur
reconnaît du reste la nécessité.
1.2.3.2. Synthèses tridimensionnelles des signes.
La première synthèse tridimensionnelle des signes (de lASL) a été réalisée par Michael Shantz et Howard Poizner [SHA 82]. Leur programme, écrit en BASIC, trace le squelette des bras sous forme filaire, à partir de la description exhaustive des angles articulaires correspondant à une posture initiale donnée dun signe. Le mouvement est alors généré en faisant évoluer les valeurs angulaires selon une courbe de variation.
Ces dernières années, cest au Japon que la synthèse des signes a probablement connu son essor le plus remarquable. Xu, Aoki et Zheng [XU 91] décrivent un système dobtention et de transmission dimages synthétiques entre ce pays et la Chine. Lanimation se fait, là aussi, en propageant les variations angulaires le long des chaînes articulaires auxquelles sont attachés des systèmes locaux de coordonnées. Les travaux de T. Kurokawa [KUR 92] visent à constituer un dictionnaire gestuel. Il a pour cela développé un système de codage des configurations manuelles, sur lequel nous reviendrons, ainsi quun codage des formes corporelles basé sur une description en segments dont les extrémités peuvent occuper des positions discrètes dans lespace. La vitesse du mouvement a également été prise en considération. Lensemble de la structure est stocké dans une liste chaînée de pointeurs; lauteur donne un exemple dapplication à la traduction du japonais en langue des signes fournissant des images synthétiques filaires.
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La langue des signes a servi dexemple applicatif à des travaux de recherche sur la représentation du corps humain sous forme de dessins au trait [GOD 98a]. Enchaînés, il forment une animation tout à fait séduisante (figure 1.6), dautant que le personnage virtuel est doté de mimiques faciales remarquablement expressives [GOD 98b]. Mais, de même que dans les études précédentes, la description des différentes postures se fait à bas niveau (angles articulaires).
Létude de T. Lebourque au sein du LIMSI a abouti à un système de commande gestuelle pour lanimation du bras et de la main [LEB 99a]. A partir des mouvements élémentaires est élaborée la synthèse de gestes naturels, en sappuyant essentiellement sur leur forme et leur cinématique. Là encore, la langue des signes a constitué une application idéale et donné lieu au développement dun langage formel des constituants formationnels des lexèmes. Néanmoins, ce système na pas été spécifiquement développé pour le signe lui-même ; en particulier, il ne prend pas en compte les processus grammaticaux qui sy rapportent.
Les travaux les plus récents ont, semble-t-il, aboutit
à de véritables synthèses de haut niveau.
Citons le projet Sister Mary of the Internet, dont le signeur
virtuel, développé par G. Stern, est aujourdhui
capable de reproduire des données provenant de capteurs
montés sur des gants de type CyberGlove; il devrait à
terme pouvoir effectuer une réelle synthèse du signe
à partir de sa description phonétiqueinspirée
de celle de Liddell et Johnson (voir 1.3.3). Cette description,
nommée vasl/ine, est encodée sous forme dune
grammaire semblable à celle utilisée dans le compilateur
de compilateurs Yacc. Ces derniers mois est apparue une solution
commerciale, proposée par Seamless Solutions Inc. (http://www.seamless-solutions.com)
, dont les avatars sont modélisés en VRML et sont
très expressifs au niveau du visage. Nous ne connaissons
malheureusement pas le degré de finesse de ces projets,
ni leurs tenants et aboutissants, car on nen trouve pour
linstant trace que sur quelques pages Web.
1.2.3.3. Vers une communication bidirectionnelle.
M. Tokuda [TOK 95] a réalisé la traduction du japonais en amont de la synthèse. Les termes non signés sont éliminés après analyse morphologique, et la traduction se fait ensuite soit par correspondance directe, soit grâce à lemploi dun identificateur de concept. Lauteur annonce un taux de réussite de5%.
De nombreuses autres études concernent la reconnaissance
des gestes et leur interprétation en signes. Ohki et al.
[OHK 95] schématisent
les étapes majeures nécessaires à une traduction
bidirectionnelle entre, dune part, les gestes entrés
par un capteur de type DataGlove et un texte japonais, dautre
part, entre la parole et une animation synthétique en langue
des signes. B. Dorner et E. Hagen [DOR 94] utilisent des gants munis de cercles
lumineux pour obtenir une représentation des configurations
et positions manuelles en termes dangles articulaires. Ils
décrivent ensuite un analyseur grammatical détaillé
de lASL (prenant en compte les références
indexées, les différents types de phrases, le temps
du discours, ...), destiné à être intégré
à un système global de reconnaissance des signes.
La première représentation dune langue qui vient naturellement à lesprit est lécriture. Si elle constitue un phénomène relativement récent à léchelle des langues, et ne les concerne dailleurs pas toutes, elle joue un rôle de premier plan dans la transmission de linformation à travers lespace et le temps. Elle permet à des individus distants de communiquer et constitue un facteur favorisant la survie dune culture, sans toutefois en être une condition sine qua non.
Les travaux de Stokoe sur la phonologie du signe ont donné
lieu à plusieurs ensembles de représentation. Certains
revendiquent le statut de systèmes décriture
mais demeurent peu utilisés en ce sens par la communauté
sourde, et beaucoup sont avant tout des outils linguistiques.
Néanmoins, chacun apporte de précieuses informations
sur les paramètres du signe et il est intéressant
den examiner ici les grandes lignes.
William C. Stokoe fut le premier linguiste contemporain à étudier et proposer une description de la langue des signes (en l'occurrence, lASL) en termes de phonèmes (qu'il dénomma chérèmes, du grec kheir, la main), et à en bâtir une transcription écrite dont la figure 1.7 ci-après propose un exemple. Dans le dictionnaire de lASL quil publie en 1965 avec Casterline et Croneberg ([STO 78] pour l'édition révisée), il jette les bases et pave la voie pour une recherche ravivée sur les langues des signes.
Les signes y sont décrits comme combinaisons de chérèmes appartenant à trois classes distinctes :
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Tabulateur (Tabular, TAB) |
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Position de la main (ou des mains) dans lespace (i.e. endroit où agit le DEZ). |
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tronc |
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cou | |||
Désignateur (Designator, DEZ) |
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Forme signifiante de la main (ou des mains). Elle est vue relativement au TAB (à lintérieur, contre, dessus, ...) |
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poing fermé |
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main ouverte | |||
Mouvement (Signation, SIG) |
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Action effectuée, " dans " la position du tabulateur, par le désignateur (si le signe comporte effectivement une phase dynamique). |
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à droite |
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vers le signeur | |||
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mvt. circulaire | |||
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pronation | |||
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torsion | |||
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agitation doigts | |||
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Le tableau ci-dessus présente quelques exemples pour chacune des classes de chérèmes; on en trouve les listes exhaustives en annexe 1.2. Il est à noter que la notion de SIG englobe en fait des phénomènes fort différents. En effet, outre les déplacements directionnels fondamentaux dont la forme est rectiligne (selon les trois directions de lespace), circulaire ou courbée, sy trouvent des mouvements de lavant-bras, du poignet ou plus localisés encore au niveau de la main. Dautres décrivent la relation entre le désignateur et le tabulateur, ou la façon dont les articulateurs interagissent (convergence, dissociation ou croisement des mains, contact entre le DEZ et le TAB, ).
Les entrées du dictionnaire de Stokoe et de ses collaborateurs utilisent ce système pour représenter les signes de lASL en précisant dans lordre le TAB, le DEZ, puis le SIG: TD. Dans le cas où les configurations manuelles des deux mains sont significatives, on a la notation TDDS. De plus, les mouvements peuvent être effectués en séquence (les SIG sont alors notés côte à côte) ou simultanément (notation superposée). Ce qui donne les possibilités suivantes pour les symboles de mouvement : ,, , , , ou même . Ainsi, dans la figure 1.7, séparation des mains et rotation du poignet sont simultanées.
Transcription : |
Æ FxF |
¸ w |
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Tabulateur (TAB) |
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Espace neutre devant le torse | |
Désignateur (DEZ) |
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Configuration manuelle F pour les deux mains initialement en contact | |
Mouvement (SIG) |
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Séparation (¸ ) des mains et rotation simultanée du poignet (w ) | |
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Remarquons que certains symboles DEZ peuvent servir de lieux darticulation (TAB). La figure 1.8 ci-contre en donne une illustration : dans le signe LSF Bouteille, cest la main de base statique en configuration [C] devant le torse qui constitue le TAB, alors que le DEZ prend également la valeur [C], donnée par la main dominante en position initiale. Le SIG est quant à lui caractérisé par un mouvement vers le haut (^) accompagné de la fermeture (#) simultanée de la main, ce qui nous donne la transcription suivante :
CxC
La détermination des phonèmes gestuels (en termes linguistiques, le décodage chérémique) a été réalisée de sorte que leur combinaison forme un signe spécifiquement déterminé; en dautres termes, deux signes diffèrent obligatoirement par au moins lun de leurs chérèmes (cest la notion de paires minimales). Les sous-primitives au contraire, définies par Stokoe (sous la dénomination allochers) pour préciser la transcription, ne peuvent à elles seules distinguer deux signes. Elles sont constituées en ajoutant aux primitives majeures des signes diacritiques qui en modifient légèrement laspect visuel. Par exemple, le diacritique (griffe) est ajouté à la configuration manuelle [5] pour représenter la configuration dite "en griffe" (cf. tableau 1.3).
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[5] |
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Autre exemple, lensemble du tronc constitue un seul chérème
(de type tabulateur), dont les allochers peuvent être
aussi éloignés que les épaules et les hanches.
Cependant, conformément au critère des paires minimales,
on ne peut trouver dans le dictionnaire deux signes ne se distinguant
que par la position sur le tronc; il existe toujours au moins
une différence par ailleurs, que ce soit le DEZ, le SIG,
ou lun et lautre à la fois.
1.3.1.2. Validation de la description de Stokoe.
Cette décomposition des signes en unités formationnelles non-signifiantes est étayée par plusieurs études qui en confirment la validité.
On trouve dabord les recherches menées par Klima et Bellugi [KLI 79] sur les erreurs de production dans le discours. Dans les langues verbales, la similarité phonologique de certains mots (par exemple, après et attrait) est incriminée. Il en est de même dans les langue des signes où les erreurs visuelles sont de même type : anticipation (un paramètre formationnel dun signe est utilisé involontairement dans un autre signe qui le précède), persévération (la valeur dun paramètre du signe A est conservée dans le signe B), ou échange (substitution mutuelle, ou métathèse). Ces lapsus gestuels ne sont nullement liés au contenu sémantique du signe, mais concernent bien plutôt les paramètres de formation identifiés par Stokoe; dans leur majorité, ils ne concernent dailleurs que lun dentre eux. Létude des corpus recueillis par les auteurs sur les erreurs de production, mais aussi de mémorisation à court terme, prouve la réalité psycholinguistique des composants majeurs et leur indépendance dans la formation du signe (ainsi, au passage, que lexistence de règles bien définies dans le processus combinatoire).
Dautres recherches portant sur la perception des signes
vont dans le même sens. Grosjean [GRO 79] prouve que les divers paramètres
formationnels ne sont pas identifiés simultanément
: le mouvement est perçu en dernier, déclenchant
la détermination du contenu lexical ; lidentification
est par ailleurs facilitée pour les signes mettant en jeu
les deux mains, le torse ou le cou comme lieu d'articulation,
ainsi que le maximum dexpression non-manuelle. Poizner [POI 81], quant à
lui, démontre limportance perceptuelle des paramètres
de formation à partir de leurs dimensions psychophysiques
(plan, direction, courbure et répétition du mouvement).
1.3.1.3. Autres paramètres du signe.
Poursuivant les travaux de Stokoe, certains auteurs ont identifié dautres paramètres intervenant dans la formation et la distinction des signes.
Battison [BAT 74] en ajoute un quatrième : lorientation de la main ou des mains, et distingue en outre, au niveau le plus général, quatre zones principales darticulation du signe : le visage, le tronc, le bras et la main. Klima et Bellugi [KLI 79] définissent lorientation de la paume de la main comme un paramètre mineur mais en valident limportance en citant des paires de signes pour lesquelles il constitue le seul critère de distinction (par exemple child et thing, voir figure 1.9).
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Ces derniers auteurs reconnaissent également deux autres paramètres mineurs. La région de contact est la zone ou les zones de la main pouvant entrer en contact avec un point du corps (joue, avant-bras, front, ...). Le nombre et le lieu des régions de contact dépend de la configuration de la main. Dautre part, lagencement des mains, décrivant si le signe est réalisé avec une seule ou les deux mains ainsi que les relations spatiales entre elles, constitue un troisième paramètre mineur dont le rôle de différenciation est moins marqué, mais intervenant au premier plan dans les processus morphologiques.
Lapproche choisie par François-Xavier Nève de Mévergnies, du Centre dEtudes Pluridisciplinaires sur la Langue des Signes (Céplus) de Liège est plus fonctionnaliste que celle de Stokoe. Plutôt que de rechercher des universaux linguistiques, lauteur de l"Essai de grammaire de la Langue des Signes Française" [NEV 96] se base davantage sur les différences entre les langues; la référence au chinois et ses ressemblances avec la langue des signes y sont dailleurs récurrentes. Létude en confirme la double articulation, ainsi que les classes de phonèmes gestuels. Rebaptisés gestèmes, ceux-ci ont été obtenus par commutation phonologique et sont présentés sous le mnémonyme COLORIACT (COnfiguration, Localisation, ORIentation et ACTion). Avec une réserve toutefois : " lACT paraît échapper à la gestémologie par les deux caractères suivants :
Signalons enfin limportance, certes limitée, des
expressions non-manuelles et notamment faciales
dans la distinction des items lexicaux. Wilbur [WIL 79] cite à ce propos lexemple
des signes ASL late [tard]
et not_yet [pas_encore],
dont la seule différence réside en un léger
mouvement de la langue vers lavant pour le premier.
1.3.2. Affinements de la description et applications.
Plusieurs études se basent sur ces paramètres,
souvent en les affinant, pour proposer tantôt dautres
notations (plus " visuelles " que celle de Stokoe),
tantôt des outils danalyse linguistique (grâce
à des bases de données), ou encore des dictionnaires
dont les fonctionnalités de recherche dun item lexical
sont adaptées aux langues des signes.
1.3.2.1. Encodages informatisés.
Une des premières notations informatisées de la langue des signes est probablement celle de Teuber, Battison et leurs collaborateurs [TEU 80]. Elle vise à constituer un dictionnaire en vue détudes linguistiques, et ceci sur la base de celui de Stokoe, Casterline et Croneberg publié en 1965. Le travail a consisté à transcrire grâce aux caractères ASCII les différents chérèmes identifiés par Stokoe, ainsi quà définir une structure capable de stocker lensemble de la représentation codée de chaque signe (y compris les diacritiques et lorientation de la main). Une des difficultés réside dans lobtention de caractères informatiques aussi proches que possible des symboles de Stokoe. La saisie numérique du dictionnaire a permis de dresser des statistiques dintérêt linguistique sur les caractéristiques des signes et leurs contraintes de constitution.
Un logiciel grand public plus récent, SignWriter (qui possède son propre site Internet : http://www.signwriting.org), est un système décriture de la langue des signes sous forme dun ensemble de symboles visuels. Si ses fondations linguistiques ne sont pas clairement établies, cest un moyen de transcrire sur le papier cette langue dans toute sa richesse : les expressions non-manuelles y sont finement représentées et les primitives graphiques permettent dobtenir, au prix de quelques efforts dédition, des signes plus ou moins iconiques. Mais la fonction de mémoire avancée par les auteurs de ce système surtout en usage aux Etats-Unis nest-elle pas déjà bien assurée par la vidéo ?
Plus récemment, une étude a été menée, dans le cadre du projet SignFont, par Mac Intire et ses collaborateurs [MCI 87]. Elle vise également au développement dun système décriture informatisée de lASL. Dans cette optique a été réalisé un nouvel inventaire des configurations manuelles de cette langue, leur regroupement au niveau phonémique, une représentation semi-graphique de ces formes de la main, ainsi que lencodage informatisé de celles-ci. En outre, les auteurs ont proposé une série de symboles pour les marqueurs syntaxiques non-manuels et, plus récemment [HUT 90], pour les régions de contact et les différents mouvements.
Il est possible de faire le rapprochement avec un autre type de transcription informatisée que nous décrirons brièvement ici, HamNoSys (acronyme dHamburg Notation System) [PRI 90a, HAM 98]. Développé à lorigine pour la langue des signes allemande, il a aujourdhui la prétention, grâce à sa finesse de description, de constituer un système de notation alphabétique internationalement applicable. La contrepartie en est un ensemble de symboles imposant (près de 200 pour les seules configurations manuelles, position, orientation et mouvement). Pour donner une idée de ce codage, prenons lexemple du signe LSF histoire (figure 1.10).
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Mais les notations décrites ci-dessus sont purement scripturales et leur iconicité est généralement faible. Bien adaptées pour constituer des bases de données à des fins détudes linguistiques, elles révèlent leurs limites dans la représentation visuelle de la langue des signes. Car lessence de cette langue est spatiale et dynamique, caractères difficilement transposables sur le papier.
Lutilisation dun système comme HamNoSys
en tant que notation intermédiaire pour lobtention
de signes synthétiques est envisageable. Toutefois, sil
prend en compte certains aspects modulatoires des signes, la symétrie
des mouvements et des positions, et quelques composants non-manuels,
il nest pas encore apte dans son état actuel
à décrire les processus grammaticaux intervenant
en langue des signes.
1.3.2.2. Des interfaces pour la langue des signes.
Répondant à la nécessité impérieuse de présenter des signes animés, des interfaces dédiées aux langues des signes ont vu le jour [FRI 93]. Parmi les formes envisageables de représentation visuelle vidéo et signes synthétiques , seule est à ce jour vraiment exploitée la première des solutions. L'avènement et la démocratisation de la vidéo numérique ont ainsi permis de réaliser des dictionnaires informatisés et des applications destinées à la fois à lapprentissage de la langue orale par les sourds et à celui de la langue des signes par les entendants.
La plupart des dictionnaires apportent une solution à ce dernier besoin en fournissant léquivalent signé dun mot donné. Laccès direct à la séquence filmée se fait par une liste alphabétique. Cest le principe adopté par le Centre de la Langue des Signes Allemande, à Hambourg, éditeur de plusieurs dictionnaires dédiés à diverses branches professionnelles (menuiserie, informatique, médecine, psychologie, ...), dont certains sont désormais disponibles en ligne (http://www.sign-lang.uni-hamburg.de/Projects/SLDicts.html). De telles réalisations sont les pendants des ouvrages lexicographiques papier (dont certains préexistaient dailleurs à lordinateur personnel).
Parmi ces derniers, il convient de citer le remarquable ouvrage publié par I.V.T. [MOO 86, MOO 90], dont la version électronique a été réalisée à luniversité de Lyon II par A. Bonucci et S. Wilcox (voir lannexe 4 pour lURL de ce site). Il présente la particularité doffrir lordre de recherche inverse à celui jusque-là considéré et constitue en ce sens le premier dictionnaire bilingue français-LSF. Il est en effet possible de retrouver un signe par trois de ses caractéristiques formationnelles : la configuration de la main, le lieu darticulation et le nombre darticulateurs impliqués. Grâce à ce mécanisme, on peut retrouver un signe perçu dont on ignore le sens.
Lordinateur est évidemment tout indiqué pour systématiser ce type de recherche. Premier logiciel de traduction français-LSF, le Dictionnaire Informatisé de la Langue des Signes (DILS) du Céplus [CEP 98] propose une base de plus de 5000 mots français et leur quelque 1500 correspondants signés. Les données relatives aux signes sont très complètes : définition et utilisation dans un contexte, synonymes, liste des gestèmes, vidéo et dessins illustratifs. Mais la fonctionnalité la plus intéressante et originale en est précisément un double mode daccès aux entrées : outre la clé alphabétique, les paramètres formationnels du signe (configurations manuelles, position, orientation (cf. figure 1.11) et mouvement) permettent de retrouver celui-ci par filtrage progressif.
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Offrant des possibilités de recherche analogues à celle du DILS, Le Dictionnaire Multimédia de lASL (MM-DASL) [WIL 94a] est une application de traduction bilingue anglais-ASL tournant sur Macintosh et utilisant la technologie Quicktime pour les vidéos signées. Il a été initié par S. Wilcox et W. C. Stokoe. Une particularité intéressante en est la possibilité deffectuer une " recherche floue " (fuzzy search), lors de laquelle lutilisateur spécifie le degré de ressemblance, la " distance " entre le signe réel et les valeurs de recherche définies. Pour chaque entrée signée, le dictionnaire comporte, outre la vidéo, un ensemble de mots-clés (les traductions anglaises possibles), la catégorie grammaticale et la définition du mot. Lapplication présente lavantage de pouvoir être utilisée avec nimporte quelle langue des signes, bien que les paramètres de recherche phonologiques concernent lASL.
SignStream, développé également sur Macintosh
dans le cadre de lASLLRP (ASL Linguistic Research Project),
est un outil de base de données sensiblement différent
des précédents. Son but est lencodage et lanalyse
de données linguistiques au niveau du discours, mettant
laccent sur limportance syntaxique des paramètres
non-manuels. Ceux-ci sont représentés en parallèle
et de façon synchronisée avec la traduction et la
représentation vidéo des signes.
1.3.3. Une autre approche : la description de Liddell et Johnson.
Les descriptions étudiées jusque-là mettaient
toutes laccent sur laspect simultané de la
production des phonèmes
formant les signes. Stokoe [STO
72], entre autres, insiste sur cette différence avec
les langues verbales, dans lesquelles lapparition des segments
est séquentielle et linéaire.
Bien entendu, la production des signes dans le discours est, quant à elle, séquentielle. Dans une introduction à sa description de la langue des signes du Sud de la France, Sallagoïty [SAL 75] note dailleurs une telle combinabilité temporelle à ce niveau, les items étant évanescents. Mais les signes eux-mêmes sont bien vus en tant que production simultanée dun ensemble de primitives, leur organisation séquentielle étant phonologiquement insignifiante.
Toutefois, certains processus en font apparaître limportance. Cest le cas des " tenues " (holds en anglais)[5]. Celles-ci peuvent intervenir en début ou en fin de signe, avant et après le mouvement, ou alors être totalement absentes; elles constituent dailleurs une part importante du temps de production et leurs durées varient avec laccentuation du signe [WIL 79]. Une tenue en début de signe consiste par exemple, après avoir amené la main à lendroit doù part le mouvement, à maintenir un bref instant cette configuration initiale (qui est parfois déterminée par la première lettre du mot écrit correspondant ce processus est dénommé initialisation). Ces tenues ne se retrouvent pas dans la pantomime [BEL 78], mais sont bien parties intégrantes et contrastives des signes.
Partant de ces constats, Scott K. Liddel et Robert E. Johnson
ont développé une description de la langue des signes
(américaine) prenant en compte cette organisation séquentielle.
Nous allons ici en décrire les très grandes lignes;
on peut se reporter à [LID
89] et [LID 90]
pour davantage de précisions (voir aussi lannexe
1.3).
1.3.3.2. Description segmentale de Liddell et Johnson.
Cette description est basée sur la distinction, dans
les segments des langues des signes, entre les composants décrivant
dune part la posture de la main et dautre part son
activité. Les premiers, les paramètres manuels du
signe, spécifient notamment où se trouve la main,
quelle est sa forme et la façon dont elle est orientée.
Les seconds, reflétant lactivité des articulateurs,
se divisent en deux classes :
En conséquence, un mouvement M est relié à deux de ces ensembles, tandis quune tenue H nest connectée quà un seul.
Les signes et les parties du discours sont composés de chaînes simultanées de segments (alternances de M et de H) : une pour chaque main, et une pour chaque paramètre non-manuel (activité du torse, de la tête et du visage). Ainsi, le signe LSF histoire est représenté par la structure de la figure 1.12.
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Détaillons un peu létage segmental. Un mouvement est précisé par des caractéristiques :
ainsi que par les éventuels mouvements locaux tels
que rotation du poignet, agitation des doigts, ou autres mouvements
rapides internes de la main (par exemple, le frottement pouce/index
du geste signifiant argent).
Une tenue, quant à elle, est caractérisée par sa durée et également un mouvement local, le cas échéant.
En ce qui concerne létage articulatoire, la spécification complète de la main inclut :
a- la partie de la main concernée,
b- le lieu où se trouve cette dernière (a)
c- la distance entre a et b (contact, proximale,
médiale ou distale)
d- la direction du décalage c (ipsilatéral, contralatéral, en avant,
ou une direction relative aux différentes parties de la
main de base)
a- un point particulier de la main et lendroit
vers lequel il pointe,
b- la partie de la main qui fait face au plan horizontal.
Une description plus complète de la notation des différentes caractéristiques, ainsi quun exemple complet de représentation dun signe, sont présentés dans lannexe 1.3.
Signalons encore que Liddell fournit aussi une analyse phonémique très proche [LID 90], permettant, grâce à un attachement autosegmental multiple, de réduire sensiblement les redondances induites par la description phonétique.
Enfin, Sandler [SAN
86] propose une représentation segmentale des signes
dans laquelle la main dune part, et le mouvement avec les
lieux de départ et darrivée dautre part,
occupent respectivement un étage. Le changement de configuration
manuelle est transcrit par une caractéristique " ouverture
" ou " fermeture ". Néanmoins, comme le
note Liddell [LID 90],
une telle description ne permet pas de connaître de façon
univoque la configuration de la main à la fin du mouvement.
La langue des signes, par son originalité et toutes les réalités humaines quelle sous-tend, mérite toute notre attention. La multiplication des recherches la concernant en est autant de preuves et de conséquences. Travaux des linguistes, dune part, qui ont conduit à plusieurs descriptions précises des différents paramètres formationnels des signes. Travaux des spécialistes de linformatique dautre part, mais aussi de lintelligence artificielle ou de lautomatique, poursuivant des buts plus pragmatiques : développement de modules de synthèse, de reconnaissance des gestes, ou de traitement du langage naturel, dans loptique dune traduction bidirectionnelle avec les langues orales.
Un tel système est susceptible dapporter un élément
de réponse aux problèmes déducation
et de communication auxquels la communauté sourde est confrontée.
Sa mise en uvre passe par la réalisation dun
module de synthèse performante des signes, qui doit aussi
satisfaire des critères dinterfaçage simple.
Il est en effet destiné à être inclus dans
dautres applications nécessitant la génération
de signes virtuels à lexécution, telles que
la traduction français-LSF.
Des études linguistiques, il ressort quune spécification du signe ne saurait saffranchir des quatre gestèmes fondamentaux. Car leur réalité psycholinguistique a été vérifiée, et il nous faudra donc les insérer dune façon ou dune autre dans notre système sous peine dobtenir des signes phonologiquement mal formés et donc sémantiquement erronés. Cependant, il nest pas à exclure que la synthèse nécessite un affinage de ces paramètres ou une prise en compte de traits non linguistiquement pertinents.
La description du signe fournie par Liddell et Johnson est ainsi très intéressante dans une optique de synthèse, car extrêmement précise. Un tel niveau de détail est parfois contesté par dautres études dans le même domaine, mais il nous apparaît nécessaire pour éviter la génération de signes synthétiques trop "robotisés". Les travaux de ces auteurs nous sont donc dune aide des plus précieuses lorsquil sagit par exemple de définir les points de contact corporels.
Mais si les notations développées par les linguistes depuis maintenant trois décennies ont permis de spectaculaires avancées dans la connaissance structurelle des langues des signes, elles sont souvent difficilement abordables et réservées aux seuls initiés, leurs applications étant presque exclusivement confinées au champ détude de leurs auteurs. Bien adaptées à létablissement de données statistiques desquelles peuvent être déduites les règles formationnelles régissant les signes, ou encore à lélaboration de véritables dictionnaires bilingues, elles ont cependant montré leurs limites en tant que bases de systèmes décriture. Aucune nest en effet utilisée comme telle, ne serait-ce quà moyenne échelle, et pas davantage comme transcription servant de point de départ à la synthèse des signes, même si, là encore, la notation de Liddell semble faire exception.
Une nouvelle spécification qui tienne compte des impératifs liés à la synthèse est donc nécessaire ; sa version informatisée doit être aussi lisible que possible, évitant les symboles ou les codes hermétiques sujets aux griefs. Par ailleurs, une synthèse élaborée de la phrase signée ne se résume pas à la description des signes dans leur forme de citation. Elle réclame également la prise en compte des processus grammaticaux et phonologiques de la langue. Tout particulièrement, les phénomènes de flexion et les expressions non-manuelles doivent faire lobjet dune étude attentive. Le chapitre suivant présente le système de description formelle du signe que nous proposons, et les diverses interactions entre ce dernier et le discours signé, mais aussi entre items au sein même de la phrase.